Rechercher dans ce blog

jeudi 13 novembre 2025

Kolkhoze d'Emmanuel Carrère

Éditions P.O.L
★★☆☆☆

 « Et mon père et ma mère et mes cousines et mon grand-père et les tantes et le cousin du beau-frère et les amis de mes parents et ma sœur. Et moi et moi et moi... » Allez, je suis méchante mais franchement, c’est quoi ce travail ? Non, là, Manu, t’as franchement abusé. Ok, t’avais chopé de la matière, beaucoup de matière (les cinq « copieux dossiers », les « monographies reliées, chapitrées, illustrées d’arbres généalogiques… de cartes, de gravures ou de photos »), t’avais écumé le bureau du padre, relu une avalanche d’archives familiales. Je conçois que ça n’a pas dû être évident de traiter cette orgie d’information, la trier, l’organiser, la mettre en forme. Moi, je pense qu’on n’est pas obligé de tout garder, de faire un recensement complet des gens de la famille sur quatre générations (quelle ampleur chronologique!), de remonter à la nuit des temps avec la branche des uns et celle des autres … Tu vois, il y a des trucs dont on se moque un peu (je t’avoue que parfois j’avais l’impression que tu écrivais à usage interne, genre soirée diapos en famille) Pour nous lecteurs, il y a des pages… comment dire… un peu longuettes avec des anecdotes dont on se fout un peu… Pourquoi t’as voulu tout garder? Faut que je t’avoue d’ailleurs qu’arrivée à la 50e page, j’étais bien paumée dans qui était qui, qui faisait quoi. Je naviguais à vue… Alors tes « souvenez-vous », assez récurrents, m’ont bien fait rire. T’as dû quand même vaguement le sentir qu’il y avait un problème. Et, puis, je ne sais pas où tu étais dans près de la moitié du bouquin. Perdu parmi tes ancêtres ? Écrasé par cette histoire familiale peu commune ? Je voulais t’entendre (ton humour, Manu, ton humour!) mais je ne lisais que des pages un peu froides, très factuelles, dans lesquelles je n’entrais pas… Finalement, je t’aimais mieux dans ta dimension horizontale...

Bien sûr, il y a des personnages auxquels on s’attache : ton père et Nicolas! Bien sûr, j’ai fini par TE retrouver ici et là. Parce que quand même, je ne sais pas si tu le sais, mais tu fais partie des écrivains que j’aime plutôt beaucoup. Tu me fais rire, t’as tout pigé de l’âme russe et t’as des sorties génialissimes. Mais là, je n’ai pas accroché (malgré ma grand-mère russe qui a quitté la Russie à la Révolution pour se réfugier à Nice).

Et je vais même te dire, quand tu étais là, je ne te retrouvais pas vraiment. Je t’ai senti vaguement fils à papa (ou à maman) de bonne famille, content enfin de remettre les pieds dans ses chaussons. Oui, toi !!! Incroyable ! C’est bizarre hein. Je n’avais jamais ressenti ça avant ! L’âge peut-être… Fais gaffe quand même, Manu… Je t’ai connu plus méchant.. L’apaisement te va mal. Je t’aimais mieux torturé… 

 C’est pas toujours bon de faire kolkhoze en littérature.


 

samedi 8 novembre 2025

La maison vide de Laurent Mauvignier

Éditions de Minuit
★★★★★

 Deux mots sur notre prix Goncourt. Je dis « notre » parce que, pour une fois, il y avait une belle unanimité à le saluer comme LE grand roman de la rentrée, peut-être même LE grand roman depuis longtemps et pour longtemps…

En effet, « La Maison vide » est l’oeuvre d’un véritable écrivain.

Elle est non seulement écrite mais elle est aussi habitée (sans mauvais jeu de mots!) par une réflexion sur ce dont on hérite, qu’on le veuille ou non. En effet, il me semble que Laurent Mauvignier cherche ici à comprendre l’origine du suicide de son père. C’est de cela qu’il est question. Remonter à la source, à l’origine d’une ombre, d’un mal, qui s’est transmis d’une génération à l’autre jusqu’à ce que quelqu’un passe à l’acte. Même si l’ébauche du geste avait eu lieu avant. Et l’on a l’impression que ce geste qui n’avait pas totalement abouti, ce geste qui avait été empêché, pesait encore sur la famille, que cette famille le portait en elle, comme un poids dont on ne parvient pas à se délester.

