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vendredi 3 mai 2024

Monique s'évade d'Édouard Louis

Éditions du Seuil
★★★★★

 Monique, c’est la mère de l’auteur, cette femme dont il a déjà parlé dans « Combats et métamorphoses d’une femme ». Elle s’évade parce qu’elle est encore une fois tombée sur un poivrot qui la maltraite, l’empêche de manger à sa faim, l’insulte. Et comme elle n’a pas d’argent, elle ne peut pas partir. Parce que pour partir, il faut un lieu où aller et des sous pour subsister. Or, elle n’a rien de tout cela. Virginia Woolf avait compris en son temps que « la liberté n’est pas d’abord un enjeu esthétique et symbolique, mais un enjeu matériel et pratique. Que la liberté a un prix. » D’où l’idée première de l’auteur d’inscrire dans la marge du texte les sommes d’argent qu’il a dû dépenser pour sa mère. C’est cher une évasion. Une façon pour lui de « provoquer la littérature », qui n’est pas une facture. Mais ces chiffres « brouillaient la lecture ». « Est-ce que la littérature peut tout dire ? Si oui, alors j’ai échoué. Si non, alors la littérature ne suffit pas. »

Non, la littérature ne suffit pas et n’a peut-être même pas sa place ici.

Encore une fois, Édouard Louis nous livre un texte au cordeau. Chaque mot est pesé. Chaque situation analysée. Lorsque sa mère quitte le logement qu’elle partage avec un homme depuis plusieurs années, l’auteur est en résidence d’auteur à Athènes. Il organise donc l’évasion de loin. Il n’a aucun moyen d’action directe. J’ai trouvé que cette situation extrêmement stressante (à tout moment, la fuite peut tourner au drame) rendait encore plus évident tout ce qu’il fallait mettre en place concrètement pour partir. En effet, ne part pas qui veut (surtout s’il y a des enfants, ici ce n’est pas le cas.) Pas facile pour une femme d’échapper à la violence. Je repense à une scène du livre : la mère est à Paris, elle se rend chez son fils car elle a besoin d’aller aux toilettes. Le fils travaille et lui explique qu’on ne débarque pas comme ça, qu’il faut prévenir ou aller au café. Et la mère d’avouer qu’elle n’a pas trois euros en poche pour aller au café.

La distance donne aussi l’impression que l’auteur donne « vie » au personnage de la mère. Il commande de la nourriture, appelle un taxi, lui explique comment lancer une vidéo… Il la place dans un mouvement, l’initie au monde, la lance dans la vie… Les rôles s’inversent…

Évidemment, rien de romanesque dans cette fuite. Non, certains peuvent vivre en paix, dans le repos, la stabilité quand d’autres subissent le déplacement, la perte, le mouvement imposé.

Ici Monique laisse son fils prendre en charge la totalité des contraintes matérielles. Pas très féministe tout cela me direz-vous ? Eh bien si. « L’émancipation ne passe pas seulement par l’action, mais aussi, en certaines circonstances, par un droit à l’abandon, à la délégation, au retrait . »

Ce que l’on perçoit aussi c’est à quel point la pauvreté dépossède l’individu: des saveurs, des odeurs, des lieux, des gens, des paysages, de l’usage des nouvelles technologies… L’auteur découvre à quel point sa mère a été privée de tout. Elle renaît en partant : « Je suis contente d’essayer de nouvelles choses » avoue-t-elle.

L’écriture d’Édouard Louis me touche beaucoup : il y a chez lui, dans sa langue, une recherche absolue d’authenticité. On n’est pas là pour faire du style. Ce serait même déplacé. On est là pour être au plus près de la vérité par les mots et les phrases que l’on emploie. Le titre par exemple : qui aurait osé un titre pareil ? Un nom propre (passé de mode) et un verbe au présent. Le réel dans toute sa vérité. Par ailleurs, on sent chez lui une volonté un peu naïve de se faire pardonner : j’ai écrit sur toi, maman, mais cela me permet maintenant de t’aider financièrement. Il est très touchant dans cette recherche du pardon et l’on entend encore l’enfant derrière l’adulte qu’il est devenu.

