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mercredi 20 mars 2024

L'échec Comment échouer mieux de Claro

★★★★★

C’est dans la très courte nouvelle de Samuel Beckett intitulée « Cap au pire » «Worstward Ho »  que l’on trouve la citation suivante :« Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. » traduite ainsi: « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Si vous ne connaissez pas cette nouvelle incroyable, je vous invite à en lire un extrait ici: https://excerpts.numilog.com/books/9782707313966.pdf

Beckett tente une expérience de l’effacement (de la mort?). Le lecteur perd tout repère, il n’y a plus de personnages, plus de lieux, plus de temps et presque plus de mots. L’oeuvre s’annule et disparaît, comme si le romancier voulait atteindre une espèce d’anéantissement complet, une sorte de rien, de vide, de non-être (sans y arriver car il reste toujours des mots sur la page) et finalement, cette recherche de l’échec absolu (totalement désespéré), on le voit, produit du pur Beckett, du nectar de Beckett, du Beckett pur jus… (vraiment, allez y jeter un œil, cela vaut le détour!)

S’inspirant donc de cette citation, Claro nous parle dans son dernier livre de l’échec en littérature. Claro propose un texte multiforme : essai, pensées, fiction, réflexions, autobiographie, listes, définitions, pastiches, poésie, le tout agrémenté de jeux de mots, de clins d’oeil, de sous-entendus, de détournements de citations… Le texte est intelligent, brillant, plein d’humour et bourré de références… Il vaut mieux le lire à tête reposée tellement le raisonnement prend parfois des voies un peu tortueuses, voire discutables, mais toujours très stimulantes. C’est du Claro : ça pétille, ça fourmille d’idées et franchement, même si l’on n’a pas toutes les références, on s’amuse bien !

J’ai adoré la première partie où il est question de la traduction : Claro est traducteur et romancier, il sait donc de quoi il parle! En effet, traduire, selon Claro, c’est forcément échouer. L’échec serait le fondement même de la traduction : comment substituer une langue à une autre, un monde à un autre monde, une époque à une autre époque ? « Quand je traduis « bread » par « pain », je fais comme si le rectangulaire pain anglais avait le pouvoir de s’arrondir, s’allonger, se fendiller, et dorer pour prendre l’allure d’une sémillante baguette parisienne. »

Sans compter qu’un mot a un sens ET une forme. Que dire de Baudelaire qui traduit le mot tout riquiqui « dull » par le beau « fuligineux » ? Quelle erreur !  « « Dull » sent l’échec… on dirait que la bouche l’émet à peine… « fuligineux », lui, serpente, ... un peu prétentieux…. Il répand ses cendres avec panache. »

« Il existe entre les langues une faille infranchissable » conclut l’auteur. 

Intéressantes aussi ses réflexions autour de la traduction du début de « Mile Zero » de Thomas Sanchez : « It is about water. » Comment traduire ce début ? Pas si simple !

Quant au titre « Under the volcano » de Malcolm Lowry, Claro en dit ceci : « Voulez-vous être « au-dessous » du volcan ou « sous » le volcan ? Invitation au débat...

Passionnante aussi sa façon de procéder lorsqu’il doit traduire une œuvre parue en 1960 mais dont l’histoire se déroule au XVIIe …

Et puis, ajoute l’auteur, il faudra un jour se résoudre à virer le lit de la chambre de Virginia Woolf... Mais oui, c’est vrai, pourquoi l’a-t-on reléguée dans une chambre alors qu’elle demandait une pièce entière, un lieu à elle? Je n’avais jamais pris conscience de cette traduction fautive ! « La room woolfienne n’avait rien d’un boudoir et l’on aurait pu s’en aviser un peu plus tôt. » s’exclame l’auteur !