Je pense vraiment que nous sommes consciemment ou inconsciemment porteurs de choses, d’actes, d’événements qui nous dépassent complètement. Et la recherche de Mauvignier, que l’on voit à l’oeuvre dans ce roman, m’a semblé extraordinaire. Il part de ces photos « défigurées » de Marguerite et il remonte aux sources, aux non-dits, aux silences, pour comprendre. Le chemin est long. Et le travail se fait par la littérature. Je veux dire que c’est la littérature qui permet le cheminement, la recherche et c’est la littérature qui propose une réponse. Il n’est pas certain que cette réponse soit juste, soit exacte mais en tout cas, elle est plausible et permet d’avancer et de tenter de trouver l’origine de « la catastrophe familiale ». Sans la littérature, sans le recours à la fiction, l’échec était assuré car le puzzle restait incomplet. Or, c’est par la littérature qu’il reste quelque chose de Marguerite et d’André, les grands-parents de l’auteur. Et c’est toujours la littérature qui permet de comprendre, en redonnant vie à Marguerite notamment, mais aussi à Marie-Ernestine, le suicide du père de l’auteur. Même si les pièces du puzzle sont un peu tordues et qu’elles ne s’emboîtent pas forcément à la perfection, l’image apparaît. On fait plus que la deviner. On la comprend. On la voit. Se révèle alors ce que l’on a cherché à faire disparaître. Magie de la littérature. Ce qui me plaît aussi, c’est la façon dont l’auteur fait confiance à la littérature pour l’aider à retrouver ce qui a été perdu, la façon dont il lui confie d’une certaine façon la mission d’explorer un espace resté volontairement tu depuis longtemps. C’est la littérature qui crée le réel manquant, qui met en lumière « les points aveugles et les angles morts », là même où la photo échoue.

Cette lecture m’a renvoyée à mon histoire. Il m’a semblé que je n’avais pas suffisamment prêté attention à certaines voix lointaines, peut-être aujourd’hui à jamais disparues, mais dont je suis porteuse. Je n’ai pas de maison à fouiller, pas de tiroirs à explorer, pas de grand piano dont les sons se feraient l’écho de notes anciennes. C’est peut-être mieux comme ça, partir de rien pour tout imaginer, cela laisse peut-être une plus grande liberté…



 

jeudi 6 novembre 2025

La Folie Océan de Vincent Message

Éditions du Seuil
★★☆☆☆

« La Folie Océan » avait tout pour me plaire et j’avais vraiment hâte de le lire. En effet, il est question de lieux que je connais très bien puisque j’y passe mes vacances depuis plus de vingt ans : la Côte de Granit Rose du côté de Perros-Guirec.

Quel plaisir en effet de retrouver tous ces lieux si familiers : La Pointe du Dourven où nous allons pique-niquer chaque année, Ploumanac’h où ma môman a une petite maison de pêcheur, l’île Grande où nous marchons jusqu’à l’école de voile quand les plus courageux en font le tour ! Quant à l’archipel des 7 îles, je l’ ai découvert l’été dernier. Nous étions à dix kilomètres de la côte alors que j’avais l’impression d’être au bout du monde à photographier les phoques gris et les Fous de Bassan. Bref, j’étais ravie de me plonger dans ce texte et de retrouver l’île Rouzic, l’île Malban et toutes les autres jusqu’à l’île du Cerf.

Mais il s’est trouvé que je venais juste de finir le roman qui vient de remporter le Prix Goncourt : « La maison vide » de Laurent Mauvignier.

Je sais qu’il ne faut pas comparer : ces deux romans n’ayant rien à voir l’un avec l’autre... Mais, il faut être honnête : autant l’un est un texte littéraire écrit dans une langue remarquable, autant l’autre n’a aucune écriture et ne témoigne d’aucune recherche particulière sur la forme. Le propos n’est pas inintéressant, loin de là. Il est même très documenté mais je n’ai plus vingt ans pour me contenter d’un sujet, de personnages, d’une intrigue. Non, c’est un peu bête à dire, mais j’ai besoin de lire un texte littéraire, avec un travail sur le style, l’écriture, ou tout du moins avec un ton personnel qui nous fait entendre une « voix » originale. Si je ne trouve pas cela dans une œuvre, celle-ci ne m’intéresse pas. Et j’ai la désagréable impression de perdre mon temps. En disant cela, j’ai bien conscience que je peux mettre à la poubelle quatre-vingt quinze pour cent des œuvres publiées actuellement.