Je ne vous dis rien de la fin. Elle est magnifique.

Édouard Louis rend ici un superbe hommage à sa mère. Et aux femmes.

Un texte bouleversant.


 

jeudi 2 mai 2024

Aliène de Phoebe Hadjimarkos Clarke

Éditions du sous-sol
★★★☆☆


 Que dire ? D’abord, je pense que j’aurais eu besoin de relire ce texte. Entièrement. Je l’ai fait en partie, pour essayer de préciser ma pensée. Quand j’ai des doutes, des réserves sur un bouquin, je me dis : « Si tu étais éditrice, est-ce que tu aurais publié ce roman ? » Oui, peut-être. Parce qu’il y a quelque chose dans l’écriture… Des formules, des images, des tournures que j’ai trouvées originales, pleines d’invention et de poésie. Et puis, le simple fait qu’il y ait une écriture est TELLEMENT rare de nos jours que rien que pour ça, je l’aurais sorti du lot !

Et puis, (là c’est hyper subjectif) j’en ai aimé la pensée : le ras-le-bol de la société patriarcale, de la violence envers les animaux, de la chasse, de la guerre, de la sauvagerie qu’on nous sert chaque jour.

J’ai aimé aussi la sensualité qui émane de ce texte, un rapport viscéral au monde, à la nature et aux bêtes. Tout ça, c’est vraiment réussi.

En revanche, le roman pèche par sa longueur et ses répétitions. Ok, le monde est foutu, les hommes tous pourris mais est-ce une raison pour nous laisser mijoter dans une espèce de champ lexical bien glauque omniprésent (sang/boue/bave/sperme/vomi etc) qui finit par sembler un peu forcé car trop systématique. Là, franchement, j’ai saturé.

Et les pétards qu’on se fume en veux-tu en voilà, pareil, c’est trop. Ça finit par devenir contre-productif. Il me semble qu’une pensée politique doit s’accompagner d’un minimum de lucidité, même dans une fiction. On oscille entre hallucinations, rêves et une réalité qui finit par devenir bien difficile à saisir et c’est dommage. Certes, une ambiance particulière s’empare du récit mais sur trois cents pages, il faut être honnête, le dispositif devient extrêmement lassant.

Autre problème : vouloir aborder TOUS les sujets contemporains, ceux dont j’ai parlé plus haut auxquels s’ajoutent les questions de pollution, réchauffement climatique, biodiversité, respect de la nature, sexe, genre, violences policières, télé-réalité, extra-terrestres etc. Est-ce que le texte n’aurait pas gagné à être resserré, aussi bien dans la forme que dans le fond ?

Bref, une autrice encore jeune mais à suivre assurément…  

 

mardi 16 avril 2024

Baumgartner de Paul Auster

Éditions Actes Sud
traduit de l'américain par Anne-Laure Tissut
★★★★☆

 Il m’a beaucoup touchée ce vieux prof de philo un peu paumé dans sa grande baraque, paumé et bien seul avec ses souvenirs qui lui reviennent régulièrement à l’esprit. Tout lui rappelle les jours anciens auprès de sa femme qui n’est plus, une poétesse qui a laissé une œuvre dont une partie seulement a été publiée. Il faudrait entreprendre un gros travail de relecture mais le courage n’est plus là. Il travaille son petit essai sur Kierkegaard, commande des ouvrages sur Internet pour avoir le plaisir de discuter deux minutes avec la livreuse puis replonge dans ses souvenirs, les images d’Anna dont la mort accidentelle dix ans auparavant l’a laissé inconsolable. Les déplacements dans la maison sont devenus une aventure : il risque de tomber, de se prendre le pied dans un tapis et incapable de se relever, de mourir là, seul, oublié de tous.

