Éditions de l'Observatoire
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Il
y a l'Histoire que l'on apprend à l'école : les dates, les
événements, les noms des hommes illustres et puis celle que l'on
découvre plus tard lorsqu'un roman décide de la rendre vivante,
d'incarner ces femmes et ces hommes qui ont fait l'Histoire,
d'imaginer leurs pensées, leurs doutes, leurs souffrances et c'est
précisément cela que Sébastien Spitzer réussit à merveille dans
son premier roman : Ces rêves qu'on piétine.
Les
premières pages s'ouvrent sur une longue marche, une parmi tant
d'autres, une marche de la mort… Terrible fin de guerre, la
Seconde… « Des cohortes de guenilles maculées de mois de
crasse, tiraillées par le manque. La faim, la soif, les proches,
l'avenir. Des cadavres en mouvement. »
Aimé
marche. Il vient de Stöcken (Hanovre). Il porte un rouleau de cuir
caché dans sa veste : « La mémoire des camps.
Témoin écrit de leurs vies effacées. » Ce rouleau qui
renferme des lettres et des témoignages sera le fil conducteur du
roman, transformant les différents protagonistes en maillons d'une
chaîne, chacun se relayant pour que la vérité soit sue et que rien
ne soit oublié. Au bout de cette chaîne humaine, il y a une femme à
qui sont destinées ces lettres, pauvres missives d'un père juif
désespéré à sa fille qui jamais ne s'autorise à penser à lui.
Cette fille se nomme Magda. Nom de famille : Goebbels.
1945,
c'est la fin de la guerre, Berlin est assiégée et les hauts
dignitaires nazis se planquent au sein de leur bunker dans les
jardins de la chancellerie du Reich. Ils ont compris que c'était
fini : Magda et Joseph Goebbels sont là avec leurs six enfants
Helga, Hildegarde, Helmut, Holdine, Hedwig, Heidrun. Sont présents
aussi Eva Braun, Adolph Hitler, son secrétaire particulier Martin
Bormann, un chargé des communications téléphoniques Rochus Misch,
un médecin, le docteur Stumpfegger, du personnel administratif, des
militaires, des cuisiniers et la chienne d'Hitler, Blondi… Enterrés
sous une épaisse couche de béton…
Sur
les routes, les survivants des camps par milliers continuent
d'avancer. Les nazis souhaiteraient les faire disparaître au plus
vite afin que personne ne puisse témoigner... Certains tombent
d'épuisement, d'autres sont fusillés ou brûlés dans des granges.
Les corps sont au plus vite jetés dans des charniers. L'horreur des
camps se poursuit sur les routes...
Ava,
née en camp au block 24-A, et sa mère luttent, elles n'en peuvent
plus…
Le
récit de Sébastien Spitzer passe d'un groupe à l'autre : d'un
côté les assassins, les bourreaux qui sentent que leur heure est
venue, qu'elle est imminente et qui imaginent déjà la forme que
cette mort va revêtir, de l'autre, une lutte de chaque seconde pour
survivre. Triste contraste. Des deux côtés, pour des raisons
évidemment bien différentes et non comparables, pauvre humanité...
Dans
le bunker, l'auteur
s'intéresse surtout au personnage de Magda
Goebbels
dont
il retrace l'existence. On
la découvre alors qu'elle assiste au dernier concert du
philharmonique
organisé
par son vieil ami Speer
et
écoute
le Crépuscule des dieux. Elle
est rapidement conduite dans le bunker. La
situation est
incompréhensible pour elle. La fin du Reich :
simplement
impossible. Ce
serait la fin d'un monde dont elle est la première
dame,
une reine
« puissante
et respectée »,
au fait de sa gloire, au paroxysme de son ascension sociale. Elle
se croit au
contraire
« loin
des croche-pieds du sort ».
Quelque
chose va se produire, la situation de l'Allemagne va s'inverser,
forcément… Enfermée
entre
ses quatre murs de béton,
elle pense à son destin que le lecteur découvre alors
que
cette femme
fait le point sur sa vie.
On n'imagine pas forcément qu'elle est née de la liaison d'une petite employée de maison avec son patron et qu'elle fut placée à Vilvorde dans un pensionnat religieux où étaient éduquées des jeunes filles de bonne famille. Déjà, dans ses pensées, on sent qu'elle en veut : « Chaque soir, dans ses prières, elle se jurait qu'elle serait différente, qu'elle porterait de beaux souliers, puis de belles robes, que son mari ferait la pluie et le beau temps, que des jardiniers passeraient le râteau chez elle et qu'elle n'aurait plus jamais à partager sa chambre, qu'il n'y aurait plus de promiscuité, de pensionnaires... »
On n'imagine pas forcément qu'elle est née de la liaison d'une petite employée de maison avec son patron et qu'elle fut placée à Vilvorde dans un pensionnat religieux où étaient éduquées des jeunes filles de bonne famille. Déjà, dans ses pensées, on sent qu'elle en veut : « Chaque soir, dans ses prières, elle se jurait qu'elle serait différente, qu'elle porterait de beaux souliers, puis de belles robes, que son mari ferait la pluie et le beau temps, que des jardiniers passeraient le râteau chez elle et qu'elle n'aurait plus jamais à partager sa chambre, qu'il n'y aurait plus de promiscuité, de pensionnaires... »
Une
ambition démesurée, un
goût du pouvoir sans limites,
une volonté de se hisser au plus haut rang de la société, voilà
ce qui caractérise Magda Goebbels.
