Éditions Gallimard
★★★★★
Le 6 juin 2012 à 17 heures 13, Paul Gasnier a perdu sa mère,
cycliste, fauchée très brutalement par la roue avant d’une KTM
654, moto hyper-puissante qu’un gamin de 17 ans du quartier de la
Croix- Rousse à Lyon, sous l’emprise de stupéfiants, a été
incapable de maîtriser.
Dix
ans plus tard, refusant de sombrer dans la haine de l’autre, de se
répandre dans des discours racistes qui s’accompagnent
généralement d’un repli identitaire voire d’un désir de
vengeance, l’auteur, devenu journaliste, va tenter de comprendre,
d’analyser dans le détail, loin de tout manichéisme, ce que peut
signifier cette collision. Est-elle le signe d’une fracture de la
société ? Comment le gamin en est-il arrivé là, à se lancer
dans un rodéo urbain au risque de tuer ? Quel est son
parcours, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné, où ça a coincé ?
Il se lance dans un enquête quasi sociologique, une espèce
d’autopsie de l’accident, interroge la famille du jeune homme
puis un éducateur, pour tenter de comprendre. D’un côté, Saïd,
un gamin issu de l’immigration, un ancien dealer attiré par les
gains rapides, multirécidiviste fasciné par la figure d’un grand
frère, et de l’autre, une intellectuelle bourgeoise architecte et
professeure de yoga. Est-ce que, quand l’un et l’autre se
rencontrent, cela doit déboucher sur la mort ? Quel est le
poids du déterminisme social ? Est-ce possible de le nier ?
Était-il possible d’éviter ce drame ? L’auteur
s’interroge aussi sur le système judiciaire français : il
rencontre un policier, un avocat, un juge qui vont lui donner leur
point de vue sur ce drame que personne n’a oublié.
Mais
ce que j’ai trouvé vraiment intéressant dans ce texte, c’est
son questionnement sur l’attitude à adopter quand on perd un être
cher si brutalement dans un accident . Militer pour
l’extrême-droite et hurler « ça suffit » durant les
meetings ? Ou bien cheminer vers l’autre, tenter de comprendre
qui il est, d’où il vient, rencontrer sa famille et peut-être, le
rencontrer ? Est-il possible d’avoir une telle force, une
telle sagesse ? Jusqu’où peut-on aller vers l’autre, vers
celui qui ne nous ressemble en rien, vers celui qui a tué ?
Ce
qui est fascinant dans ce texte, c’est la ligne de crête sur
laquelle ce jeune journaliste évolue sans cesse au risque, à tout
moment, de tomber. On voit d’ailleurs ses errements à travers ses
réflexions, ses interrogations et cette souffrance toujours là,
l’émotion qui risque de brouiller le jugement et le besoin évident
de parler de celle que l’on a perdue, de dire toute la tendresse,
l’admiration et l’immense amour que l’on a pour elle.
Bouleversant.
Avec
beaucoup de finesse et de pudeur, il dresse le portrait de sa mère
mais aussi celui de Saïd, le garçon qui l’a tuée. Il étudie le
parcours de ces deux personnes que tout oppose.
Ce
texte, à la fois politique et très intime, admirable de beauté
tant par la forme que par le message qu’il transmet, devrait être
lu par tous car il est une magnifique leçon de vie.