J’ai beaucoup aimé ce texte très sensible qui dépeint un homme dont les repères présents s’effacent ou se floutent mais qui garde des souvenirs très précis du passé lointain. C’est comme ça quand on vieillit paraît-il, on finit par vivre davantage dans le passé, s’accrochant comme on peut à un présent un peu triste et mélancolique. Et l’on circule de l’un à l’autre comme dans un rêve, entre deux mondes, sans plus appartenir à aucun.

Un récit poignant non dénué d’humour et dont la précision des détails et leur réalisme nous laissent penser que l’auteur sait de quoi il parle.

Le dernier texte de Paul Auster  ? Moi je dis que non et j’attends la suite… En effet, la fin n’annonce-t-elle pas un début? Ce serait un beau pied de nez de l’auteur à ses lecteurs !  


 

samedi 6 avril 2024

La disparition d'Hervé Snout

Éditions Denoël
★★★★★

 J’ai découvert Olivier Bordaçarre en 2014 avec « Dernier désir », un thriller génial, en poche maintenant. Vient de paraître « La disparition d’Hervé Snout » et c’est toujours aussi EXCELLENT ! Avec Bordaçarre, on est dans le roman social : l’auteur nous offre une analyse sans concession, glaçante et vraiment très drôle de notre monde. Il excelle à mettre en évidence les travers de la société moderne et l’on est à la fois horrifié et amusé par l’écriture incisive et le ton ironique.

Nous découvrons, dans ce roman, la famille Snout : le père (un gros con) (je sais, c’est un peu vulgaire mais je ne trouve pas de synonyme qui rende aussi bien compte de ce qu’est fondamentalement cet homme : un con : dominant, prétentieux, violent, mauvais, autoritaire, sadique...), la mère, Odile Stout (mais qu’est-ce qu’elle fout avec un mec pareil?) et deux gosses : un fils moche, écervelé et dangereux (le portrait du père en devenir) et une fille sensible, intelligente et qui n’a qu’une hâte : quitter au plus vite le domicile familial où l’ambiance est horrible. Une famille dysfonctionnelle donc (pléonasme?) La description des ados est vraiment remarquable de justesse !

Ah, oui, j’oubliais de vous dire : Snout est directeur d’un abattoir. Pas sûr qu’après la lecture, vous puissiez avaler votre steak. Mais bon, faut assumer hein ? Et chacun d’entre nous ferait bien de passer une demi-journée dans un abattoir histoire de découvrir l’horreur absolue qui règne dans cette industrie du carnage. Bref… le problème, c’est que notre abruti d’Hervé Snout disparaît. Plus aucune trace ! Comme c’est dommage ! Bon, c’est quand même un peu embêtant et Mme Snout commence à s’inquiéter même si elle se sent parfois un peu soulagée. Où est passé son mari ? Départ volontaire ? Le jour de son anniversaire en plus ! Enlèvement ? Ou … Tout le monde demeure perplexe.

Je me suis régalée à la lecture de ce thriller engagé : on est porté par le suspense, on découvre des personnages hyper bien rendus. La construction non chronologique du roman donne l’impression d’un puzzle qui prend forme petit à petit. Et enfin, disons-le, qu’il est plaisant de lire un polar bien écrit ! Franchement je recommande la lecture de ce roman noir ! Et la fin… alors là, vous n’êtes pas près de l’oublier !

Une fable sociale saisissante, « saignante et engagée »

Un régal !




