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mercredi 10 septembre 2025

DJ Bambi de Auđur Ava Ólafsdóttir

★★★★★
Éditions Zulma
traduit de l'islandais par Éric Boury

 Qu’est-ce que j’aime les romans d’Auđur Ava Ólafsdóttir ! Dans le fond, peu importe le sujet… J’aime ses personnages pleins d’humanité, toujours un peu cabossés par la vie, sensibles, pas très à l’aise dans notre société, toujours un peu en retrait... J’aime son univers poétique : l’évocation de la météo, du vent (il y a plein de mots pour désigner le vent, la pluie ou la neige en islandais, vrai casse-tête pour le génial traducteur Éric Boury), j’aime lorsqu’elle décrit les couleurs de la mer, le vol des oiseaux, les sentiers des montagnes et la lenteur des jours... J’aime les digressions que font sans cesse ses personnages sur l’étymologie d’un mot, la reproduction des goélands ou la fabrication des mouches de pêche… J’aime l’errance de leur pensée et leur regard sur le monde. J’aime les noms des rues en islandais… J’aime les titres des chapitres, tellement beauxJ’aime sa bienveillance, son regard sur le monde, sa douceur et sa délicatesse pour dire les petites choses de la vie et l’intimité des êtres… J’ai toujours beaucoup de mal à quitter un livre d’Auđur Ava Ólafsdóttir et j’aurais bien aimé passer encore un peu de temps avec Logn, dont je ne vous dirai rien sinon qu’elle est une femme ordinaire et que son nom signifie « absence totale de vent ».

Un très beau livre.


 

samedi 6 septembre 2025

La collision de Paul Gasnier

Éditions Gallimard
★★★★★

 Le 6 juin 2012 à 17 heures 13, Paul Gasnier a perdu sa mère, cycliste, fauchée très brutalement par la roue avant d’une KTM 654, moto hyper-puissante qu’un gamin de 17 ans du quartier de la Croix- Rousse à Lyon, sous l’emprise de stupéfiants, a été incapable de maîtriser.

Dix ans plus tard, refusant de sombrer dans la haine de l’autre, de se répandre dans des discours racistes qui s’accompagnent généralement d’un repli identitaire voire d’un désir de vengeance, l’auteur, devenu journaliste, va tenter de comprendre, d’analyser dans le détail, loin de tout manichéisme, ce que peut signifier cette collision. Est-elle le signe d’une fracture de la société ? Comment le gamin en est-il arrivé là, à se lancer dans un rodéo urbain au risque de tuer ? Quel est son parcours, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, où ça a coincé ? Il se lance dans un enquête quasi sociologique, une espèce d’autopsie de l’accident, interroge la famille du jeune homme puis un éducateur, pour tenter de comprendre. D’un côté, Saïd, un gamin issu de l’immigration, un ancien dealer attiré par les gains rapides, multirécidiviste fasciné par la figure d’un grand frère, et de l’autre, une intellectuelle bourgeoise architecte et professeure de yoga. Est-ce que, quand l’un et l’autre se rencontrent, cela doit déboucher sur la mort ? Quel est le poids du déterminisme social ? Est-ce possible de le nier ? Était-il possible d’éviter ce drame ? L’auteur s’interroge aussi sur le système judiciaire français : il rencontre un policier, un avocat, un juge qui vont lui donner leur point de vue sur ce drame que personne n’a oublié.

Mais ce que j’ai trouvé vraiment intéressant dans ce texte, c’est son questionnement sur l’attitude à adopter quand on perd un être cher si brutalement dans un accident . Militer pour l’extrême-droite et hurler « ça suffit » durant les meetings ? Ou bien cheminer vers l’autre, tenter de comprendre qui il est, d’où il vient, rencontrer sa famille et peut-être, le rencontrer ? Est-il possible d’avoir une telle force, une telle sagesse ? Jusqu’où peut-on aller vers l’autre, vers celui qui ne nous ressemble en rien, vers celui qui a tué ?

Ce qui est fascinant dans ce texte, c’est la ligne de crête sur laquelle ce jeune journaliste évolue sans cesse au risque, à tout moment, de tomber. On voit d’ailleurs ses errements à travers ses réflexions, ses interrogations et cette souffrance toujours là, l’émotion qui risque de brouiller le jugement et le besoin évident de parler de celle que l’on a perdue, de dire toute la tendresse, l’admiration et l’immense amour que l’on a pour elle. Bouleversant.

Avec beaucoup de finesse et de pudeur, il dresse le portrait de sa mère mais aussi celui de Saïd, le garçon qui l’a tuée. Il étudie le parcours de ces deux personnes que tout oppose.

