Éditions Sabine Wespieser
★★☆☆☆ (J'ai moyennement aimé)
Sur
un parking de supermarché, Mathilda se démaquille. A l'abri des
regards, un coup de
lingette sur le visage, le masque tombe et Laurent démarre. Il
rentre chez lui comme s'il revenait d'un entraînement sportif, prend
rapidement une petite douche et « bonjour tout le monde ! »,
s'assoit à table pour le dîner. Une soirée agréable entre sa
femme et ses deux ados, une soirée de plus à cacher la vérité :
Laurent se sent femme, Laurent veut changer de sexe.
C'était
risqué de la part de Léonor de Récondo de se lancer dans un sujet
dont on parle souvent ces temps-ci dans les journaux, à la télé et
même au cinéma : on ne compte pas en effet les témoignages,
souvent terribles d'ailleurs, de ces hommes qui se sentent femmes et
de ces femmes qui se rêvent dans un corps d'homme. Risqué parce que
sans un traitement un peu original, un point de vue un peu différent,
on risquait de retomber dans du déjà vu, déjà lu, déjà entendu.
Hélas,
c'est précisément ce que j'ai ressenti. Je dirais pour être
honnête que j'ai passé un bon moment de lecture (je l'ai lu en une
soirée) comme j'aurais regardé un bon téléfilm. Point
cardinal est un roman agréable à lire mais qui ne m'a rien
appris de nouveau sur le sujet, j'ai même, il faut bien le dire,
parfois eu le sentiment que toutes les scènes attendues étaient là,
que chacune d'entre elles relevait du cliché au détriment parfois
de toute vraisemblance.
Une
vraie déception donc.
Ce
à quoi je m'attendais de la part de Léonor de Récondo ? Une
analyse plus fouillée de la conscience des personnages, ici trop
archétypiques, trop caricaturaux. J'imagine aisément que vivre une
telle situation entraîne immanquablement l'impression d'être
littéralement écartelé entre la nécessité de vivre en accord
avec soi-même et la violence, l'espèce de raz de marée familial
que va assurément provoquer l'aveu de ce que l'on est réellement.
Une
vraie tragédie, une tempête sous un crâne.
Mais
de cela, il n'en est rien ou presque : le portrait qui nous est
fait de Laurent laisse suggérer qu'il ira jusqu'au bout - et c'est
ce qu'il fait - quels que soient les dommages collatéraux comme on
dit : il en a besoin, c'est sa vie, il a attendu assez
longtemps.
Mais
son fils de seize ans est détruit, totalement anéanti et sans
vouloir trop en raconter, il finira par quitter la maison pour aller
en pension. Et Laurent (devenu Lauren) retourne au restaurant avec sa
femme (comme avant), et Laurent (Lauren) s'achète de jolis vêtements
(sans se cacher et avec le sourire complice et bienveillant de la
vendeuse), et Laurent (Lauren) poursuit son petit bout de chemin. Il
est heureux, enfin !
Mais
quid de l'inquiétude de ce père pour son fils absent ? Quid du
déchirement du père et du fils (je me sentirais bien incapable
d'aller faire un brin de shopping, sachant mon gamin au
trente-sixième dessous, prêt à n'importe quel geste insensé!) ?
Et évidemment, quid de ce que devient le gamin ? Laurent dit à
un moment qu'il est un père avant d'être une femme. Ah bon !
Peut-être. En tout cas, ça ne se voit pas. Ou pas assez. Dommage.
Bien
involontairement je pense, l'auteur ne donne finalement pas une image
très positive de ce Laurent essentiellement occupé de sa petite
personne.
J'imagine
que la réalité est beaucoup plus complexe, qu'un homme ou une femme
transexuel(le) est avant tout père ou mère et que le devenir de
l'enfant a une place centrale lorsque
l'on se demande si c'est oui ou non le moment de se révéler.
Quant
au fait de résoudre les problèmes en téléphonant à une radio
pour raconter que son père est devenu une femme ou bien en écrivant
un article pour le journal du collège comme le fait la fille de
Laurent, cela ne me semble pas du tout crédible. C'est beau, ça
fait très téléfilm bons sentiments/tout le monde s'aime/bonne
nuit à tous/faites de beaux rêves mais rien de tout cela n'est
plausible sauf au pays des Bisounours !
