Éditions Sonatine
★★★☆☆ (pas déplaisant...)
J'ai
déjà lu pas mal de romans policiers dans lesquels il ne se passait
pas grand-chose… Et à vrai dire, j'aime assez le concept !
Je ne suis pas vraiment une adepte de l'hémoglobine, de la violence,
des courses-poursuites… J'aime le propre, le net, le pas compliqué
en terme d'intrigue (autrement je ne comprends rien) et moins il y a
de mouvements, d'agitation, mieux c'est.
Bref,
j'aime qu'on assassine et qu'on enquête... sans se salir, sans
courir, et en prenant le temps de déguster régulièrement une tasse
de café (j'suis pas très thé et encore moins tisane) ou une p'tite
pression (même si, pour ma part, j'aime mieux le cidre...)
Eh
bien là, j'ai été servie ! Disons-le : il ne se passe
absolument RIEN, mais RIEN de RIEN dans le dernier roman de Graeme
Macrae Burnet ! Degré zéro de l'intrigue... Franchement, à ce
point, je n'aurais pas osé ! Surtout que le roman est publié
chez Sonatine, maison d'édition spécialisée dans la littérature
policière… Je pense que certains lecteurs vont tomber des nues…
Au moins, vous, vous serez prévenus ! J'aime beaucoup
d'ailleurs la phrase inaugurale, et augurale par la même occasion
puisqu'elle annonce immédiatement le programme : « Il
semblait n'y avoir rien de particulier à signaler au sujet de cet
accident sur l'A35. ») Ah, ah… C'est exactement ça !
Flaubert qui voulait écrire un livre sur rien peut aller se
rhabiller… (Oui, je sais, chez Flaubert, il y a l'écriture…)
Ce
roman manque-t-il pour autant d'intérêt ? Eh bien non !
Et c'est peut-être cela le plus extraordinaire ! J'ai lu ce
récit avec plaisir, élaborant mille dénouements, douze mille
renversements de situation, cent mille rebondissements plus fous les
uns que les autres et qui ne se sont jamais présentés… Ce texte
est une espèce d'O.V.N.I de la littérature policière qui tient des
romans de Simenon (un bandeau rouge nous apprend d'ailleurs que
l'auteur est le Simenon du XXIe siècle - ce qui est très juste!) On
y retrouve aussi l'atmosphère étouffante et oppressante des films
de Chabrol : les petites villes de province où règnent
l'ennui, les non-dits et où les commérages vont bon train. Mais
vous pouvez aussi ajouter une cuillère à café de Camus et
notamment du personnage de Meursault (oui oui de L'Étranger!) et du
sentiment d'absurde…
Mélangez
le tout et vous voilà à... Saint-Louis en Alsace, à une
quarantaine de kilomètres de Mulhouse (où, après cette lecture,
vous ne louerez à coup sûr aucun airbnb). À lire sur Internet les
commentaires des habitants (actuels), c'est plutôt pas franchement
attirant comme coin : froid (dans tous les sens du terme), cher
(la Suisse n'est pas loin), un peu coincé, bref… nombreux sont
ceux qui rêvent d'en partir… Le roman d'ailleurs nous en parle en
ces termes : « Saint-Louis est une commune
relativement insignifiante située dans la région des
Trois-Frontières, au carrefour de l'Allemagne, de la Suisse et de
l'est de la France. Ses vingt mille habitants peuvent se répartir en
trois groupes : ceux qui n'aspirent pas spécialement à vivre
dans un endroit moins terne ; ceux qui n'ont pas les moyens de
partir ; et ceux qui, pour des raisons connues d'eux seuls, s'y
plaisent. »
Georges
Gorski, inspecteur dans cette ville, est amené à enquêter sur un
banal accident de voiture : un certain Bertrand Barthelme,
notaire du coin, a trouvé la mort brutalement une nuit tandis qu'il
se rendait… Eh oui, c'est bien ça le problème… C'est qu'on ne
sait pas où il se rendait ni précisément ce qu'il faisait sur
cette route et à cette heure-là. Et c'est sa femme qui va
discrètement demander à l'inspecteur d'enquêter, car elle
s'interroge… Oui, normalement, tous les mardis soirs, son mari va
dîner avec ses collègues… Et il n'avait donc rien à faire sur
cette route !
Le
problème c'est que Gorski n'a aucun doute : c'est un accident.
Point barre. Maintenant, Madame Lucette Barthelme est plutôt jolie
et son décolleté plongeant assez tentant… Gorski veut bien faire
un petit effort mais il a lui-même pas mal de soucis et une belle
dépression à peine contenue qu'il noie régulièrement dans
l'alcool : sa femme l'a quitté, ses collègues l'apprécient
peu et sa mère perd la tête… (J'aime bien cet inspecteur qui a
encore un brin de morale, d'humanité et n'aime rien tant que de
s'asseoir derrière un bar pour siroter un demi…)
Que
dire encore ? (Pas la peine de me prier de ne rien dévoiler…
Là-dessus, il n'y a pas grand risque… ah, ah, ah…) Bon,
finalement, celui que nous allons suivre de près s'appelle Raymond
Barthelme, fils du défunt… Oui, c'est lui qui va passer sur le
devant de la scène… C'est lui aussi qui m'a fait penser à
Meursault… Il est assez étrange ce garçon, un peu paumé… On ne
sait pas trop ce qu'il cherche ni comment il va réagir… En tout
cas, la mort de son père ne semble pas beaucoup le peiner… Il va
trouver dans un tiroir du bureau paternel un mot sur lequel est notée
une adresse… Qui a pu écrire cela ? Et pourquoi ?
Roulements de tambour… Suspense insoutenable…
L'écriture
extrêmement minutieuse dans les descriptions crée, je trouve, plein
de leurres : on se dit qu'en effet, si deux pages (ou plus) sont
consacrées à la description d'une femme qui entre dans un bar avec
son petit chien, boit un cognac puis ressort, oui, on se dit que
cette femme a forcément quelque chose à voir avec l'intrigue… Eh
bien non ! Les détails abondent sans qu'ils aient de lien avec
l'intrigue. Les portraits à la Degas (vous savez la femme devant son
verre, « l'Absinthe ») sont nombreux et franchement assez
réussis et l'atmosphère étouffante de la petite ville, la
mélancolie, la tristesse, l'ennui qui pèse comme un couvercle sur
les esprits (etc, etc.) assez génialement rendus, il faut bien le
dire… Chacun semble traîner sa misérable vie comme un fardeau...
Une éventuelle enquête policière sur un éventuel meurtre aurait
pu divertir, distraire un tant soit peu les âmes en peine… Mais il
n'en est rien. Le vide demeure, aucune issue ne se présente et
chacun reste à sa place. Plus qu'un roman policier, L'Accident
de l'A35 présente un tableau d'une province française
tristounette aux décors surannés et de ses habitants dans les
années 80/90 (pas de portables etc, etc, un autre monde quoi...)
Pas
désagréable à lire mais il manque quand même, à mon avis, un
petit quelque chose…
(Cela
dit, j'aime bien Gorski, oui, lui, je l'aime bien...)