Éditions Le Passage
★★★★★
Il y
a des livres délicieux dont on entend très peu parler sans que l'on
sache vraiment pourquoi… Petite maison d'édition ? Premier
roman ? Je ne sais au fond ce qui explique qu'ils échappent aux
radars de la critique… « L'atelier du désordre »
d'Isabelle Dangy est l'un d'eux : un pur bonheur de lecture, un
vrai coup de coeur littéraire dont il n'y a pas eu, à mon avis,
assez d'échos ici ou là. Alors, avant de vous ruer sur les
nouveautés de septembre, autorisez-vous une petite séance de
rattrapage et dégustez sans plus tarder ce très bon roman publié à
la rentrée de janvier !
Nous
sommes dans les années 1860 à Barbizon, dans ce petit village qui
depuis une vingtaine d'années attire les peintres paysagistes ;
nous suivons les pas d'un certain René Dolomieu qui vient de se
faire larguer par sa maîtresse, une habilleuse de l'Opéra-Comique.
Triste, abattu, esseulé, il décide, sur les conseil de ses amis,
d'aller traîner son âme en peine loin de la capitale, dans un petit
village entouré de plaines et de forêts où il trouvera à coup sûr
de nombreux sujets à peindre et certainement, sillonnant la campagne
le chevalet à la main, quelques collègues avec lesquels il finira
la soirée à l'auberge Ganne...
Si
ce premier séjour le rétablit un tant soit peu, notre artiste se
voit dans l'obligation de reprendre le train pour Paris où la
famille Eulembaum lui propose de faire un portrait des trois jeunes
filles de la maison. Le travail accompli, René est vite rattrapé
par une profonde mélancolie dont il a bien de la peine à se
départir. Il décide donc de regagner ce village dont l'atmosphère
lui a permis de soulager un peu sa peine. Il retrouve des
condisciples avec lesquels il discute de ce qu'il aime peindre,
notamment des tas, oui des tas : farine, poussière, cendre,
sable et tout autre objet pourvu qu'il apparaisse sous forme
d'accumulation, d'agglomération, d'amoncellement. René aime les
tas, ils attirent son œil de peintre et les reproduire lui procure
une grande jouissance qui, il faut bien le dire, tourne parfois à
l'obsession !
Un
jour, alors qu'il s'est laissé entraîner par des connaissances de
connaissances (lui qui déteste les mondanités!), il est présenté
à un porcelainier de Melun, Monsieur Dauxonne, fier de son
entreprise et passionné par son art, qui va, par personnes
interposées, lui proposer de faire un portrait de sa fille
Valentine. Alors qu'il n'a pas le souvenir d'avoir accepté un tel
travail, il se voit contraint d'honorer la demande : encore une
fois, il doit renoncer pour un temps à sa passion pour les tas, ce
qui l'ennuie profondément : « Il aurait aimé
poursuivre, à sa manière capricieuse et lente, une destinée un peu
informe. Il aurait aimé fréquenter les chantiers et les carrières,
peindre des monticules de terre quand le vent leur arrachait une
écharpe de poussière, des pyramides de gravillons, des
amoncellements de nuages, ou bien comme il y songeait vaguement dans
la salle de restaurant de la Galère, des piles d'assiettes et même
des montagnes d'épluchures. »
En
attendant, il doit loger chez le porcelainier, au Mée-sur-Seine,
jusqu'à ce qu'il mette la touche finale à ce portrait et qu'il
tente, par la même occasion, de comprendre qui est Valentine,
l'étrange fille de Monsieur Dauxonne.
Lire
« L'atelier du désordre », c'est véritablement
plonger au coeur du XIXe siècle (j'en connais que cela va ravir…),
fréquenter les peintres de Barbizon, le monde de la Capitale :
les bourgeois mais aussi les petites gens, sentir le Second Empire
avancer vers la guerre. C'est aussi découvrir l'histoire intime d'un
peintre, René Dolomieu, dont on suit l'évolution psychologique
décrite avec beaucoup de nuances, personnage qui semble davantage
subir son destin plutôt que de le choisir vraiment. Le pauvre homme
devra vivre moult péripéties et l'on se passionne pour tous les
rebondissements qui nous tiennent chevillés au texte !
Très
vite, ce roman m'a happée parce que l'on s'attache immédiatement
aux personnages qui rappellent parfois, je trouve, ceux de
Maupassant…
Quant
à l'écriture, elle m'a comblée, oui, comblée par tant de
délicatesse et d'élégance avec, il faut le dire, quelques accents
flaubertiens, qui ont fini de me ravir !
Je
ne veux pas en dire plus pour laisser intact, au futur lecteur, tout
le bonheur de lire un texte aussi délicieux.
Un
magnifique premier roman…
A
lire absolument ! (évidemment!)
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