Bon, allez, on rassemble piolets, cordes, crampons, peaux de phoque, couteaux à glace, boussole, cartes et l’on s’enfonce dans la matière, la substance, le blanc, l’effacement, la virginité, en un mot, la beauté . Le rêve ? Pas vraiment : il fait un froid horrible, on ne voit rien, on risque à tout moment de se retrouver coincé sous une avalanche et le soir, la température du gîte oscille entre 1° et 5° (et l’on est très content quand on a 5°…) Franchement, c’est un bonheur de lire les crapahutages du gars Tesson surtout quand on est bien au chaud sous sa couette. Il est incroyable ce type : il faut imaginer un Pascal en vadrouille, un La Rochefoucauld alpiniste. Il parle comme un philosophe ou un moraliste du 17e. Il est le « mariage … entre le muscle et l’âme, la vie sauvage et les raffinements de l’esprit.» Il nous invite aux « noces de la plume et du piolet.» C’est délicieux, on se régale. On n’avait pas forcément imaginé qu’il existât des intellectuels sportifs, des athlètes poètes. Avec Tesson, on est servi. D’ailleurs, dans le fond, le blanc sert à ça : penser, méditer, refaire le monde. On peut aussi réciter des poèmes, chanter, penser à des visages, ou selon l’altitude, revoir son Histoire de France : à 1100 mètres, on côtoie les chevaliers de la Table Ronde, à 1700 mètres, on révise son Louis XV. Et puis, « la moindre course dans la montagne dissout le temps, dilate l’espace, refoule l’esprit au fond de soi. » C’est moins cher qu’une thérapie. Plus risqué aussi. Quoique… Et puis, savoir où aller, ça occupe. Le mouvement, toujours le mouvement… Avancer, avancer. Savoir par où passer. Impossible de se poser. Si on ne bouge pas, on y reste. La vie est en jeu. Évidemment, il faut des heures pour faire quelques mètres. Dans un sens, c’est mieux pour méditer, plonger en soi... Et puis le soir, on est content de trouver un feu de cheminée, un coin où dormir et une assiette de soupe. C’est le paradis. « Mais l’homme est ainsi fait que pour apprécier l’amitié d’un poêle à bois, il lui faut d’abord skier entre les avalanches.» Que c’est agréable de n’avoir rien et de n’être rien. L’homme moderne en est réduit à cela. Le temps de la vacance. Faire l’expérience du rien. Quitte à en mourir. C’est en frôlant la mort que l’on se sent vivant…
Un bon bouquin... On n’est jamais déçu avec Tesson. Il est intelligent, lettré. De bonne compagnie. Il a un sacré besoin de s’agiter. Ah le fameux divertissement… Chacun le trouve où il peut. Moi, je crois que tout ce blanc me donnerait un sacré cafard… Pas vous ?