Ce texte, à la fois politique et très intime, admirable de beauté tant par la forme que par le message qu’il transmet, devrait être lu par tous car il est une magnifique leçon de vie.  


 

vendredi 22 août 2025

Chagrin d'un chant inachevé Sur la route de Che Guevara de François-Henri Désérable


Éditions Gallimard
★★★★★

Entre nous, ce récit de Désérable, je n’y ai pas cru une seule seconde. Je ne peux pas vous dire pourquoi. Une impression, une vague intuition, un sentiment diffus. Et je vais vous avouer que je me suis même demandé s’il y avait vraiment mis les pieds, là-bas, en Amérique du Sud, entre Buenos Aires et Caracas.

Bon, maintenant, je vous préviens tout de suite, cela ne m’a absolument pas dérangée. Bien au contraire! J’ai trouvé ce texte dé-li-cieux, j’ai adoré suivre l’auteur dans ses aventures rocambolesques et je conseille à tous de lire cette épopée sur les pas du Che.

Alors d’où vient cette impression ?

D’abord Désérable ne décrit pas ou peu les lieux qu’il traverse. Il le dit lui-même à plusieurs reprises. J’ai d’ailleurs fait pas mal d’allers-retours entre le livre et mon portable pour voir un peu à quoi ressemblaient les paysages évoqués. « Nous vîmes les chutes d’Iguazú, que je ne décrirai pas : ne me viendraient que des superlatifs sans intérêt, qui ne diraient rien à qui ne les a jamais vues. » S’ensuit  une très longue prétérition dans laquelle, finalement, il décrit rapidement ces fameuses chutes. On pourrait d’ailleurs lui souffler que c’est un peu le rôle d’un auteur que de trouver les mots pour décrire ce qu’il voit, et ce, sans utiliser des « superlatifs sans intérêt. » Bref, ces chutes, je suis allée les contempler sur le petit écran de mon portable. Mais pourquoi pas.

En fait, Désérable parle surtout des gens. Ce sont toujours des rencontres incroyables (précisément) et elles arrivent quasiment toutes les quatre pages, pour notre plus grand plaisir de lecteur, il faut bien le dire! Généralement elles foutent un peu la trouille mais elles se terminent bien et comme Désérable a le sens de la formule, on finit par en rire. Un vrai plaisir ! Il est vraiment doué Désérable pour se trouver là où il faut au bon moment. Mais, impossible de croire à tant de coïncidences folles, hasards étonnants, imprévus abracadabrants, concours de circonstances exceptionnels, veine surprenante. Impossible. Mais ce n’est pas grave, on adore, on frémit, on rit. On se souviendra beaucoup plus des bidonvilles de Lima grâce à l’anecdote qu’il nous raconte que s’il nous avait décrit les lieux de long en large de façon impersonnelle. Non, l’anecdote, elle restera dans notre mémoire ! D’ailleurs, une minuscule note de la page 178 nous révèle que oui « parmi toutes les scènes de ce récit, l’une d’elle est fictive. » Une seule vraiment ? Allez, allez…

Parfois j’ai même pensé qu’il n’avait peut-être même pas quitté sa Butte Montmartre. Un plan des lieux, Wiki & compagnie et beaucoup d’imagination : voilà le tour est joué. L’auteur aime Romain Gary. Je le soupçonne d’avoir lui aussi ce petit côté espiègle, un peu farceur sur les bords et ça serait plutôt rigolo de bluffer génialement tout le monde de cette façon, non ?

Une autre chose : j’ai écouté plusieurs interviews de Désérable au sujet de ce livre. Eh bien il raconte toujours exactement les mêmes épisodes, jamais un autre, un nouveau, un truc qu’il aurait vécu, qu’il n’aurait pas mentionné dans le livre et qui lui serait revenu là, juste au moment de l’interview. Non, toujours exactement les mêmes souvenirs et souvent racontés avec les mots mêmes utilisés dans le livre. Comme si ces souvenirs n’étaient que littérature. Comme s’il récitait une leçon bien apprise.

Oui mais les quelques photos du livre. Alors là, on sait qu’une photo ne prouve plus rien.

Bref, c’est un super bouquin, je l’ai adoré ! Peu importe qu'il y soit allé ou pas d'ailleurs. Dans le fond, on s'en fout ! Il m’a quasiment donné envie de découvrir l’Amérique du Sud où je ne rêvais vraiment pas d’aller. C’est vous dire...


