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mardi 18 juin 2019

Le petit veilleur de Benoît Reiss


Éditions Buchet.Chastel
★★★★★


Lors du Festival Étonnants Voyageurs, j'ai surpris Gaëlle Josse devant un stand, contemplant ce petit livre… Elle s'est penchée vers la libraire et lui a dit : « Ce texte est une merveille. »
À peine venait-elle de reposer ledit exemplaire que nous étions deux indélicates observatrices à nous jeter sur les deux exemplaires qui restaient : Le petit veilleur (jamais entendu parler) de Benoît Ress (ah, si ! j'avais lu en 2017 L'Anglais volant publié chez Quidam).
Entre nous, heureusement que Gaëlle Josse n'en a pas désigné une dizaine du bout du doigt… je crois bien que j'aurais craqué !
Alors, ce petit veilleur ? Le conseil de Gaëlle Josse était-il un bon conseil ?
Oh que oui ! Et pourquoi n'ai-je pas entendu parler plus tôt de ce petit bijou ? Parce que ce texte est d'une très grande beauté, oui, il est fin, sensible, poétique… Il m'a parfois fait penser à du Duras dans la minutie et la délicatesse des images et des sentiments évoqués.
Le roman retrace un parcours en voiture décrit du point de vue d'un petit garçon nommé Thierry qui, enfoncé dans son siège, ne perçoit que des bribes du paysage. On ne sait pas qui est l'homme qui conduit ni où ils vont. On sait seulement que pour l'enfant, c'est un jour important. Les adultes lui ont expliqué cela. Il n'a pas bien compris pourquoi.
Au fil de la route, l'enfant se souvient de son passé, de son quotidien, évoque une mère souvent absente et qu'il passe son temps à attendre , soit dans un café, soit seul dans un appartement. Des images de la pension religieuse où il vit lui reviennent à l'esprit et notamment une jeune fille qui s'appelle Sophie avec laquelle il jardine et qu'il écoute jouer du piano.
Ce petit garçon observe le monde et nourrit son imagination des détails qui le composent. Souvent, il attend le retour de sa mère qu'il souhaite ne jamais quitter. Seul, il s'abandonne à la contemplation de ce qui l'entoure, ce qui donne lieu à des descriptions très fines et très poétiques qui traduisent merveilleusement la grande sensibilité de l'enfant. Tout est suggéré dans ce roman où la parole des adultes, assez rare d'ailleurs, est souvent rejetée par l'enfant car elle brise l'univers qu'il s'est construit, pour se protéger certainement.
Le petit veilleur est un texte court mais sa puissance est telle qu'il imprime en nous toute la précision et l'acuité du regard de l'enfant sur le monde qui l'entoure et qu'il tente de déchiffrer… A l'émerveillement se mêle un sentiment de solitude, d'abandon peut-être, d'espoir toujours de revoir cette mère qui disparaît si souvent et si mystérieusement. Benoît Reiss décrit avec beaucoup de sensibilité l'attente, le vide, le silence, une odeur qui flotte dans l'air, le bruit des vagues. On est porté par la beauté du texte, sa poésie, et l'on attend le coeur un peu serré une fin que l'on redoute un peu.
Superbe !

samedi 15 juin 2019

Une amie de la famille de Jean-Marie Laclavetine


Éditions Gallimard
★★★★★ (IMMENSE coup de coeur 💓💓💓)


