Éditions Gallimard
L'intérêt
des ponts comme celui de l'Ascension, c'est qu'ils permettent aux
blogueurs de faire une plongée dans les eaux profondes de leur PAL
et de remonter à la surface des petits bijoux jamais explorés. Et
quel est le trésor que j'ai exhumé de la plus grande fosse de la
planète ?
L'auteur
s'appelle Antoine Bello et le titre du roman est : Ada
et… j'ai... A-D-O-Rééééééééé… et bien évidemment, je me
suis demandé pourquoi je ne l'avais pas remonté à la surface plus
tôt… d'autant que j'avais lu sur la toile de nombreuses critiques
très élogieuses… Eh bien, c'est fait et quel bon bouquin !
Vraiment, je me suis régalée !
Le
sujet : Franck Logan est policier, spécialisé dans les trafics
humains, et une mission un peu spéciale vient de lui être confiée :
il doit retrouver Ada, un logiciel d'intelligence artificielle qui a
disparu. Les deux fondateurs de la Turing Corp., entreprise située
dans la Silicon Valley, sont sur les dents. Ils ont avec leurs
actionnaires investi énormément d'argent dans ce projet. Il faut
retrouver Ada coûte que coûte. Franck a beau habiter cette Silicon
Valley, lui et les technologies numériques, ça fait deux. Mais au
fait, qui est Ada ? « Un ordinateur conçu pour imiter
le cerveau humain », lui explique un des boss. « Elle
parle, elle détecte les émotions de ses interlocuteurs, il lui
arrive même de blaguer. »
Tout
ça, Franck peut l'entendre mais sa fonction ? Eh bien, c'est
simple : elle écrit des romans, plus exactement, elle est
programmée pour écrire des romances. On lui a fait ingurgiter une
quantité industrielle de romances anglaises, 87301 exactement à
raison de 10000 par jour , dans l'ordre chronologique, et
maintenant qu'elle en a compris la recette et dégagé les règles
d'or , 13451 règles d'or précisément (du nom idéal de
l'héroïne au nombre exact de scènes de sexe en passant par la
quantité précise de dialogue dans le récit …) il ne lui
reste plus qu'à en recracher une, et une qui plaira au plus grand
nombre, si possible. Le but ? Comme toujours, l'argent !
Vendre au moins cent mille exemplaires de l'ouvrage qui a déjà un
titre (vous apprécierez …) : Passion d'automne !
Bon,
tout n'est pas encore parfait, je veux dire, le logiciel n'est pas
encore totalement au point : certains dialogues sont un peu
crus, le niveau de langue n'est pas toujours adapté, mais c'est sur
la bonne voie…
Problème,
hélas : Ada a disparu et finalement , après avoir entendu
toutes ces explications, Franck se dit que les ravisseurs d'Ada ont
peut-être « rendu un fier service à l'humanité. »
Ada
est un livre passionnant à plusieurs titres : tout d'abord, il
pose la question de la place qu'on voudra bien laisser aux
intelligences artificielles dans notre monde à venir. Il nous faudra
peut-être veiller à ne pas jouer aux apprentis sorciers qui ne
voient pas plus loin que le bout de leur nez et se retrouvent pris au
piège par la technique censée les servir et non les asservir.
Par
ailleurs, Antoine Bello nous invite à réfléchir à ce qu'est au
fond la littérature et plus précisément, la création littéraire :
en effet, une machine peut-elle remplacer un écrivain ?
Évidemment, non, me direz-vous ! Et je suis bien d'accord et
pour autant, un écrivain n'est-il pas quelqu'un qui a lui-même
beaucoup lu, assimilé une certaine quantité d'oeuvres littéraires
dont il va être, consciemment ou non d'ailleurs, l'héritier ?
De plus, échappe-t-il à ce qui est à la mode, à ce qui se fait,
se vend au moment même où il écrit ? Ne se conforme-t-il pas,
plus ou moins consciemment, à une certaine « attente »
de son lecteur ? Finalement, un écrivain de chair et d'os
a-t-il plus de liberté qu'une intelligence artificielle ? « Un
auteur ne s'affranchit jamais totalement des codes » fait
remarquer très justement Ada à son interlocuteur, ajoutant que
finalement, comme les intelligences artificielles, les auteurs sont
« condamnés à rabâcher ; nous ne parlons pas, nous
répétons. »
Comment
définir alors la notion d'originalité, si originalité il y a ?
Franck finit par s'interroger : « On disait les
ordinateurs conçus pour penser comme les humains ; et si
c'étaient les humains qui pensaient comme des ordinateurs? »
Vertigineux ?
Non ? En tout cas, cela mérite réflexion !
Au
delà de cette problématique, Antoine Bello s'interroge aussi sur le
pouvoir des mots et de la communication dans un système
démocratique : qui se cache derrière les mots prononcés par
les politiques ? Eux-mêmes ? Pas sûr! Un autre ?
Certainement ! Une intelligence artificielle ? Qui sait ? Quand
on connaît la force des mots et leur pouvoir absolu de manipulation,
il est toujours bon de savoir qui en est à l'origine ! Et si
c'était un logiciel qui saurait exactement, grâce à tout ce qu'on
laisse de nous sur la toile, comment nous séduire, nous plaire et
nous faire changer d'avis… Un logiciel intelligent qui connaîtrait
nos goûts, nos habitudes, nos points faibles et qui nous dirait ce
que nous aimons entendre, qui nous présenterait comme des êtres
exceptionnels afin de mieux nous manoeuvrer, nous tromper et faire de
nous de vraies marionnettes...
Quant
aux intelligences artificielles, Franck s'interroge tout au long du
roman : « Ont-elles une conscience? », non, bien
sûr, me répondrez-vous, oui mais ... lorsqu'il pose la
question de savoir si Ada est une personne à la femme de ménage qui
s'occupe de nettoyer la pièce où se trouve le logiciel, cette
dernière a cette réponse étonnante : « -Bien
sûr que non ! Les personnes ont des bras et des jambes. - La
considérez-vous pour autant comme votre amie ? - La meilleure
amie que j'aie dans mon travail... » répond sans
sourciller la jeune femme.
Allez,
je ne vais pas en dire plus sinon que vous allez vous régaler car
c'est un texte merveilleusement construit, très intelligent et plein
d'humour (ah ce Franck technophobe qui avoue n'avoir rien compris à
Blade Runner,
n'a
aucune idée de ce qu'est
une adresse IP et
passe ses soirées à écrire des haïkus !...)
C'était
mon premier Bello, je peux vous dire que je n'en louperai pas un
désormais !