Non,
je crois que le parcours des trans est beaucoup moins lisse, que les
embûches sont hautes comme des montagnes et que le quotidien
ressemble souvent à l'enfer : tout est silence, non-dit,
torture morale, souffrance pur jus, détresse sans nom. Il suffit de
lire ou d'écouter quelques témoignages : c'est du lourd. La
jolie fin où tout le monde s'aime et tout le monde s'embrasse, non,
je n'y crois pas. C'est sympa cet optimisme, ça fait chaud au coeur,
ça rassure, on se dit que notre monde, il est beau, il est gentil
mais est-ce la réalité ?
Car
la vérité, je l'imagine aisément, est beaucoup plus sombre,
beaucoup plus violente, elle porte le nom de deuil blanc, de honte,
de culpabilité, de responsabilité, elle pose des questions
d'identité, de repères et elle se heurte longuement voire à jamais
à l'incompréhension, au désespoir voire à la haine avant que les
choses ne s'apaisent (si elles s'apaisent un jour...) Bien sûr, il
est question de tout cela dans le livre, je ne le nie pas, mais
insuffisamment à mon sens ou de façon beaucoup trop superficielle :
Laurent donne l'impression de surmonter finalement assez facilement
tous les obstacles.
Par
ailleurs, une autre question me taraude : la lingerie, le
maquillage, les perruques, le parfum semblent tenir une place
essentielle pour Laurent. Même si je sais que la transformation
physique d'un trans est importante, je me demande si tout ce
travestissement est nécessaire. Je m'interroge : est-on obligé
de passer par là pour être femme ? La féminité se
résume-t-elle à cela ? Finalement, suis-je femme moi qui ne
porte ni talons hauts, ni soie, ni maquillage ? A-t-on besoin,
pour se sentir femme, d'aimer danser en string rouge et en
porte-jarretelles dans des boîtes de nuit ? Ou est-ce un cliché
de plus ? (Et si c'était le cas, ce serait vraiment désolant!)
Je me pose la question même si j'ai bien conscience que moi, en tant
que femme, je n'ai précisément pas besoin de passer par ces
symboles un peu outranciers. Mais, est-ce une nécessité pour un
trans de passer par là ? Voilà le type de question que
j'aurais aimé voir aborder dans le livre par exemple.
Évidemment, finir un roman sur une touche plus sombre, en s'inquiétant par exemple du devenir d'un adolescent dont on s'est plus ou moins débarrassé en le mettant en pension est moins léger, ça plombe un peu, c'est sûr, ça pèse même un peu lourd sur la conscience mais cela a au moins le mérite de poser les vraies questions sur un sujet que l'on connaît mal, ce qui permettrait éventuellement d'avoir un jour un point de vue plus juste et donc plus apaisé sur un thème encore tabou et sur lequel pèsent des clichés qui n'aident certainement pas à comprendre et donc à accepter. Et c'est bien dommage.
Évidemment, finir un roman sur une touche plus sombre, en s'inquiétant par exemple du devenir d'un adolescent dont on s'est plus ou moins débarrassé en le mettant en pension est moins léger, ça plombe un peu, c'est sûr, ça pèse même un peu lourd sur la conscience mais cela a au moins le mérite de poser les vraies questions sur un sujet que l'on connaît mal, ce qui permettrait éventuellement d'avoir un jour un point de vue plus juste et donc plus apaisé sur un thème encore tabou et sur lequel pèsent des clichés qui n'aident certainement pas à comprendre et donc à accepter. Et c'est bien dommage.
Bon ben je vais peut-être passer mon chemin. Je l'avais repéré à la bibliothèque. Pour plus tard ou pour une soirée ☺️
RépondreSupprimer... bon film. Mon message a été tronqué..
RépondreSupprimerJ'ai moi aussi été déçue mais moins que toi. Disons qu'Amours est pour moi une telle réussite que je me doutais que la suite allait me décevoir.
RépondreSupprimerVotre critique de ce roman est très juste, vous en avez bien perçu les failles y compris pour cette question qui vous "taraude".
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