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dimanche 27 mars 2022

Les événements, suite d'Isabel Ascencio

Éditions du Rouergue
★★★★★

 Attention, coup de coeur !

Il y a des livres dont on entend peu parler et pourtant, ils réunissent tout ce que l’on attend de la littérature : une écriture, une réflexion sur les hommes, les lieux qu’ils habitent et qui les habiteront pour toujours, l’Histoire qu’ils traversent et qui s’inscrira à jamais en eux... Tout cela est là, dans le dernier livre d’Isabel Ascencio : un livre fort, très fort, de ces romans qu’on n’oublie pas et dont les personnages nous accompagnent pour longtemps.

Joëlle Leblanc, la narratrice, a quitté le Jura où elle vit pour se rendre à l’enterrement de son père Serge Leblanc, dans le Nord. C’est l’histoire de ce père qu’elle va raconter, un pied-noir, un exilé, qui a quitté l’Algérie en 1962 pour se retrouver un peu perdu dans les rues de Marseille… S’en suivront une rencontre avec une femme, un mariage, deux enfants, une installation dans une commune du Var, avec, en prime, l’achat d’un petit terrain non constructible sur les hauteurs du village, « dix ares de vieilles souches en pentes raides » et un cabanon de douze mètres carrés avec une vue sur la baie de Bandol quand le ciel est dégagé…

Un lieu à soi, pour aller pique-niquer en famille.

Un bout de terre qui rappelle tant les pieds de vigne du trisaïeul, là-bas, en Algérie...

Serge Leblanc aurait pu mener une vie paisible assis sur son coin de terre aride, les yeux perdus dans la contemplation du ciel bleu méditerranéen lavé par le mistral.

Mais un homme n’est pas une ligne droite. Non, un homme est fait de nostalgie, de souvenirs, de paysages, d’images, de sensations, d’attachement à une terre, à une enfance. Et tout cela est là, en chacun, et chacun est la somme de cet ailleurs, de ces territoires, de ces espaces en dehors desquels être chez soi ne va pas de soi...

Ainsi, Serge Leblanc a beau mettre un pied devant l’autre chaque jour, son coeur est resté attaché à l’Algérie et ce qu’il porte en lui du passé va lui jouer des tours car l’on est sensible aux êtres qui ont les mêmes images dans les yeux...

Et pourtant, peut-être aurait-il pu (dû ?) détester immédiatement Michel Garrigou, le Marseillais, une grande gueule qui aime raconter ses « vingt-huit mois d’Algérie et dix de rab dans la foulée », les yeux brûlés par le soleil, les pieds en sang dans les rangers, la trouille qui tord le ventre de celui dont la mission était « le maintien de l’ordre » … Bel euphémisme… « J’ai tout fait pour te le sauver ton pays » dira Garrigou à son ami.

N’empêche, les Arabes, Garrigou en parlera toujours à Serge en disant « tes Arabes »… Et dans ce petit village du Castoul, sur ce même territoire bien circonscrit, il y en a des Arabes : la famille Taïeb par exemple. Tout le monde les connaît bien les Taïeb… Ils ont perdu une fille, une petite Najet, qui n’est jamais rentrée d’un voyage en Algérie.

Bientôt, ils perdront un fils… Les accidents sont si vite arrivés… Le fils Taïeb renversé par une voiture… conduite par Serge Leblanc.

C’est lui, il a avoué...

Ça lui ressemble tellement peu à Serge Leblanc de s’alcooliser, de conduire vite au risque de renverser un jeune garçon sur son scooter.

Un jeune Arabe…

Un portrait sensible et tout en nuances d’un père introverti, silencieux, hanté par les lieux d’avant, ceux de l’enfance, du passé, de la mémoire, un homme « tout résigné au sort qui l’accable, déterminé à survivre encore une fois avec ce qu’on lui laisse », un homme « profondément habitué à perdre.»

Et autour de lui, une femme, deux enfants, des amis qui vont s’inscrire dans son destin, tenter d’y trouver leur place, de l’aimer, de profiter aussi de sa générosité et de sa fragilité... 

Des êtres qui ont chacun leurs raisons d'être ce qu'ils sont...

Un récit très fort et tout en tension… 

 Magnifique !


 

mercredi 9 mars 2022

Un couple et sept couffins de Michel Simonet

Éditions Conférence
★★★★☆

 On l’avait connu balayeur de rues à Fribourg dans « Une Rose et un Balai » (quand on parle suisse, on dit cantonnier, comme sur la route de Louviers...), il nous revient père de famille et comme il ne fait rien à moitié, il a signé pour sept gamins... Rien que ça ! Bon, il a tout connu... Faut-il que je vous fasse la liste ? Il a même renoncé (temporairement) à la littérature : « Devoir parcourir pour la vingtième fois de suite les textes illustrés de Monsieur Propre ou de Madame Chipie alors que prennent la poussière sur l’étagère Marguerite Yourcenar et Fiodor Dostoïevski... » et je passe sur les visites aux musées « qualifiées de chiantes » (ah, ah, je connais!!!), les trajets en voiture à écouter des « sons » (comme disent les ados) dégoulinants plutôt que des choeurs byzantins … (souvenirs souvenirs) (j’en ai eu quatre moi qui vous cause!) Ah, les renoncements…

Et pourtant quel peps dans ce livre ! D’où tirent-ils toute cette énergie, les Simonet, cette sagesse, hein, d’où ? Quelle est leur recette ?

