Éditions Philippe Rey
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Oh,
la belle plume que celle de Gabrielle Tuloup… Comme c'est agréable
de se laisser envelopper par cette prose sensible et élégante qui
m'a comblée d'émotions et m'a laissée le coeur chaviré et les
yeux pleins de larmes.
Nathan
Weiss, quarante ans, vit et travaille en Slovénie. Son père qu'il
aimait tant ayant disparu, il lui reste une mère, Marthe, qu'il ne
voit que très rarement. Froideur, distance, incompréhension sont
les termes qui définissent le mieux leurs relations. Depuis
toujours... Contrairement au rapport fusionnel qu'elle entretenait
avec son mari, Marthe a vécu comme loin de son fils, dans
l'incapacité, semble-t-il, de l'aimer... Nathan n'attend maintenant
plus rien de sa mère et une ou deux visites annuelles entretiennent
artificiellement une relation morte depuis bien longtemps.
Un
jour, il reçoit l'appel d'une certaine Jeanne Silet, une vieille
amie de sa mère : elle lui apprend que cette dernière,
atteinte de la maladie d'Alzheimer, a laissé huit lettres qu'elle a
écrites avant de perdre tout à fait la mémoire. Huit lettres
qu'elle doit donner au compte- gouttes à Nathan. Celui-ci trouve ce
petit jeu complètement puéril. Donc, c'est de très mauvaise grâce
qu'il s'y soumet, n'en attendant évidemment pas grand-chose.
Qu'est-ce
qui pourrait rattraper une vie dépourvue de tendresse et d'amour,
une vie d'indifférence et d'éloignement ? Et pourtant, ce que
va découvrir Nathan au fil des lettres va changer son regard sur sa
mère. Qui était Marthe, l'a-t-il bien connue au fond, n'ont-il pas
vécu sur une espèce de méprise, de malentendu qui les a empêchés
de se rencontrer vraiment ? Quels sont les secrets de cette
femme dont la mémoire s'est envolée ?
Ce
texte m'a beaucoup, beaucoup touchée, tout d'abord parce que je sais
que l'on peut, comme cela, entretenir de mauvais rapports tout
simplement parce que la parole a fait défaut, qu'on n'a pas pris le
temps ou qu'on n'a pas eu le courage de dire ce que l'on avait sur le
coeur de peur d'envenimer une situation délicate… Et les années
passent, de proches, on devient petit à petit des étrangers et à
un moment donné, c'est trop tard, on ne peut rattraper le temps
perdu. En prendre conscience soudain est tout simplement déchirant…
Par
ailleurs, et pour aborder un autre thème du roman, je sais qu'il est
difficile de traduire par des mots ce que l'on ressent quand on se
trouve face à un parent malade qui a perdu tous ses souvenirs et qui
ne sait même plus qui vous êtes.
C'est
le cas de mon père.
Je
me souviens de ses premières errances, de ses marches qui
l'entraînaient au-delà de ses forces et des espaces connus alors
que la maladie n'était pas encore diagnostiquée. On le retrouvait
déshydraté, exténué et complètement hagard dans un commissariat
où les pompiers avaient fini par le déposer.
Il nous a fallu du
temps pour comprendre et admettre que s'il était encore vivant, plus
rien de lui ne survivait.
Et l'on tentait d'entrer en contact avec
lui en parlant en espagnol, langue qu'il avait tant aimée, en lui
rappelant quelques bons souvenirs qui nous faisaient pleurer tandis
qu'il nous regardait fixement, sans émotion, le regard dans le vide.
Pour ma part, j'ai cessé d'attendre quelque chose.
Je ne le vois pas
souvent. Je pense à lui quand il fait beau comme ces jours-ci, je
pense aux endroits près de chez moi où il aimait aller se promener.
Je le sais enfermé dans sa chambre, incapable de lire, d'écouter la
radio ou de discuter. Incapable de rien et toujours vivant…
Alors,
il va sans dire que les passages du roman où il est question de
cette terrible dépossession de soi qu'entraîne cette maladie m'ont
beaucoup touchée, les dernières pages du livre m'anéantissant tout
à fait. Les résonances sont parfois trop fortes… Je vous les
espère moins douloureuses…
« Aujourd'hui
ma mère est là, à contre-jour, une silhouette de colombe fragile
endormie dans la lumière. A l'intérieur, quelque part, son âme
aussi bat de l'aile. Et, si j'osais poser ma main sur elle, je crois
que son pouls battrait très fort et vite d'être ainsi prise au
piège... »
Un
livre magnifique et
d'une très grande beauté que
je vous recommande vivement.
Je suis ravie que tu aies apprécié la plume de Gabrielle Tuloup, c'est vraiment un texte qui m'a beaucoup touchée... Et tu as raison, la fin est juste... percutante.
RépondreSupprimerTrès belle chronique. J'ai beaucoup aimé ce roman également.
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