Lettre ouverte à Jean-Marie Laclavetine

Monsieur Laclavetine,

Je n'avais jamais rien lu de vous. Je ne savais rien de vous non plus ou pas grand-chose.
Je vous ai entendu parler pour la première fois le samedi 8 juin 2019 dans le cadre du Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo. Et ce que vous avez dit ce jour là m'a bouleversée.
Vous avez raconté l'histoire de votre sœur Anne-Marie, le long silence familial qui a suivi sa mort puis, après le décès de vos parents, votre désir, né d'un rêve, de la retrouver, de savoir qui était cette sœur que finalement vous n'aviez pas eu le temps de connaître vraiment. Vous avez parlé aussi de l'étrange fonctionnement de la mémoire, des fausses pistes sur lesquelles elle vous avait mené et de votre volonté de ne pas rectifier ce que vous aviez commencé à écrire et qui, un peu plus tard, s'était révélé faux.
Vos mots simples, sensibles, votre sincérité, votre émotion, votre retenue et, en même temps, cette nécessité devenue la vôtre de dire qui elle était m'ont beaucoup émue. J'aurais aimé vous le dire mais quand je suis allée sur le stand, l'heure de la dédicace était passée et vous étiez parti. Heureusement peut-être, car je me serais sentie bien incapable de vous dire à quel point vous m'aviez touchée.
Je viens, ce soir, de finir votre récit et mon émotion est telle que j'ai bien du mal à trouver mes mots. Car voyez-vous, j'ai fait de belles, très belles rencontres en lisant votre livre.
Bien entendu, j'ai fait la connaissance d'Anne-Marie... (Excusez-moi de ne pas l'appeler Annie comme vous le faites dans votre livre mais vous-même, à deux reprises, vous l'appelez Anne-Marie...) Quelle femme attachante et comme vous avez su nous la rendre vivante ! J'ai tellement aimé votre sœur, Monsieur Laclavetine, une femme entière, drôle, éprise de liberté, coincée dans une époque qui n'est pas la sienne, mal à l'aise avec les convenances, inventive, audacieuse, intelligente, indépendante, originale, franche, spontanée, sensible, inquiète, joyeuse... J'ai observé attentivement les photos que vous avez eu la très bonne idée de reproduire dans le livre. J'en aime deux particulièrement : celle de la page finale où Anne-Marie lève son verre en souriant. Elle a, je trouve, un air un peu malicieux et semble nous inviter à vivre, à profiter, à être heureux. Franchement, on a envie de trinquer avec elle « à la vie ».
Cette photo m'a fait pleurer.
Je retiens aussi la photo de la page 167 : Anne-Marie est très belle. Elle fait très jeune, a les joues un peu rondes et un air très doux. On a envie de la connaître, de l'approcher, de parler avec elle.
J'ai donc rencontré votre sœur et le portrait que vous en faites est tellement magnifique. Quel hommage superbe vous lui offrez là ! L'évocation de votre rencontre avec Gilles est bouleversante… Mais il ne faut pas que j'en dise trop.
J'ai aussi rencontré dans ce livre votre famille, et notamment vos parents. C'est toute une époque et un milieu que vous peignez admirablement… Les lettres que s'échangeaient vos parents et qui témoignent de l'amour qu'ils se portaient l'un à l'autre sont d'une beauté absolue (quelle magnifique écriture!) et tellement tellement émouvantes. Le portrait que vous faites de votre père est très touchant : on le sent parfois désarçonné par cette fille, votre sœur, qu'il aime infiniment mais qu'il a parfois du mal à comprendre… Vous avez tellement bien exprimé la sensibilité de cet homme, sa souffrance d'être éloigné de sa famille, sa volonté de réussir dans son travail pour que les siens soient fiers de lui, et son courage aussi.
Et puis, c'est aussi vous-même que j'ai commencé à connaître. Moi qui savais si peu de choses de vous, j'ai l'impression d'avoir vécu les tourments que vous avez pu ressentir au moment de l'écriture, vos interrogations sur le projet même de ce livre et la lente approche de celle que vous souhaitiez retrouver, apprendre à connaître et à qui vous vouliez peut-être aussi rendre, grâce à la magie de l'écriture, un peu de la vie qu'elle avait perdue.
Je crois qu'elle aurait aimé lire ce livre, qu'elle vous aurait certainement disputé un peu d'avoir révélé quelques-uns de ses secrets mais que, vous voyant un brin ennuyé, elle aurait éclaté de rire car au fond, j'en suis certaine, elle aurait été très fière de ce magnifique portrait de femme moderne et libre que vous avez fait d'elle.
Merci, Monsieur Laclavetine, pour ce livre exceptionnel et ces êtres fabuleux que vous m'avez permis de rencontrer. Ils m'ont touchée au fond du coeur et je ne les oublierai jamais.
(J'ai bien conscience à la fois de me répéter et de sembler un peu bébête dans l'évocation de mon émotion mais tant pis, j'assume!)

