Professeur de lettres classiques, doyen de l’université d’Athéna, Coleman Silk est accusé d’avoir tenu des propos racistes : deux de ses étudiants étant absents, il a demandé à l’assemblée s’ils étaient des « zombies » , des « fantômes ». Or, le mot « spook » signifie aussi « bougnoule » ou « bamboula »… Et c’est là que le bât blesse. Parce que les deux étudiants en question sont afro-américains. Et ça, Coleman ne le savait pas : il ne les avait jamais vus. On est en 1998, dans une université américaine au moment de la période d’impeachment du président Bill Clinton en pleine affaire Lewinsky. Coleman a beau tenter de se défendre, il doit démissionner. Et sa femme, Iris, supportant mal la honte et le déshonneur qui pèsent sur son mari, tombe malade et meurt. Coleman se retrouve seul.
Et pourtant...
Si chacun des protagonistes de cette histoire avait su qui était Coleman Silk et quels étaient son histoire, son passé, son secret, les choses n’auraient pas pris cette tournure…
Pour moi, ce livre a toutes les caractéristiques du chef-d’oeuvre absolu, oui, et je pèse mes mots. Tout d’abord parce qu’il a une dimension mythique. « La Tache » est une tragédie grecque et le héros, Coleman, un homme qui, comme Oedipe, tente de fuir son destin pour être libre.
Mais on n’échappe pas à son destin : celui-ci le rattrape au moment où le protagoniste s’y attendait certainement le moins. (Je ne veux pas « spoiler » l’effet de surprise, je ne vous en dis pas plus...) C’est un grand livre aussi parce que les personnages (principaux et secondaires) sont complexes, très humains, tout en nuances et en contradictions. Roth pose vraiment ici la question de l’identité, de ce qui fait un individu. Qui est Coleman Silk dans le fond ? Qui peut répondre à cette question sans se tromper ?
Ce que j’ai aimé aussi, c’est l’acuité de Philip Roth, sa finesse d’analyse, la façon dont il décrit l’Amérique moderne : la détresse des anciens du Vietnam dont plus personne ne s’occupe, le ridicule absolu de l’affaire Lewinski qui passionne tout le monde, le niveau pitoyable de l’enseignement aux États-Unis où l’on multiplie les cours de rattrapage pour des étudiants totalement incultes et le fin du fin ? la médiocrité des universités où l’étude d’Euripide ne peut s’envisager que d’un point de vue féministe... Un pays bien-pensant, étouffant, pudibond et hypocrite. Roth règle des comptes au conformisme , au puritanisme et à l’intolérance. Ce livre est un brûlot contre l’Amérique, un réquisitoire contre le « politiquement correct ».
Et puis, Roth est un vrai romancier : on est ferré, on ne lâche plus le bouquin, les grandes scènes fascinent par leur précision et leur originalité. Je suis bluffée. Mais pourquoi ai-je attendu aussi longtemps pour lire Roth ? Pourquoi ?
Un texte magistral vraiment fascinant, puissant, inépuisable, dont, bien sûr, je vous recommande très vivement la lecture.