Éditions Le Bruit du Temps
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Un jour, il y a de cela trois mille ans, je m’étais arrêtée
devant le stand des Éditions « Le bruit du temps » au
Salon du livre Paris (quand le Salon du livre ressemblait à un Salon
du livre) et, indécise devant autant de titres inconnus et
prometteurs, j’avais demandé que l’on m’en conseille un.
L’indispensable, bien sûr, celui sans lequel ma vie resterait
médiocre et fade à jamais... Sans hésiter, une jeune femme m’avait
tendu « La Plongée » de Lydia Tchoukovskaïa. Tiens,
évidemment, une Russe… (Les Russes, ils m’énervent. Parce que
je sais que leur littérature est incontournable, indispensable,
profonde et forte, un abîme d’intelligence, mais je n’y
comprends pas toujours grand-chose et j’en ai très vite marre…
Dostoïevski par exemple, je me suis attaquée à « L’idiot »
des centaines de fois. Rien à faire. Malgré toute la meilleure
volonté du monde, je finis par abandonner avec une mauvaise
conscience absolue. Bon, j’ai quand même lu Tchekhov et Tolstoï,
j’adore « Le Maître et Marguerite » de Boulgakov, et
je voue un culte infini à « Oblomov » de Gontcharov.
Mais quand même, les Russes, c’est pas simple... )
Après
avoir laissé un bon bout de temps ma « Plongée »
prendre la poussière, j’ai fini par la tirer des oubliettes (je ne
vous dis pas pourquoi, c’est une trop longue histoire) et m’y
suis plongée... (elle est nulle celle-là). Il s’agit d’une
œuvre inspirée de la vie de l’autrice, dissidente convaincue dont
le second mari a été arrêté en 1937. Elle ne l’a jamais revu.
(Je regarde par la fenêtre : une merlette accompagnée de ses
deux petits, trois fois plus gros qu’elle et ne se déplaçant
qu’en courant, pique dans un gros champignon blanc et donne la
becquée à ses deux lourdauds ridicules qui n’auraient qu’à
baisser la tête pour se nourrir eux-mêmes mais qui attendent qu’on
leur fourre la bouffe dans le gosier… Ces deux gros patauds ont
l’air complètement idiots. Je souhaite bon courage à la mère...)
Dans ce roman qui a la forme d’un journal intime, Nina Sergeievna,
traductrice, part se
reposer dans une maison réservée aux écrivains et gérée par
l’État, dans la partie russe de la Finlande. Nous sommes en 1949
(date à laquelle une nouvelle purge d’intellectuels commence), son
propre mari a été arrêté lors des persécutions staliniennes de
1937. Elle ne sait pas ce qu’il est devenu, s’il est mort ou
vivant, et elle souhaite profiter de cette retraite pour faire des
« plongées » en elle-même, dans sa mémoire, afin de
retrouver par l’esprit l’homme qu’elle a aimé et essayer
d’imaginer ce qu’il est devenu. Elle tente d’écrire sur ce
sujet. Dans cette maison, elle se retrouve avec d’autres écrivains
plus ou moins ouvertement à la botte du pouvoir. Leurs propos
l’insupportent, l’atmosphère est parfois très oppressante et
c’est auprès de la nature qu’elle trouve un peu de réconfort.
Elle tombe cependant amoureuse d’un certain Bilibine avec lequel
elle se promène en forêt. Il lui semble être bien différent des
autres, peut-être parce que lui aussi a vécu la déportation…
Ambiance tchekhovienne garantie (ici chacun se méfie de tout le
monde et c’est surtout dans les forêts de sapins que l’on
accepte de se confier...), un bon suspense (qui est vraiment ce
Bilibine, cette « âme-soeur » qui suscite la confiance
de la narratrice et quel est le contenu du livre qu’il est en train
d’écrire?) et surtout une évocation de la nature (bouleaux
enneigés et compagnie) absolument magistrale… J’ai vraiment
beaucoup aimé ce texte. L’avez-vous lu ? En tout cas, je vous
le recommande !