jeudi 13 juin 2019

East Village Blues de Chantal Thomas


  Éditions Seuil
  ★★★★★


Je ne sais pas pourquoi, mais imaginer Chantal Thomas en baroudeuse-sac-à-dos faisant du stop le long des routes brûlantes de la banlieue de Lima, arrivant à New York, un bonnet péruvien sur la tête et un sac de marin sur l'épaule, sans un sou en poche et ne sachant pas trop où dormir…eh bien là, franchement, je suis tombée des nues…
Je voyais cette dix-huitièmiste accomplie, spécialiste de Sade, Casanova et Marie-Antoinette, fréquenter quelque boudoir douillet de Versailles plutôt que les bars lesbiens de Manhattan.
Comme quoi, on se trompe beaucoup sur les gens, on les fige dans une image qui ne correspond qu'à une infime partie de ce qu'ils sont et l'on oublie que la vie fait de nous des êtres de contrastes et de contraires.
En revanche, ce que j'ai parfaitement retrouvé, c'est cette sublime écriture, ces phrases qui se déroulent, se déploient gracieusement dans une harmonie si parfaite et si rare.
Nous sommes donc en juin 2017, Chantal Thomas fait sa valise pour New York. C'est une ville qu'elle connaît bien puisqu'elle y a séjourné à plusieurs reprises : d'abord un bref passage de 24 heures dans les années post-bac, avec Sandra, la copine du lycée, à l'occasion d'un voyage au Pérou. C'est le choc, l'expérience du démesuré et du formidable dans tous les domaines, l'affolement des sens, l'ivresse de s'y trouver, enfin : « je m'abandonnais à la fascination ». Aucune autre ville ne souffre la comparaison. Il y a New York et les autres, loin derrière.
La seconde expérience a lieu en juin 1976 : Chantal Thomas vient de soutenir sa thèse sur Sade sous la direction de Roland Barthes. Elle part avec une vague adresse en poche et se présente chez une certaine Jodie qui n'a pas l'intention de garder la voyageuse bien longtemps.
Au fond de la valise, un autre bout de papier, une autre adresse, au sud-est de la ville : celle de Cynthia. L'accueil est chaleureux. Le « railroad apartment » envahi par les plantes et, la nuit, par les cafards finit de séduire la voyageuse. Et en plus, le quartier se révèle extraordinaire : l'East Village, peuplé d'artistes, de gens exilés et sans le sou est composé de petits immeubles, de jardins communautaires et de friches. Le quartier est dangereux et séduisant. Chantal Thomas se laisse happer, transportée par cette ville pleine de vitalité, berceau de la fameuse Beat Generation et des Kerouac, Ginsberg, Orlovsky... : folie des week-ends, des boîtes de nuit, des « parties », des brunches gargantuesques, des déambulations nocturnes et des rencontres insensées… C'est non seulement un lieu (et quel lieu!) que découvre Chantal Thomas mais une époque, celle où l'on croise Andy Warhol dans une boîte de nuit, où l'on passe une soirée folle au Chelsea Hotel, lieu mythique où vécurent Arthur Miller, Thomas Wolfe, William Burroughs, Patti Smith etc, où l'on rencontre à tous les coins de rue des gens assis par terre sur un carton et qui se disent poètes…
Oui, New York est le lieu de tous les possibles et notamment celui de devenir écrivain… En France au contraire, « il en fallait beaucoup et, surtout, il en fallait longtemps pour se déclarer écrivain. » Là- bas, armé d'une machine à écrire, n'importe qui s'autorise à frapper les touches et on verra après… C'est là que Chantal Thomas a senti qu'elle pouvait se lancer elle aussi, s'autoriser cet acte quasi sacré en France...
Une autre rencontre avec New York a lieu en juillet 2017 : pour explorer ce quartier qu'elle aime tant, Chantal Thomas choisit pour guide une inconnue qu'elle suit dans la rue : une femme japonaise tout de blanc vêtue (couleur de la mort au Japon). Dorénavant, les magasins rose bonbon de cupcakes et de cookies ont remplacé les bars underground : place au jus de carotte et à la guimauve. La gentrification galopante a tué un quartier dont les prix ont explosé. Les anciens habitants sont expulsés, les immeubles détruits et reconstruits : c'est le règne du billet vert. «  La disparition des poètes dans un monde régi par le seul marché de l'immobilier est une perte du côté de l'irrémédiable, la perte de son âme. » « Il y a quelque chose de pourri dans l'empire de » la Grande Pomme, il ne reste désormais que des fantômes et des traces presque disparues d'une époque à jamais perdue… (D'ailleurs, les reproductions des photos de graffitis saisis dans les rues de l'East Village et qui accompagnent la lecture du texte traduisent la volonté de témoigner d'une époque et entrent donc en résonance avec le projet même de l'auteure.)
C'est donc une belle balade que nous propose Chantal Thomas, une découverte de lieux qui ont changé et d'une époque, bien révolue elle aussi. Mais ce que présente East Village Blues, c'est peut-être aussi et surtout la façon dont elle est née à l'écriture, ce qui lui a permis d'accéder à cette liberté et de s'affranchir du regard du père (Barthes) ou des pairs (l'Université française). Seule New York détenait ce pouvoir, offrait cette folie, permettait cette audace.
Un texte superbe qui dit toute la nostalgie pour un passé qui n'est plus, pour un monde de liberté propice à la création littéraire et au bonheur intense de vivre.
Fort, très fort et plein de poésie...

