Édition Verdier
★★★★★ (gros gros coup de coeur ♡)
« J'ai
cru mourir d'amour et de mélancolie... »
Je
reprends ici une phrase du roman pour dire à quel point ce livre m'a
profondément touchée.
Oui,
j'ai vraiment senti la présence d'une voix très personnelle, d'une
intense émotion et d'une sensibilité à fleur de peau qui m'ont
bouleversée.
Et
puis, parfois, vous le savez bien, l'amour que l'on a pour un livre
naît d'une rencontre : des mots qu'on peinait à trouver et qui
soudain sont là, devant vos yeux, comme par magie, et la chose
incroyable, c'est qu'ils disent précisément, à la nuance près et
avec une très grande justesse, l'émotion qui a été la vôtre ou
qui aurait certainement été la vôtre dans un moment semblable…
Et
ces mots, ces phrases, on sait tout de suite qu'on va avoir un
impérieux besoin, tôt ou tard, de s'y replonger, de les relire, de
s'y accrocher désespérément en cas de tempête...
Le
coup de coeur que l'on a pour un roman vient aussi de petits détails,
de petites remarques (très tristes ou très drôles) qui nous font
aimer l'auteure parce qu'on se sent furieusement sur la même
longueur d'onde… Oui, c'est une sensibilité commune, une façon de
concevoir la vie, l'amitié, l'amour, les relations aux autres, la
mort, une espèce de feeling, un truc qui passe, qui nous happe et
nous touche de façon très intime…
Et
puis, bien sûr, c'est aussi une écriture, un style, une façon de
parler du monde, des êtres et des paysages… En effet, les mots
d'Anne Pauly claquent, pulsent, vont dans les coins et les recoins,
ne tournent jamais la tête, n'ont peur de rien ni de personne. Ils
ont la tenue des gens qui savent rester discrets et l'oralité de
ceux qui disent ce qu'ils ont à dire.
Il y
a aussi cet humour, cette énergie du désespoir qui est là,
toujours, et qui aide à supporter le monde, car « chacun se
tient en vie selon ses moyens » et rire du plus triste est
peut-être la meilleure façon de tenir la tête haute et de
continuer d'avancer.
Et
là, on se dit que ce livre ne nous quittera jamais parce qu'on en
aura toujours besoin, oui besoin, comme d'un aliment, d'une musique,
d'un lac dans lequel se jeter en plein été parce qu'on a trop
chaud.
Un
indispensable, quoi. Un nécessaire. Un vital.
Bon…
Reprenons.
« Avant
que j'oublie » (ah ce titre…) est un roman. C'est écrit au
début. Mais dans ce roman, la narratrice s'appelle Anne Pauly et son
père Jean-Pierre Pauly. Alors, évidemment, on est fortement tenté
d'y voir une autobiographie. Bien sûr, il y a de nombreux éléments
qui correspondent sans doute à la vie de l'auteure, mais ils sont,
je pense, passés par le filtre de la littérature, de l'écriture,
du souvenir aussi…
Ce
père qui meurt dans les premières pages est un homme qui n'a pas
une bonne réputation : on dit de lui qu'il n'a pas toujours été
très agréable avec sa femme (vous noterez l'euphémisme), ni avec
ses enfants d'ailleurs (le frère d'Anne semble lui en vouloir
beaucoup.) Dans le fond, c'est un personnage que l'on découvre au
fur et à mesure des pages, que l'on apprend à connaître, j'allais
dire à aimer (j'exagère peut-être), en tout cas un être original
que le regard de sa fille finit par rendre presque attachant.
Unijambiste,
alcoolique, attiré par les ouvrages de spiritualité orientale, il
n'a pas été facile à vivre et après sa mort, le frère d'Anne n'a
qu'une hâte : que les obsèques aient lieu, que la maison soit
vendue et qu'on n'en parle plus.
Mais
pour Anne, c'est plus compliqué. Comme, Bartleby, elle « préférerait
ne pas. » On sent que malgré toute sa colère et son
agacement, la narratrice aime ce père dont elle se sent proche, dont
elle se sent être la fille et surtout dont elle a besoin pour vivre.
L'enterrer, lui dire adieu, trier les objets, liquider la maison et
continuer à vivre sans lui ne vont pas être simples, il va falloir
du temps, beaucoup de temps. Il va falloir aussi prendre sur soi. En
triant ses objets et en lisant quelques lettres, elle va découvrir
un homme qu'elle ne connaissait pas vraiment mais dont elle sentait
qu'il n'était pas seulement ce qu'il laissait paraître.
« Sa
vraie personnalité, enfin débarrassée des hardes puantes de
l'alcool, était ressortie : un contemplatif fin
mais gauche, gentil mais brutal, généreux mais autocentré, dévoré
par l'anxiété et la timidité, incroyablement empêché. Un
touriste de la vie. Contre toute attente, le monstre était humain,
vulnérable, attachant. »
Écrire
sur lui, sur ce père qui n'est plus, c'est révéler, dévoiler une
forme de vérité, la sienne, celle que les gens n'ont pas vue ou
celle qu'il n'a pas voulu montrer.
Écrire
sur lui, c'est dire au monde qui il a été. Et le dire avec une
tendresse infinie...
Un
bel hommage qui permet l'apaisement, la réconciliation et peut-être
même, enfin, l'amour. Un amour total.
Un
livre sensible, fort, drôle aussi, très drôle même, et d'une très
grande beauté.
Il
m'a bouleversée.
Et
je l'aime.
Un amour pour un livre très bien raconté.
RépondreSupprimerMerci Luocine!
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