Hélas !

Donc, à la page 163, j’ai abandonné. J’en suis désolée.

Je crois que c’est cela être vieux : savoir qu’il ne nous reste pas forcément beaucoup de temps et donc vouloir se consacrer à ce qui nous semble être le meilleur.

  



 

mardi 30 septembre 2025

La nuit au coeur de Nathacha Appanah

Éditions Gallimard
★★★★★

 On dit d’un livre très fort « qu’on n’en ressort pas indemne.» Je n’ai jamais tellement aimé cette expression que j’ai toujours trouvée un peu surfaite, comme un lieu commun qui n’a plus beaucoup de sens. Et pourtant là, j’ai vraiment envie de l’utiliser. J’ai trouvé le texte de Nathacha Appanah terrible, parfois insoutenable.

L’autrice aborde le sujet des violences conjugales qui conduisent au féminicide. Elle entrelace trois récits au sujet de trois femmes. Deux sont mortes, la troisième est celle qui écrit. Nommons-les : Emma, la cousine du père de l’autrice, Chahinez Daoud et Nathacha Appanah.

Les hommes violents, les bourreaux que sont leurs maris ou compagnons, ressemblent à des hommes ordinaires, souvent charmants au début et puis peu à peu, leur masculinité toxique se déchaîne : les femmes deviennent leur propriété, leur chose, leur possession. Elles sont surveillées, menacées, humiliées, subissent des crises. Elles ne peuvent plus aller où elles veulent, s’habiller comme elles veulent, parler à qui elles veulent. Elles doivent obéir, se la fermer. Sinon…

Le mécanisme de l’emprise est effrayant. Elles finissent par accepter l’inacceptable, se sentent coupables. Elles ont peur. Me revient à l’esprit l’image du compagnon de l’autrice qui se cache parfois dans un taillis près de la maison pour la surprendre. Imaginer ce type sortir de l’ombre… Le cauchemar. Alors, elles déposent plainte, de nombreuses fois mais bon, on les écoute d’une oreille. Alors, elles recommencent, les plaintes s’accumulent sans que rien ne se passe, le quotidien est devenu un supplice. Elles ne sont pas protégées. Des proies faciles. Elles n’ont plus qu’à courir… Cette image de la femme qui court pour échapper à la mort me hante depuis cette lecture.

J’ai presque lu toute l’oeuvre de Nathacha Appanah et dans ce livre, je n’ai pas reconnu son écriture et maintenant, je sais pourquoi. On ne parle pas de l’horreur que l’on a vécue avec les mêmes mots, avec les mêmes phrases que pour une fiction. Ici rien n’est fictif. Au contraire, l’autrice nous mène au coeur du féminicide et en explore tous les recoins. À certains moments, je n’arrivais presque plus à lire tellement j’avais peur de ce qui allait arriver. Son écriture, vive, tendue, se veut précise, juste, colle à l’événement, dissèque les mécanismes, n’oublie aucun détail parce qu’il faut qu’on sache ce qui s’est passé, que l’on connaisse la vérité, il faut raconter comment l’assassin a procédé pour les éliminer, comment elles ont été sacrifiées parce qu’abandonnées par l’État qui ne les a pas suffisamment protégées. Ce livre est sans aucun doute un livre politique : il accuse, appelle à la lutte, à la révolte. On sait que les dysfonctionnements existent, on sait où se trouvent les failles, les manques, on connaît la façon dont le patriarcat conforté par le poids des traditions peut étouffer les femmes.

Si ce texte est un appel à la résistance, il est aussi un mémorial. Il ne faut pas oublier Chahinez Daoud brûlée vive. Il ne faut pas oublier Emma écrasée par la voiture de son mari. Il faut dire, rappeler qui elles étaient, qui elles auraient pu être si elles avaient été protégées correctement. Finalement, ces trois histoires n’en sont qu’une. Elles ne sont que similitudes, analogies, mêmes femmes qui courent dans la nuit. Même solitude.