 

lundi 1 avril 2024

Le Sang des innocents de S.A Cosby

★★★★★
Éditions Sonatine
traduit de l'anglais (ÉU) par Pierre Szczeciner

 Comté de Charon, Virginie : exceptionnellement, je commence par une citation pour vous mettre dans l’ambiance ! « Flannery O’Connor a écrit que le Sud était hanté par le Christ. Oui, il est hanté, mais par l’hypocrisie du christianisme. Toutes ces églises, toutes ces bibles, et pourtant, les pauvres sont ostracisés, les femmes se font traiter de salopes quand elles portent plainte pour viol, et moi, je ne peux pas aller boire un coup à l’Oasis sans me demander si le barman a craché dans mon verre. Les gens prétendent que ce genre de choses n’arrive pas à Charon mais, ce genre de choses est l’essence même des petites villes comme Charon. »

Celui qui parle ici est Titus Crown, un enfant du pays, ex-agent du FBI, premier shérif noir de Charon, bourgade rongée par le racisme. Titus est un homme fin, sensible, intègre, généreux, d’une grande humanité, prêt à risquer sa vie pour secourir les plus démunis, les laissés-pour-compte. Mais il ne fait pas l’unanimité : détesté par les Blancs nostalgiques de la Confédération, il n’est pas plus apprécié par les Noirs de la ville qui l’accusent de les avoir trahis.

Or, tandis que la ville semble profiter d’une accalmie bien fragile, une fusillade se déclare au lycée Jefferson Davis : un jeune Noir, Latrell MacDonald, a tiré sur M. Spearman, le meilleur prof du lycée. Latrell est immédiatement abattu par un des collègues de Titus. Encore une bavure policière ou juste un cas de légitime défense ? Et si ce professeur, M. Spearman, aimé et admiré de tous, n’était pas si irréprochable que ça ? En fouinant dans le téléphone portable de l’enseignant, Titus et son équipe vont découvrir l’horreur absolue et les épreuves qu’ils vont endurer sont à peine supportables. Accrochez-vous ! Un bon nombre de suprémacistes blancs se battront corps et âme pour leur mettre des bâtons dans les roues. Titus devra aller vite car le pire du pire est encore à craindre et chaque jour apporte son lot de monstruosités et de violences. Chacun porte un masque à Charon. Pas facile de savoir qui est qui ! L’enquête pourrait bien être plus complexe que prévu ! Il va falloir se replonger dans un passé cruel et répugnant pour mieux comprendre le pourquoi du comment.

Un très bon polar, de ceux qu’on ne lâche pas : le portrait d’une société pourrie de l’intérieur par le racisme, les tensions intracommunautaires et le fanatisme religieux, sans oublier les dégâts de l’alcool et des drogues. S.A Cosby nous offre une vision bien sombre de l’Amérique d’aujourd’hui. Interviewé, l’auteur explique qu’à la suite du meurtre de George Floyd, il avait voulu travailler sur le maintien de l’ordre en Amérique et tenter de comprendre comment un homme pouvait se retrouver dépassé par le poids de ses responsabilités. Né dans le Sud, l’auteur sait de quoi il parle et veut montrer que le Sud n’est pas ce que l’on pense, à savoir uniquement une terre de néo-confédérés nostalgiques des années passées et de suprémacistes blancs prêts à en découdre si besoin est. Même si l’on a l’impression que nombreux sont ceux qui sont comme englués dans un passé nauséabond fait d’esclavagisme, de ségrégation et de guerre de Sécession, passé dont ils semblent avoir bien du mal à s’extraire, il y a autre chose : toute une panoplie de cultures, d’histoires, de peuples et des gens comme Titus Crown qui se battent pour le respect de tous, au-delà des religions, des croyances et des couleurs de peau.

Un texte fort, puissant, haletant, hyper-efficace, dont l’atmosphère oppressante nous plonge immédiatement dans l’Amérique rurale d’aujourd’hui où les tensions sont extrêmes. La réalité complexe est particulièrement bien rendue par la peinture de personnages dont le portrait psychologique, toujours bien fouillé, rend le tableau saisissant de vérité.

Je recommande !