Sept gamins, tous différents évidemment : entre la petite dernière « qui n’attend pas l’âge des paliers du langage pour lancer à peine levée un réactif Ta gueule, gros con ! », le solitaire qui « demande l’impossible le plus vite possible », la « pitchoune dont on remarque très vite qu’elle n’a pas été bercée trop près du mur »… Quelle vie dans ce deux pièces qui très vite se transforme en maison avec chacun sa chambre (même si au début personne ne veut se séparer des frangins pour la nuit….) Et puis, le père Simonet, c’est un vrai père qui emmène ses gamins au bac à sable, les change, s’occupe des leçons, les conduit au sport, à la musique etc etc … Bon, c’est vrai, il lui arrive d’en oublier sur place mais, pas de panique, on les retrouve généralement (et puis, on a le droit à un pourcentage de perte, non?)…

Des cathos les Simonet ? Oui ! (mauvaise langue que je suis, j’allais dire « évidemment »…) et des cathos suisses en plus!!! Waouh ! Des cathos qui font des retraites de catho, des cathos qui marchent dans la montagne suisse parce que quand on est Suisse, faut avoir une « géographie pratique et patriotique.» Ouh là là, ne partez pas, restez là parce qu’un Simonet comme Simonet, un catho comme Simonet, un Suisse comme Simonet, bon père de famille et tout et tout, ce n’est qu’ouverture d’esprit, générosité, non conformisme et drôlerie ! Eh oui ! Faut pas toujours se fier aux apparences...

(Ok, je suis sortie très très loin de ma zone de confort et alors, faut être un peu ouvert, non?)

Encore une chose : il écrit très bien, Simonet, il joue avec les mots, les sonorités…

Simonet, il aime sa femme, ses gosses, la vie.

Oui, je sais, ça peut rendre un peu jaloux ...

Moi, Simonet, je l’aime bien.

D’ailleurs, comme preuve d’amour, je lui enverrais bien mes gosses...






 

jeudi 3 mars 2022

Virgile s'en fout d'Emmanuel Vernet

Éditions Verdier
★★★☆☆

 C’est l’histoire « d’un médecin qui voudrait écrire... mais qui ne sait pas au juste où l’écriture le mène », un homme qui souffre « d’une forme d’écartèlement interne » entre la littérature et la médecine...

Est-ce que « ça intéressera les lecteurs ? Peut-être, on verra bien. »

Qu’il se rassure Emmanuel Venet, la vie banale d’un jeune interne (un double de l’auteur certainement) passionné de littérature et qui se voudrait écrivain sans avoir rien à dire ni vision particulière du monde, ça nous intéresse, nous, les lecteurs !

On s’amuse de ses démêlés amoureux avec la belle et irrésistible Alexia Maurer ou avec une certaine Chantal Magnard à la « croupe un peu large et aux idées indéniablement étroites » qui voudrait bien devenir son épouse et faire de lui un gentil cardiologue de province... On se régale de cette bande d’amis qui ont entrepris de bâtir l’impossible liste des cent meilleurs livres de la littérature française… Que de discussions, de disputes à ce sujet !

Oui, on retrouve avec grand plaisir l’auteur du génial « Marcher droit, tourner en rond », son humour piquant et sa vision désenchantée du monde…

En revanche, les lecteurs iront-ils jusqu’à lui pardonner ces très nombreuses pages barbantes sur les histoires de Thésée, Phèdre et autres personnages mythologiques dont on n’a que faire, pages que l’on finit par ne plus lire tellement l’on a hâte de retrouver notre antihéros et le mal-être existentiel qu’il traîne avec lui.

On a bien compris que notre petite vie que l’on s’invente comme on peut ne fait que reproduire des schémas vieux de plus de mille ans, que notre petite histoire n’est que le reflet d’autres histoires, toujours les mêmes, qu’on ne se sortira jamais des « je t’aime moi non plus », des « fictions conjugales » auxquelles on croit très fort mais qui ne durent qu’un temps… Était-il vraiment nécessaire de mêler à la vie de notre interne celle de personnages mythologiques (dont on se fout royalement) qui viennent rompre le plaisir de la lecture pour comprendre que  nous sommes « partie prenante d’un enchevêtrement d’histoires dont [on] ne sait rien, banalement ignorants de [nous-mêmes] et du monde, faits de pièces et de morceaux éparpillés dans une mémoire sans sujet et réunis dans un corps sans mémoire » ?

Éventuellement (et encore!), un traitement particulier de ces petits récits aurait pu retenir l’attention mais ce n’est hélas pas le cas et l’on se retrouve à lire des extraits de dictionnaire de la mythologie... Dommage. Vraiment dommage.

Parce que franchement, on l’aime beaucoup Emmanuel Venet, et on est même prêt à lui pardonner parce que « Virgile s’en fout » renferme des pages merveilleuses sur la vie et la littérature, de celles qu’on aime à relire régulièrement à haute voix tellement elles nous enchantent...

« Comme chacun, j’avance à tâtons dans l’inintelligible, aidé par ces paroles qui me confirment que la marche la plus incertaine peut au moins trouver à se dire ; que les mots peuvent accueillir des réalités qui les excèdent; et que parfois, un lambeau de réel se laisse piéger dans la langue, enchantement qui relance mon envie d’écrire le monde- ou tout au moins l’infime part que je crois en connaître. »

Rien que pour ça, il faut lire « Virgile s’en fout »…

Et aussi, bien sûr, pour découvrir la liste des 100 meilleurs titres de la littérature française !