                         

mardi 11 juin 2019

Madame Jules d'Emmanuel Régniez


Éditions Le Tripode
★★★★☆


Madame Jules aime Monsieur Jules, son mari, son amant, elle l'aime et le répète souvent. Oui, elle aime à le dire, à se le dire. Elle en est bien convaincue et aime cet Amour qui la brûle, l'éblouit, la comble d'aise, d'assurance et de félicité.
Elle aime aussi faire l'amour avec Monsieur Jules. Pour cela, elle se prépare, se pare, se parfume et s'offre à Monsieur Jules. Elle est douée pour cela, travaille le décor et la mise en scène. Rien n'est laissé au hasard. Ce serait tellement dommage. Tout doit être réussi, beau, lisse, brillant comme dans les livres d'images ou les romans d'amour.
« C'est moi qui réalise tous ces délicieux programmes. C'est moi qui réalise toutes ces délicieuses envies. »
Madame Jules fait tout pour être heureuse. Madame Jules a tout pour être heureuse.
Elle contemple avec bonheur son bonheur, comblée, ravie, béate de vivre une union si parfaite, si enviée.
« - À quoi penses-tu ?À toi, répond-il. - À moi seule ? - Oui. »
Ils sont un.
Et personne ne vient troubler cette unité, cette harmonie totale, cette communion absolue. Ils ne sont qu'un. Corps et âme. Âme et corps. Mêlés, entremêlés, emmêlés.
Un.
« Monsieur Jules, mon mari mon amant » répète-t-elle à l'envi, ivre de ces mots si beaux qui martèlent son âme, telle une mélodie un brin entêtante.
Madame Jules bâtit son bonheur, construit autour de lui un solide mur de pierre pour le protéger : tout est contrôlé, verrouillé, vérifié. Madame Jules ne laisse rien au hasard, ce n'est pas son genre. Elle s'est créé un monde en se coupant du monde. Pour préserver ce bien qu'elle a de plus précieux : son amour pour Monsieur Jules.
Et malgré tout, parfois, Madame Jules se laisse bercer par son univers intérieur, vaste comme la mer et elle s'abandonne à la douceur des vagues, à l'appel du désir. Une eau douce et claire l'entraîne vers un ailleurs mystérieux, à l'extérieur de la chambre à coucher « au lit blanc, gréé de dentelles » où elle protège son amour. Une petite pensée lui échappe, un petit rien s'envole qu'elle échoue à retenir.
« Mais à quoi penses-tu donc ? me demande-t-il une nouvelle fois. »
La question posée ne suppose-t-elle-elle pas l'ombre d'un soupçon ? De quoi pourrait-on soupçonner une femme qui pense ? Et d'ailleurs, une femme pense-t-elle ? Vers qui, vers quoi son esprit s'envole-t-il, hors les murs de la chambre, hors les murs de la morale, des bonnes mœurs, des principes, des normes bien établies ?
« Et là, il doit penser que je pense que je suis une femme qui pense, oui il a raison Monsieur Jules, mon mari mon amant, je pense. Et maintenant qu'il sait que je pense, c'est le début d'un autre monde. »
« Les femmes pensent admirablement en France ou ailleurs. Les mœurs nous apprennent si bien l'imposture. »
Madame Jules sait contenir son imagination, la maintenir, la contraindre. Elle sait cadrer ses désirs, les refouler, les empêcher. Il lui arrive parfois de manquer de vigilance et de laisser s'envoler l'ombre d'une pensée, la pointe d'un désir, la lueur ténue d'une envie.
Mais elle l'aime tellement ce « Monsieur Jules, mon mari mon amant »  Elle l'aime tellement, tellement, tellement, comment imaginer une place pour un autre, même en pensée ? Oui, comment ?