UN JOUR PLUS TARD:

Ben voilà, je me suis plantée. Ok, ça arrive à tout le monde et heureusement qu'il y a des auteurs VIVANTS capables de nous dire: pas du tout, revois ta copie ! (La veille d'une rentrée, ça fait bien!) 
Que je vous raconte... Hier, je poste ma petite chronique IG sur "Chagrin d'un chant inachevé" de François-Henri Désérable. Je disais que je ne croyais pas à toutes ces aventures extraordinaires et j'imaginais (avec beaucoup de plaisir et de malice d'ailleurs) que l'auteur était peut-être même resté "at home" pour écrire ce texte. 
Je poste. 
Très vite je reçois plusieurs photos en MP de F-Henri Désérable, des photos incroyables où on le voit faire du stop, avec les mineurs de Potosi, avec Kiko dans la jungle amazonienne, sous la tente avec l'Odyssée, lors de la panne dans le désert chilien, avec une mygale sur la joue🕷 (bon, ça, c'est pas dans le livre et il faudra qu'il nous raconte cette aventure!), à l'observatoire astronomique et d'autres encore... Avec, cerise sur le gâteau, une video des chutes d'Iguazú... Oh JOIE ABSOLUE! 🎉🎊 Le genre de truc qui te refait ta journée!!!! Imaginez! Je reçois un trésor.... Je suis sur un nuage! 
Ok j'ai dit des conneries. Mais enfin pas complètement quand même parce que ce livre est génial et ça, je n'en démords pas ! C'est mieux qu'un voyage car quand vous lirez tout ce qui lui arrive... 😬 Impressionnant!!! Franchement, j'aime mieux lire tout ça dans le fond de mon lit! N'empêche que, si un jour F-H Désérable cherche un.e partenaire pour crapahuter, retenez-vous parce que vous risquez gros. Mais c'est ça la littérature: ce sont les malheurs, la poisse, l'adversité qui font les grands récits. 
Merci à lui en tout cas pour ces photos extraordinaires que je garde bien précieusement dans mon panthéon personnel. 💚
Dernière chose : si les ÉDITIONS GALLIMARD pouvaient les éditer, ce serait un vrai cadeau pour les lecteurs ! 













 

vendredi 1 août 2025

Madame Bovary de Flaubert

Éditions Folio
★★★★★

 Juillet 2025 : 4e lecture de « Madame Bovary ».

Le texte a été écrit entre 1851 et 1855 , Flaubert avait 30 ans.

Notes de lecture :

1. Je suis très impressionnée par l’extrême maturité que suppose l’écriture d’un tel texte. Or Flaubert est vraiment très jeune. D’où lui viennent ces analyses très justes sur l’ennui, la passion, le désespoir ? Qu’a-t-il vécu pour écrire tout cela ?

2. Autre chose : comme les hommes sont minables dans ce texte : aucun n’échappe à la médiocrité, à la petitesse, au ridicule. Ils sont mesquins, lourds, vicieux, incapables d’aimer pleinement, conformistes, intéressés et lâches. Tous sauf un : Charles, sauvé par l’amour absolu qu’il porte à Emma tout au long du roman. Il mourra d’amour pour elle, dans le silence de son jardin. (J’avais oublié cela.) C’est lui qui, après la mort d’Emma, dira à Rodolphe : « Je ne vous en veux pas. » Il contemplera cet homme qui lui donne l’impression de se sentir encore un peu près d’Emma. Quel beau personnage !