 

mercredi 20 mars 2024

L'échec Comment échouer mieux de Claro

★★★★★

C’est dans la très courte nouvelle de Samuel Beckett intitulée « Cap au pire » «Worstward Ho »  que l’on trouve la citation suivante :« Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better. » traduite ainsi: « Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux. » Si vous ne connaissez pas cette nouvelle incroyable, je vous invite à en lire un extrait ici: https://excerpts.numilog.com/books/9782707313966.pdf

Beckett tente une expérience de l’effacement (de la mort?). Le lecteur perd tout repère, il n’y a plus de personnages, plus de lieux, plus de temps et presque plus de mots. L’oeuvre s’annule et disparaît, comme si le romancier voulait atteindre une espèce d’anéantissement complet, une sorte de rien, de vide, de non-être (sans y arriver car il reste toujours des mots sur la page) et finalement, cette recherche de l’échec absolu (totalement désespéré), on le voit, produit du pur Beckett, du nectar de Beckett, du Beckett pur jus… (vraiment, allez y jeter un œil, cela vaut le détour!)

S’inspirant donc de cette citation, Claro nous parle dans son dernier livre de l’échec en littérature. Claro propose un texte multiforme : essai, pensées, fiction, réflexions, autobiographie, listes, définitions, pastiches, poésie, le tout agrémenté de jeux de mots, de clins d’oeil, de sous-entendus, de détournements de citations… Le texte est intelligent, brillant, plein d’humour et bourré de références… Il vaut mieux le lire à tête reposée tellement le raisonnement prend parfois des voies un peu tortueuses, voire discutables, mais toujours très stimulantes. C’est du Claro : ça pétille, ça fourmille d’idées et franchement, même si l’on n’a pas toutes les références, on s’amuse bien !

J’ai adoré la première partie où il est question de la traduction : Claro est traducteur et romancier, il sait donc de quoi il parle! En effet, traduire, selon Claro, c’est forcément échouer. L’échec serait le fondement même de la traduction : comment substituer une langue à une autre, un monde à un autre monde, une époque à une autre époque ? « Quand je traduis « bread » par « pain », je fais comme si le rectangulaire pain anglais avait le pouvoir de s’arrondir, s’allonger, se fendiller, et dorer pour prendre l’allure d’une sémillante baguette parisienne. »

Sans compter qu’un mot a un sens ET une forme. Que dire de Baudelaire qui traduit le mot tout riquiqui « dull » par le beau « fuligineux » ? Quelle erreur !  « « Dull » sent l’échec… on dirait que la bouche l’émet à peine… « fuligineux », lui, serpente, ... un peu prétentieux…. Il répand ses cendres avec panache. »

« Il existe entre les langues une faille infranchissable » conclut l’auteur. 

Intéressantes aussi ses réflexions autour de la traduction du début de « Mile Zero » de Thomas Sanchez : « It is about water. » Comment traduire ce début ? Pas si simple !

Quant au titre « Under the volcano » de Malcolm Lowry, Claro en dit ceci : « Voulez-vous être « au-dessous » du volcan ou « sous » le volcan ? Invitation au débat...

Passionnante aussi sa façon de procéder lorsqu’il doit traduire une œuvre parue en 1960 mais dont l’histoire se déroule au XVIIe …

Et puis, ajoute l’auteur, il faudra un jour se résoudre à virer le lit de la chambre de Virginia Woolf... Mais oui, c’est vrai, pourquoi l’a-t-on reléguée dans une chambre alors qu’elle demandait une pièce entière, un lieu à elle? Je n’avais jamais pris conscience de cette traduction fautive ! « La room woolfienne n’avait rien d’un boudoir et l’on aurait pu s’en aviser un peu plus tôt. » s’exclame l’auteur !

Claro aborde ensuite le sujet de l’écriture. En effet, écrire, comme traduire, c’est échouer : on gomme beaucoup, on rature, on fait des brouillons et ça finit souvent à la poubelle ! Et c’est plutôt bon signe si l’on veut tenter d’échapper à « l’écriture pavillonnaire », l’expression est d’Éric Chevillard et elle désigne des livres qui se ressemblent et utilisent les mêmes clichés...

