Editions Joëlle Losfeld
traduit de l'anglais (pays de Galles) par M de Pracontal
✦✦✦✦✧ (J'ai beaucoup aimé)
Est-ce
parce que Cynan Jones est agriculteur et qu'il vit au nord d'Aberarth
au Pays de Galles qu'il parle avec tant de justesse et de délicatesse
de la terre, des bêtes, du ciel et des hommes ? Ce qu'il nous
dit, il nous le fait sentir. Pas d'explications inutiles, pas
d'analyses superflues. Ses mots parlent aux sens : l'odeur
de la terre fraîchement retournée, des bêtes, le sang qui se mêle
à l'eau et à la paille, le parfum de sa femme qui s'estompe
doucement dans la maison, le métal froid du fusil, les cris des
étourneaux et des sarcelles, les aboiements des chiens dans le
lointain, le bêlement des brebis, la nuance rosée des champs en fin
de journée et du ciel gris et froid au petit matin.
Daniel,
seul personnage portant un nom dans ce roman, est rongé par la
fatigue : c'est la saison de l'agnelage et même la nuit, il
doit veiller pour que les mises bas se passent bien. Il a repris la
ferme familiale et travaille comme autrefois, répétant les gestes
de ses parents, refusant, dans la mesure du possible, la
modernisation : « Et dans le calme de cette nuit il
ressent brièvement, comme si quelque chose d'invisible lui touchait
le visage, l'ancienneté de la chose qu'il fait, il sent qu'il
pourrait être un homme de n'importe quelle époque. »
Sa
tâche lui paraît parfois insurmontable. Ils étaient deux encore
récemment mais sa femme est morte, accidentellement. Il est dévasté,
anéanti. Cette perte est impossible, impensable. Elle n'est plus et
pourtant, il la sent encore présente partout, il la voit, l'entend.
Il ne peut accepter son absence. Et comme dans un état second, dans
des gestes qui le rattachent à la vie, il s'occupe des bêtes, les
soigne, soulage leur douleur. Il met au monde. Il est du côté de la
vie et s'occuper de la ferme lui donne un but .
Un
peu plus loin, vit le grand gars, un homme fruste, brutal , sans
nom, qui organise des parties de chasse aux blaireaux pour le plaisir
d'une poignée d'hommes cruels qui paient car ils ont besoin de
sang, de souffrance et de terreur pour se divertir. Cette activité
atroce et barbare consiste à envoyer un chien dans un terrier :
le blaireau effrayé se trouve donc acculé au fond de son trou et,
plongé dans une terreur extrême et un stress impensable, il doit
lutter parfois pendant de longues heures pour se défendre contre les
morsures du chien. « Dans l'espace étroit de la galerie,
les jappements constants assourdissaient le blaireau et le
perturbaient comme des lumières vives à l'intérieur de son
cerveau, et il ne savait plus ce qu'il pouvait faire. A
partir de là c'était une impasse . Une simple question de
temps. » Alors, les braconniers repèrent l'endroit où se
terre l'animal et creusent jusqu'à l'atteindre. Le blaireau est
ensuite sorti avec des pinces en fer. (Petite précision qui a son
importance : cette activité d'une cruauté sans nom est
interdite dans de nombreux pays européens où l'espèce est
protégée, mais parfaitement autorisée en France pendant neuf mois
et demi de l'année. Cela s'appelle « la vénerie sous
terre ». Je vous laisse découvrir des images terrifiantes
sur Internet...)
Dans
le roman, lorsque les pauvres bêtes sont attrapées, elles servent à
des combats illégaux. Elles doivent se battre contre des chiens
assoiffés de sang et entraînés à tuer. C'est d'une sauvagerie
insoutenable : « Les pinces avaient été forgées tout
spécialement pour cet usage, et elles extirpèrent le blaireau de la
fosse et le tinrent suspendu. Pendant que les paris se prenaient, ils
lui arrachèrent les griffes des pattes avant. Ensuite ils lui
tinrent la tête, lui ouvrirent la gueule avec une pince-monseigneur
et lui défoncèrent les dents de devant. »
Deux
façons de voir le monde, d'être au monde : tandis que Daniel
est porté par l'amour de sa terre, de sa ferme et de ses bêtes, par
l'amour de sa femme qui n'est plus, l'autre, le grand gars, est
violent, mauvais, nuisible. Deux personnages antithétiques
symbolisant le bien et le mal, la vie et la mort. La tension monte
entre ces deux hommes qui se connaissent mais s'ignorent et dont on
imagine la rencontre inéluctable et terrible.
Une
vraie tragédie au coeur d'une campagne galloise perdue dans un
brouillard épais, battue par les vents et la pluie, reflet de la
tempête sous un crâne que vit Daniel, inconsolable dans son malheur
et si seul.
J'ai
aimé ce texte à la fois sensuel, poétique et frisant parfois même
le lyrisme : l'évocation de la nature touche au sublime et les
sentiments de Daniel pour sa femme sont extrêmement émouvants de
sincérité et de pureté. C'est aussi un texte dur, âpre, puissant
qui dit la difficulté du travail d'éleveur, le rapport aux bêtes,
à la vie et à la mort.
Enfin,
A coups de pelle est un texte engagé qui parle de la
souffrance des bêtes, de ce qu'elles subissent de la part des
hommes.
Pour
combien de temps encore ?
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