3. Emma. Lecture d’Emma au XXIe siècle. Je lis dans un vieux bouquin qui date de 1981 qu’elle est une jeune fille « rêveuse, exaltée par ses lectures », faible, déséquilibrée, passive, excessive, capricieuse, « elle ne s’intéresse à rien de suivi » (Guy Riegert). Bref, Emma a tous les défauts. Moi je ne trouve pas. Bien au contraire, j’admire sa force, sa volonté, son tempérament, son caractère entier et passionné. Pour une femme du XIXe, quel courage de s’opposer comme cela à la vie toute tracée qu’on lui propose ! Non, elle ne restera pas à la maison à attendre bien gentiment le retour de son mari en faisant du crochet ou en jouant aux dominos avec sa fille. En effet, elle n’a visiblement pas d’instinct maternel. C’est très ennuyeux mais c’est comme ça. Oui, elle étouffe dans ce rôle de femme bourgeoise au foyer : elle a besoin de prendre l’air, d’aller ailleurs, de rencontrer des gens, d’imaginer des lieux fous et colorés même s’ils n’existent pas, de vivre en prenant des risques. Emma est entière, passionnée, ambitieuse. Elle ne compte pas, elle donne tout, veut tout. Elle n’a rien de passif ! Elle effraie les hommes tellement son caractère est puissant. Elle veut jouir, profiter, être indépendante. La morale, elle s’en libère ! Comme elle fait peur aux hommes ! Ils fuient tous ! Non, elle n’est pas folle, elle est juste libre. C’est ça qui coince. Il est bien là le problème. Emma est une femme moderne. Elle exècre la médiocrité, la demi-mesure et refuse de rester à la place où la société lui demande de se tenir. Elle n’existe que quand elle est ailleurs, en dehors de chez elle, loin des quatre murs qui l’enferment. Elle ne peut se satisfaire d’un petit bonheur bourgeois étriqué, conformiste et mesquin. Alors on l’accuse : elle est trop ci, trop ça, pas assez ci, pas assez ça. Emma, elle pète les barreaux, déchire la chape de plomb qui pèse sur elle. A-t-elle tort de rêver ? Doit-elle brider ses désirs, sa sensualité ? Certainement pas ! Emma n’aime pas Charles ? Ben oui. Et pourtant Charles est gentil. Oui. C’est triste mais c’est comme ça. Elle le trouve terne. Il ne correspond en rien à ce qu’elle est. Elle s’ennuie avec cet homme. Est-ce une raison pour la blâmer ? Non. La médiocrité de Charles (moi aussi ça me fait mal d’écrire cela car j’aime beaucoup ce personnage) la révulse. « Charles n’était pas de ceux qui descendent au fond des choses » écrit Flaubert. Elle est mal mariée. Emma a besoin d’autre chose. Aujourd’hui, elle aurait travaillé. Elle aurait eu les moyens de dire non. Le destin d’Emma, victime de la condition réservée aux jeunes filles de son époque, justifie amplement toutes les luttes féministes qui suivront.

4. Dans ce roman, personne n’a tort, personne n’a raison. Chacun parle dans le vide : que ce soit Homais, le pharmacien, Bournisien, l’homme d’église, Léon, Rodolphe. Dans le fond, ils sont tous grotesques. La vie est grotesque.

5. Dernière chose : quel roman parfait ! Chaque chapitre est une scène d’anthologie. Je repense à l’opération d’Hippolyte, à l’empoisonnement d’Emma, aux scènes avec l’aveugle…

Je vais lire maintenant la correspondance tenue par Flaubert durant les années d’écriture de « Madame Bovary », entre septembre 1851 et avril 1856, histoire de jeter un œil sur les coulisses d’une œuvre qui a donné tant de peine à son pauvre créateur !




 

mercredi 30 avril 2025

Aucun respect d'Emmanuelle Lambert

Éditions Stock
★★★★☆

 Jeune étudiante, Emmanuelle Lambert se voit proposer un stage dans ce qui allait devenir l’IMEC (Institut Mémoires de l’Édition Contemporaine, basé aujourd’hui à Caen) et qui n’était alors que l’Institut, « petite association tapie au fond d’une cour ». Là, dans une cave poussiéreuse, elle photocopie, trie et organise des archives, découvrant un monde parisien et littéraire qui lui est inconnu. Deux années plus tard, tandis qu’elle travaille sur sa thèse, l’Institut la rappelle : vient d’arriver le « fonds Robbe-Grillet ». Est-ce qu’elle accepterait de venir y jeter un coup d’oeil ? Elle n’a pas lu le « Pape du nouveau roman ». Ce n’est pas une raison : personne ne lit Robbe-Grillet. On survole vite fait « Pour un nouveau roman » afin de placer deux trois citations dans une dissert’. Basta. Mais travailler avec un tel écrivain, ça ne se refuse pas … S’ensuit un travail colossal : exploration des dossiers de presse puis organisation d’une expo sur ses voyages. Il faut rencontrer l’homme : prendre le train normand gare St Lazare dès potron-minet (lisez la géniale description du train Corail p 87), puis, direction Le Château où l’attendent Monsieur et Madame… Peut-être lit-on là les pages les plus savoureuses du roman à travers le portrait de ce couple (dont la femme dira de l’autrice « Vous êtes très normale, tout de même », peut-être déçue de ne pas rencontrer une future recrue pour ses séances SM!) J’aurais aimé que le texte s’attarde davantage sur ce couple hors normes, assumant franchement une grande liberté littéraire et sexuelle. Ils captent toute l’attention du lecteur, faisant passer au second plan la partie « roman d’apprentissage » qui aurait pu faire l’objet d’un autre livre peut-être...