J’ai trouvé ce livre extrêmement fort. C’est un réquisitoire terrible mais aussi un hymne à la vie que ces femmes pas n’ont pas eue car au fond, ce qu’on leur a refusé, c’est la liberté…

L’autrice redonne vie et voix à ces femmes, refuse qu’elles tombent dans l’oubli, dans l’effacement. Elle fait de magnifiques portraits et les place dans la lumière.

Je suis encore émue et bouleversée

Un texte puissant pour ne pas oublier. Et agir.


 

mercredi 17 septembre 2025

Les vitamines du bonheur de Raymond Carver

Éditions de l'Olivier
★★★★★

 En 93, je découvre « Short Cuts » au cinéma. C’est le coup de foudre absolu. Le réalisateur, Robert Altman, s’est inspiré de plusieurs nouvelles de Raymond Carver. Je ne connais pas Carver. Je m’y plonge. Et là… Je suis soufflée non seulement par la très grande maîtrise dont l’auteur fait preuve dans l’écriture de ses nouvelles, mais surtout par l’immense humanité qui se dégage de chacune d’elles. Il met en scène des fragments de vie. Des vies banales, tristes, des gens tout simples, à la dérive, qui recherchent un peu d’amour, un peu de bonheur ou juste un moment de répit. On est dans un tableau de Hopper. A priori, il ne se passe pas grand-chose. Mais les silences en disent long. Carver, c’est l’art de l’ellipse...

Parlons d’abord de l’écriture : les phrases sont courtes, concises, le vocabulaire très simple. En trois mots, la situation est posée. Ce que j’aime particulièrement chez cet auteur, c’est l’art de la trouvaille génialissime, du détail qui ne s’invente pas. Un exemple : dans « Plumes », une femme, invitée pour la première fois chez des amis de son mari, balaie du regard la salle à manger. Et là, elle remarque des dents en plâtre posées à côté de la télé. En fait, ce moulage de dents est une espèce de métonymie évoquant les gens qui vivent dans ce lieu, leur histoire. Il faut être très fort, me semble-t-il pour penser à ce petit détail et pour en tirer toute la force d’une nouvelle. Un autre exemple : dans «Attention », un couple qui vient de se séparer se retrouve : la femme veut revoir son ex pour une raison précise que l’on ne connaîtra jamais. Pourquoi cela ? À cause du bouchon de cérumen qui empêche l’homme d’entendre les propos de sa femme, ce qui le rend fou… Cette dernière, venue pour une raison bien sérieuse, se retrouve à lui enfoncer dans l’oreille une pince à ongles. La scène est drôle et tragique à la fois. La communication n’a pas eu lieu à cause de pas grand-chose. Mais en même temps, pendant cette demi-heure qu’ils ont passée ensemble, ils sont étrangement redevenus un couple...

Ce que j’aime aussi chez Carver, c’est son humanité. On sent qu’il aime ses personnages dont on découvre un fragment d’existence. Il n’y a pas les gentils et les méchants. Non : ils ont tous leurs raisons, ils font ce qu’ils peuvent. La vie est rude et faut faire avec. Ils ont souvent des problèmes d’argent, de couple, de travail, d’alcool. Ils se mentent, se désirent, se séparent, perdent un proche. Ils sont seuls. La vie continue dans toute sa banalité, malgré le chaos… On sent toute la fragilité qui est la leur. À la fin de la nouvelle, rien n’est résolu. J’ai lu ici ou là que l’auteur laissait ses personnages au bord du vide. Comme dans la vie, j’ai envie de dire… Après, à nous d’imaginer ce qu’ils deviendront ou de les laisser suspendus au bord du précipice, à deux doigts du désastre.

Oui, vraiment, j’adore Carver ! Connaissez-vous cet auteur ? 