Coûte que coûte, quels
que soient les moyens d'y parvenir, elle y arrivera. Rien ne pourra
l'arrêter.
Lorsque
sa mère vient la
voir au pensionnat, elle lui présente son nouveau compagnon,
Monsieur Richard Friedländer,
un riche commerçant juif
qui
l'élèvera
comme sa fille.
Après
avoir eu une relation amoureuse avec Victor Arlosoroff, un
jeune sioniste, frère d'une de
ses
amies,
elle épousera
Gunther
Quandt, un riche industriel allemand dont elle aura un fils Harald.
Mais
elle divorcera une dizaine d'années plus tard.
Puissamment attirée par le pouvoir et tout ce qui tourne autour, elle s'inscrit au Parti national-socialiste où elle rencontre Joseph Goebbels dont l'aura la fascine : « Il n'y avait plus d'orchestre, plus de micro sur l'estrade, qu'un vague murmure éteint, un contentement de foule dont la masse auparavant compacte se déchirait en lambeaux dans les gradins, aux étages, derrière et devant elle. Ils avaient aimé ça. Ils avaient aimé cette puissance. Le pouvoir d'un seul homme. Au-dessus. Au-dessus des autres. C'était sexuel. Absurde, aussi. Magda avait bien observé cet homme. Elle l'avait même envisagé. Pas lui. Mais ce qu'il incarnait. Celui qui restait droit quand les autres le buvaient. Celui qui faisait crier. Sa place à elle était là-haut. Au-dessus. Elle méritait l'estrade, la droite du chef. Elle aimait qu'on la regarde. Bientôt ce serait son tour… Qu'il était laid, sans la foule. Mais il y avait la foule. »
Puissamment attirée par le pouvoir et tout ce qui tourne autour, elle s'inscrit au Parti national-socialiste où elle rencontre Joseph Goebbels dont l'aura la fascine : « Il n'y avait plus d'orchestre, plus de micro sur l'estrade, qu'un vague murmure éteint, un contentement de foule dont la masse auparavant compacte se déchirait en lambeaux dans les gradins, aux étages, derrière et devant elle. Ils avaient aimé ça. Ils avaient aimé cette puissance. Le pouvoir d'un seul homme. Au-dessus. Au-dessus des autres. C'était sexuel. Absurde, aussi. Magda avait bien observé cet homme. Elle l'avait même envisagé. Pas lui. Mais ce qu'il incarnait. Celui qui restait droit quand les autres le buvaient. Celui qui faisait crier. Sa place à elle était là-haut. Au-dessus. Elle méritait l'estrade, la droite du chef. Elle aimait qu'on la regarde. Bientôt ce serait son tour… Qu'il était laid, sans la foule. Mais il y avait la foule. »
Terrible
portrait que celui de cette femme prête à se donner corps et âme à
l'homme
que l'Allemagne admire…
Sur
les routes, c'est la tragédie d'Aimé,
de
Judah, d'Ava
et de
sa mère Fela que nous suivons : la lutte de tous les instants
pour échapper au pire, à la grange où ils sont parqués et que
l'on brûle, à
la course contre la mort, à la nécessité de vivre cachés,
aux coups de feu que les paysans tirent par peur d'être attaqués et
volés, à l'épuisement qui les guette. Peu de mots pour exprimer
une telle souffrance… Fela porte un sac dont elle ne se séparerait
pour rien au monde et qui contient des lettres...
C'est
avec beaucoup d'adresse et un immense travail de recherche que
Sébastien Spitzer a su rendre vivants tous ces personnages de
l'Histoire, les mettre en scène, nous permettant d'une certaine
façon de mieux les approcher, de mieux les voir, à défaut de les
comprendre - certains actes resteront à jamais incompréhensibles.
J'ai
dévoré ce texte, en ai apprécié l'écriture très rythmée et une
construction assez habile créant de saisissants effets de
contraste. J'ai bien sûr découvert des éléments historiques que
je ne connaissais pas et qui m'ont littéralement stupéfiée.
D'ailleurs, la puissance d'évocation de certaines scènes est telle
que je ne les oublierai jamais.
Terrible
Histoire, terribles histoires, destins gâchés, rêves piétinés…
Mais j'arrête là et vous laisse découvrir ce premier roman dont on
va certainement beaucoup entendre parler...
A
lire absolument !