Or, un soir, Monsieur et Madame se rendent à une fête. Elle est abordée (ou bien l'imagine-t-elle ? Le fantasme-t-elle?) par un importun qui voudrait juste danser avec elle. Juste cela ou peut-être plus (se le figure-t-elle ...) Mais c'est suffisant pour que le bel équilibre soit dérangé. Le doute s'insinue au coeur de l'être, fissure légèrement le mur épais qu'elle a bâti pour protéger leur amour.
Le doute et l'envie, duo terrible, enflamment la pensée, le désir, les fantasmes et font aussi renaître les fantômes anciens, que l'on croit oubliés mais qui sont là, toujours là, prêts à surgir, à bondir, à renaître.
La terrible tentation.
« On a beau cacher son secret, on a beau enfouir au plus profond de soi ses phantômes, penser qu'ils ne reviendront jamais, ils remontent un jour ou l'autre à la surface. Ils ont été bannis, certes, mais le banni n'est jamais mort et peut revenir. Il ne demande pas la permission de revenir, de rentrer au pays et son retour est toujours surprenant, et son retour est toujours une surprise qui laisse pâle et presque en défaillance.
À quoi penses-tu? À toi, je pense à toi. Et le toi n'est plus toi, n'a plus ta voix, ton visage, ton nom. »
C'est avec beaucoup de plaisir que j'ai retrouvé dans Madame Jules les principaux motifs abordés par Emmanuel Régniez dans son excellent premier roman, Notre château  (les schémas narratifs ont aussi des points communs) : deux êtres (frère, sœur/mari, femme) vivent ce qui ressemble à une union parfaite (amour fraternel/amour conjugal) dans un lieu retiré du monde (château/chambre) et se livrent à une activité qui les lie (lecture/jeux amoureux). L'extérieur apparaît comme une menace dont il faut se méfier, se protéger. Dans les deux cas, un doute s'immisce venant rompre le parfait équilibre, fissurer les certitudes, briser une routine bien huilée.
« Qu'ai-je oublié ? Quelle erreur ai-je commise ? À quel moment me suis-je fait avoir ?
Qu'ai-je oublié ?
J'ai oublié qu'il y avait un monde derrière ma porte. J'ai oublié qu'il y avait un autre monde que celui de ma chambre. »
L'on retrouve aussi la figure de la répétition qui comme une litanie envoûtante vient traduire l'obsession, la peur, la mince frontière entre réalité et folie.
Plusieurs thèmes centraux sont eux aussi communs aux deux œuvres : le dit/le non dit, le présent/le passé, l'extérieur/l'intérieur, l'être/le paraître, la certitude/le doute, le désir/l'interdit…
Le lecteur encore une fois se trouve entraîné dans des espaces troubles et trompeurs où vivent des êtres épris d'une forme d'absolu,et qui, s'étant façonné un quotidien réglé au millimètre afin de se protéger du monde extérieur, vont trébucher sur un petit caillou qui a roulé subrepticement sous leur pied et les a fait ponctuellement (ou durablement) vaciller : soit ils auront la force et la volonté de se relever, soit ils sombreront dans la folie.
Indéniablement, Emmanuel Régniez construit une œuvre passionnante, fascinante et dérangeante qui explore la passion, l'aveuglement et le désir d'absolu des hommes, désir qui peut à tout moment les conduire à leur perte ou bien les élever au-delà d'eux-mêmes et de leurs semblables. 
Encore une fois, un grand plaisir de lecture...
On en redemande !