Éditions de Minuit
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Dès
les premières pages, on sent qu'entre elle et lui, ça tire un peu.
Lui,
c'est Tristan, elle, elle n'a pas de nom. Ils n'ont pas grand-chose à
se dire, lui est au chômage, dort quand elle part bosser le matin ou
boit son café ; quand elle rentre le soir, la vaisselle sale
encombre encore l'évier tandis qu'il est penché sur un puzzle.
Le
plus souvent, il y a Charlin. Non, ce n'est pas le nom de leur chat
mais de son pote de collège, à lui, pas à elle. Ils boivent des
bières, se balancent deux, trois vannes de potaches, parlent de
tout, de rien. Ça lui fait du bien, à lui. Elle, elle préférerait
aller se coucher.
Le
problème, c'est que Charlin est souvent là, le soir.
« Tristan
et moi, à l'époque, on traversait une période un peu délicate,
peut-être même un peu difficile, une période où, vivant côte à
côte plus qu'ensemble, on battait tendrement de l'aile, laissant
facilement couler les jours, s'installer la situation sans que
Tristan s'inquiète de tout ça, de cette légère torpeur dans le
couple, de cette forme de lenteur dans son rythme, de cette distance
(à laquelle, évidemment, la présence de Charlin ne pouvait rien
arranger), sans doute d'autant plus sournoise qu'elle n'avait rien de
dramatique et qu'avec un petit effort commun, un tant soit peu de
volonté ou trois gouttes de philtre magique, on était capable de la
réduire.»
Rien
de grave donc, un peu de tension, mais bon, on y croit, ça va
passer.
Et
puis, il y a la goutte d'eau, vous savez, celle qui fait déborder le
vase : cette goutte d'eau prendra la forme d'un tableau, enfin
plus exactement d'une photo, une très très grande photo encadrée,
accrochée sur tout un pan de mur, dans la salle à manger, unique
pièce du studio : elle, en gros plan, les seins nus.
Charlin
a aidé Tristan à transporter le cadre, à l'accrocher même.
Tristan l'a payé pour ça.
Et
maintenant, elle
est là, enfin la photo, pas vraiment elle qui aurait plutôt envie
de se cacher tellement la honte la gagne, à moins que ce
ne soit de la colère, une
forme de « trop c'est trop », de saturation. Les limites
sont atteintes.
J'ai
beaucoup aimé ce court roman de Marion Guillot qui met en scène la
dérive de ce couple à vau-l'eau, plus tout à fait sur la même
longueur d'onde, cette espèce d'écart qui se creuse progressivement
jusqu'à l'incident provoquant la chute, l'incompréhension.
Ce
que réalise la femme soudain, c'est que si elle ne réagit pas, tout
est perdu : Tristan ne semble déjà plus vraiment être
sensible à sa présence ni être à l'écoute de ses attentes.
A-t-il besoin de la voir (l'avoir) en photo pour penser à elle ?
Est-elle devenue si vide, si transparente qu'il faille la remplacer
par une image ? A-t-on besoin d'une image pour ne pas
l'oublier ? Et ce Charlin qui encombre constamment leur
appartement, partagera-t-il leur intimité en contemplant la photo
géante, cette photo d'elle mise à nu ?
« …
alors déjà j'avais senti que tout ça ne pouvait pas durer :
que tôt ou tard, ce serait à moi de prendre la situation en main.»
Peut-
être pour se prouver qu'elle existe encore un peu...
C'est
moi, par son titre léger, trompe un peu son lecteur :
oui, certaines situations sont franchement cocasses, notamment, tous
les passages autour de ce portrait géant sont vraiment très drôles,
mais au fond, le propos n'a rien de léger, le tragique est là, un
pied dans la porte, et ne demande qu'à entrer.
Une
écriture blanche qui dit de la façon la plus neutre possible où
peut mener le sentiment d'effacement…
Très jolie critique, si bien écrite qu'elle me donne envie de lire ce livre, merci!
RépondreSupprimerJ'adore !
RépondreSupprimerBonjour, un livre que je viens de lire et que j'ai beaucoup aimé également. Je découvre votre blog cet après-midi et le parcours pour en lire vos critiques à la fois simples et précises. Merci !
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