Car c’est aussi toute une époque dont il est question : les années 90, avant MeToo, où il fallait plaire, céder et se taire.

Un regard féministe, fin et drôle qui, malgré les quelques réserves évoquées plus haut, m’a beaucoup plu.



 

samedi 26 avril 2025

Toutes les époques sont dégueulasses de Laure Murat

Éditions Verdier
★★★★★

 Quel plaisir de lire une pensée rigoureuse, nuancée et tellement éclairante ! Avec ce petit essai, Laure Murat revient sur la guéguerre entre les pro-« sensitivity readers » et ceux qui, comme Nicolas Mathieu, considèrent qu’on ne doit pas toucher au texte d’un auteur, que le propos plaise ou non au lectorat, au risque de heurter ce dernier. (Souvenez-vous du fameux coup de gueule de Nicolas Mathieu contre Kevin Lambert qui avait avoué avoir demandé à Chloé Savoie-Bernard, professeure de littérature d’origine haïtienne, de relire son roman afin d’être sûr de ne pas heurter la communauté haïtienne par des maladresses qui lui auraient échappé.)

Autrement dit, dans quelle mesure a-t-on le droit de modifier une œuvre littéraire ?

Laure Murat fait tout d’abord une différence extrêmement pertinente et qui fait d’emblée avancer la réflexion entre « récrire » et « réécrire » : « récrire », c’est procéder « au remaniement d’un texte à une fin de mise aux normes sans intention esthétique », « réécrire », c’est « réinventer, à partir d’un texte existant, une forme et une vision nouvelles » : c’est Racine réécrivant Phèdre à partir d’Euripide par exemple. Le premier relève de la correction, le second de la création. Faire la différence entre les deux notions permet d’y voir nettement plus clair. Si « récrire » peut poser un problème, « réécrire » a une dimension artistique : on assiste à la naissance d’une nouvelle œuvre et là, on ne peut que s’en réjouir.

Donc Laure Murat explore la « récriture » : est-ce que retirer un mot « gênant » dans un texte résout tous les problèmes ? Est-ce que cela suffit à effacer tous les relents idéologiques nauséabonds dont l’oeuvre est imprégnée par ailleurs ? Ne risque-t-on pas de faire disparaître ce que fut la pensée d’une période au risque de falsifier l’Histoire ? Qu’est-ce qui pousse les éditeurs à encourager les « récritures» ? A-t-on le droit de modifier des textes dont les auteurs sont morts ? Peut-on vraiment parler de censure ? La solution est-elle dans la contextualisation ?

En évitant constamment les écueils d’une pensée binaire, Laure Murat pose les vrais problèmes et tente de répondre en toute honnêteté à ces questions à partir d’exemples précis : elle nous aide à réfléchir et à prendre plus clairement position dans ce débat brûlant.

Un essai intelligent, stimulant et nécessaire pour y voir plus clair.


 

vendredi 25 avril 2025

Bristol de Jean Échenoz

Éditions de Minuit
★☆☆☆☆
(sans intérêt)

Me voici abasourdie, sidérée, ébahie, bouche bée, déconcertée, éberluée, médusée, soufflée et je dirais même plus interloquée. Par quoi ? me direz-vous. Par les nombreuses critiques très élogieuses voire dithyrambiques sur le dernier roman de Jean Échenoz. Sans rire, c’est une blague ? Alors là franchement, je ne comprends pas tant d’éloges, une si belle unanimité dans les louanges. Pour ma part, j’ai trouvé l’histoire inexistante. Mais pourquoi pas. Vous me direz, avec Minuit, on n’est pas là pour ça. Ok ok. Nourrie au Nouveau Roman dès mon plus jeune âge, je ne peux pas dire que cela me dérange beaucoup, les absences d’histoires. On s’enquiquine ferme en lisant mais ce n’est pas grave. Voyons l’écriture, les procédés stylistiques alors. Mais quelle écriture, quels procédés stylistiques ? C’est plat et sans intérêt particulier. Quelques vieux relents du Nouveau Roman qui n’ont plus aucun intérêt ni originalité à notre époque. Donc rien de nouveau sous le soleil. Dites-moi, en quoi c’est « brillant », « intelligent » (j’ai même trouvé « jubilatoire »!!!!), « drôle » (à quel moment?) ou je ne sais quoi, comme je l’ai lu un peu partout ? Parce qu’une scène est décrite du point de vue d’une mouche ? Certains m’ont dit que c’était une parodie du Nouveau Roman. Parce qu’on en est encore là ? Quel intérêt franchement !

C’est mauvais et raté.

C’est tout.