Écrire, c’est échapper à certains pièges : celui par exemple de vouloir DIRE. Le mieux serait même que l’écrivain n’ait rien à dire. Le « dire » oblige l’écrivain à « se plier au langage commun.» « Écrire serait donc ne pas dire mais contre-dire.» Bien dit !

Ainsi, échouer en écriture devient la condition même de l’écriture, fondée sur le principe du recommencement, de la correction, de l’effacement.

Il est question aussi de Kafka. (Peut-on dire qu’il a échoué pour la raison que son œuvre est inachevée, lacunaire, fragmentaire ? Je m’interroge...) Peut-être peut-on parler d’une œuvre en attente de fin, comme les personnages kafkaïens sont en attente d’un châtiment, d’une mort, d’un jugement. Ainsi le mot  « fin »  chez Kafka n’est-il pas vraiment opérant... Et l’échec (l’impossibilité d’en finir) prend tout son sens et donne à l’oeuvre toute son épaisseur...

Pessoa, l’homme aux nombreux pseudos, a échoué lui aussi : il a « échoué à n’être que Pessoa.» « Je suis un fragment de moi-même conservé dans un musée abandonné » dit-il en parlant de lui-même. Cette fragmentation est peut-être précisément à l’origine d’une œuvre polyphonique bien plus intéressante qu’un bloc organisé et cohérent, « une œuvre ouverte et infinie.» qui n’est possible que par l’échec... Finalement, la réussite réside dans une espèce d’aboutissement de l’échec. Un échec parfait.

Un texte stimulant !

Désolée, Claro, vous n’avez pas échoué et malgré tout votre livre est réussi… Comme quoi, l’échec n’est pas à la portée de tous… N’échoue pas qui veut !


 

vendredi 8 mars 2024

Sous la menace de Vincent Almandros

★★★☆☆

 Incontestablement, il est doué Vincent Almendros. Doué pour créer une atmosphère pesante, doué pour décrire minutieusement l’attitude d’un personnage, son malaise, ses hésitations, ses contradictions, la façon dont il perçoit le monde, doué pour lancer le lecteur sur de fausses pistes. On se fait à chaque fois gentiment berner, on relit ce qu’on vient de lire, surpris par la précision inattendue que l’on vient de découvrir. L’auteur s’amuse de notre naïveté, il déjoue nos attentes, nous piège, livre ses infos au compte-gouttes. Il faut être attentif à tout dans les livres d’Almendros car les détails ont leur importance. Mais en même temps, il faut avoir une vision globale car les gros plans peuvent nous empêcher de considérer l’ensemble avec justesse. Un pronom personnel, le double sens d’un mot, la structure d’une phrase peuvent facilement nous tromper. Il faut rester très attentif. De même, le début in medias res nous plonge dans le doute : qui est le « je » qui parle, qui est Chloé, qui est celle « qui n’en avait pas pour longtemps » ? La mère ou Chloé ? Et « pas pour longtemps » pour finir ce qu’elle est en train de faire ou parce qu’elle va mourir ? Les livres de Vincent Almendros sont d’habiles thrillers, des page-turners que l’on ne repose qu’après les avoir avalés d’une traite. A chaque page, on s’attend au pire. Je ne vous dis rien sur l’histoire (étouffant huis clos familial), suspense oblige, et ne lisez pas la 4e de couv’ !

J’ai découvert cet auteur avec l’incroyable « Faire mouche » (2018) et paraît-il que le précédent « Un été » est vraiment excellent. Cela dit, j’avoue avoir été un peu déçue par la fin de « Sous la menace » ; je trouve que si l’écriture est toujours aussi addictive, le dénouement est un peu frustrant et l’on reste sur sa faim. Dommage. Vivement le prochain !