Claro aborde ensuite le sujet de l’écriture. En effet, écrire, comme traduire, c’est échouer : on gomme beaucoup, on rature, on fait des brouillons et ça finit souvent à la poubelle ! Et c’est plutôt bon signe si l’on veut tenter d’échapper à « l’écriture pavillonnaire », l’expression est d’Éric Chevillard et elle désigne des livres qui se ressemblent et utilisent les mêmes clichés...

Écrire, c’est échapper à certains pièges : celui par exemple de vouloir DIRE. Le mieux serait même que l’écrivain n’ait rien à dire. Le « dire » oblige l’écrivain à « se plier au langage commun.» « Écrire serait donc ne pas dire mais contre-dire.» Bien dit !

Ainsi, échouer en écriture devient la condition même de l’écriture, fondée sur le principe du recommencement, de la correction, de l’effacement.

Il est question aussi de Kafka. (Peut-on dire qu’il a échoué pour la raison que son œuvre est inachevée, lacunaire, fragmentaire ? Je m’interroge...) Peut-être peut-on parler d’une œuvre en attente de fin, comme les personnages kafkaïens sont en attente d’un châtiment, d’une mort, d’un jugement. Ainsi le mot  « fin »  chez Kafka n’est-il pas vraiment opérant... Et l’échec (l’impossibilité d’en finir) prend tout son sens et donne à l’oeuvre toute son épaisseur...

Pessoa, l’homme aux nombreux pseudos, a échoué lui aussi : il a « échoué à n’être que Pessoa.» « Je suis un fragment de moi-même conservé dans un musée abandonné » dit-il en parlant de lui-même. Cette fragmentation est peut-être précisément à l’origine d’une œuvre polyphonique bien plus intéressante qu’un bloc organisé et cohérent, « une œuvre ouverte et infinie.» qui n’est possible que par l’échec... Finalement, la réussite réside dans une espèce d’aboutissement de l’échec. Un échec parfait.

Un texte stimulant !

Désolée, Claro, vous n’avez pas échoué et malgré tout votre livre est réussi… Comme quoi, l’échec n’est pas à la portée de tous… N’échoue pas qui veut !


 

vendredi 8 mars 2024

Sous la menace de Vincent Almandros

★★★☆☆

 Incontestablement, il est doué Vincent Almendros. Doué pour créer une atmosphère pesante, doué pour décrire minutieusement l’attitude d’un personnage, son malaise, ses hésitations, ses contradictions, la façon dont il perçoit le monde, doué pour lancer le lecteur sur de fausses pistes. On se fait à chaque fois gentiment berner, on relit ce qu’on vient de lire, surpris par la précision inattendue que l’on vient de découvrir. L’auteur s’amuse de notre naïveté, il déjoue nos attentes, nous piège, livre ses infos au compte-gouttes. Il faut être attentif à tout dans les livres d’Almendros car les détails ont leur importance. Mais en même temps, il faut avoir une vision globale car les gros plans peuvent nous empêcher de considérer l’ensemble avec justesse. Un pronom personnel, le double sens d’un mot, la structure d’une phrase peuvent facilement nous tromper. Il faut rester très attentif. De même, le début in medias res nous plonge dans le doute : qui est le « je » qui parle, qui est Chloé, qui est celle « qui n’en avait pas pour longtemps » ? La mère ou Chloé ? Et « pas pour longtemps » pour finir ce qu’elle est en train de faire ou parce qu’elle va mourir ? Les livres de Vincent Almendros sont d’habiles thrillers, des page-turners que l’on ne repose qu’après les avoir avalés d’une traite. A chaque page, on s’attend au pire. Je ne vous dis rien sur l’histoire (étouffant huis clos familial), suspense oblige, et ne lisez pas la 4e de couv’ !

J’ai découvert cet auteur avec l’incroyable « Faire mouche » (2018) et paraît-il que le précédent « Un été » est vraiment excellent. Cela dit, j’avoue avoir été un peu déçue par la fin de « Sous la menace » ; je trouve que si l’écriture est toujours aussi addictive, le dénouement est un peu frustrant et l’on reste sur sa faim. Dommage. Vivement le prochain !