 

mercredi 10 septembre 2025

DJ Bambi de Auđur Ava Ólafsdóttir

★★★★★
Éditions Zulma
traduit de l'islandais par Éric Boury

 Qu’est-ce que j’aime les romans d’Auđur Ava Ólafsdóttir ! Dans le fond, peu importe le sujet… J’aime ses personnages pleins d’humanité, toujours un peu cabossés par la vie, sensibles, pas très à l’aise dans notre société, toujours un peu en retrait... J’aime son univers poétique : l’évocation de la météo, du vent (il y a plein de mots pour désigner le vent, la pluie ou la neige en islandais, vrai casse-tête pour le génial traducteur Éric Boury), j’aime lorsqu’elle décrit les couleurs de la mer, le vol des oiseaux, les sentiers des montagnes et la lenteur des jours... J’aime les digressions que font sans cesse ses personnages sur l’étymologie d’un mot, la reproduction des goélands ou la fabrication des mouches de pêche… J’aime l’errance de leur pensée et leur regard sur le monde. J’aime les noms des rues en islandais… J’aime les titres des chapitres, tellement beauxJ’aime sa bienveillance, son regard sur le monde, sa douceur et sa délicatesse pour dire les petites choses de la vie et l’intimité des êtres… J’ai toujours beaucoup de mal à quitter un livre d’Auđur Ava Ólafsdóttir et j’aurais bien aimé passer encore un peu de temps avec Logn, dont je ne vous dirai rien sinon qu’elle est une femme ordinaire et que son nom signifie « absence totale de vent ».

Un très beau livre.


 

samedi 6 septembre 2025

La collision de Paul Gasnier

Éditions Gallimard
★★★★★

 Le 6 juin 2012 à 17 heures 13, Paul Gasnier a perdu sa mère, cycliste, fauchée très brutalement par la roue avant d’une KTM 654, moto hyper-puissante qu’un gamin de 17 ans du quartier de la Croix- Rousse à Lyon, sous l’emprise de stupéfiants, a été incapable de maîtriser.

Dix ans plus tard, refusant de sombrer dans la haine de l’autre, de se répandre dans des discours racistes qui s’accompagnent généralement d’un repli identitaire voire d’un désir de vengeance, l’auteur, devenu journaliste, va tenter de comprendre, d’analyser dans le détail, loin de tout manichéisme, ce que peut signifier cette collision. Est-elle le signe d’une fracture de la société ? Comment le gamin en est-il arrivé là, à se lancer dans un rodéo urbain au risque de tuer ? Quel est son parcours, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, où ça a coincé ? Il se lance dans un enquête quasi sociologique, une espèce d’autopsie de l’accident, interroge la famille du jeune homme puis un éducateur, pour tenter de comprendre. D’un côté, Saïd, un gamin issu de l’immigration, un ancien dealer attiré par les gains rapides, multirécidiviste fasciné par la figure d’un grand frère, et de l’autre, une intellectuelle bourgeoise architecte et professeure de yoga. Est-ce que, quand l’un et l’autre se rencontrent, cela doit déboucher sur la mort ? Quel est le poids du déterminisme social ? Est-ce possible de le nier ? Était-il possible d’éviter ce drame ? L’auteur s’interroge aussi sur le système judiciaire français : il rencontre un policier, un avocat, un juge qui vont lui donner leur point de vue sur ce drame que personne n’a oublié.

Mais ce que j’ai trouvé vraiment intéressant dans ce texte, c’est son questionnement sur l’attitude à adopter quand on perd un être cher si brutalement dans un accident . Militer pour l’extrême-droite et hurler « ça suffit » durant les meetings ? Ou bien cheminer vers l’autre, tenter de comprendre qui il est, d’où il vient, rencontrer sa famille et peut-être, le rencontrer ? Est-il possible d’avoir une telle force, une telle sagesse ? Jusqu’où peut-on aller vers l’autre, vers celui qui ne nous ressemble en rien, vers celui qui a tué ?

Ce qui est fascinant dans ce texte, c’est la ligne de crête sur laquelle ce jeune journaliste évolue sans cesse au risque, à tout moment, de tomber. On voit d’ailleurs ses errements à travers ses réflexions, ses interrogations et cette souffrance toujours là, l’émotion qui risque de brouiller le jugement et le besoin évident de parler de celle que l’on a perdue, de dire toute la tendresse, l’admiration et l’immense amour que l’on a pour elle. Bouleversant.

Avec beaucoup de finesse et de pudeur, il dresse le portrait de sa mère mais aussi celui de Saïd, le garçon qui l’a tuée. Il étudie le parcours de ces deux personnes que tout oppose.

Ce texte, à la fois politique et très intime, admirable de beauté tant par la forme que par le message qu’il transmet, devrait être lu par tous car il est une magnifique leçon de vie.