Éditions Gallimard
traduit de l'anglais par Josée Kamoun
★★★★☆ (j'ai bien aimé)
Bon,
pour dire les choses clairement et aller droit au but, je dirais que
finalement et paradoxalement, ce qui m'a plu dans ce roman, ce n'est
pas vraiment le sujet principal…
Commençons
tout de même par nous pencher sur le coeur du projet de Jonathan
Coe, à savoir comment et pourquoi un pays, sollicité par
référendum, a voté, le 23 juin 2016, pour le « leave »,
décidant ainsi de quitter l'Union Européenne.
Effectivement,
le fameux Brexit est donc au centre du roman de Jonathan Coe qui, par
petites touches, à travers un certain nombre de personnages et de
situations, montre comment une nation s'enfonce doucement mais
sûrement dans une crise profonde faite de haine, de désillusion,
d'aigreur, d'envie, de repli sur soi, de peur, d'incompréhension…
Racisme,
nationalisme, désindustrialisation, chômage, fracture sociale,
règne du politiquement correct, mépris pour les élites, autant de
fléaux à l'origine d'une société qui se déchire, se scinde, se
divise tant du point de vue individuel que collectif… On retrouve
dans l'oeuvre, mêlée à la fiction, l'histoire politique,
économique, sociale de l'Angleterre de ces dix dernières années :
il est en effet question entre autres des émeutes d'août 2011, de
la cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques en 2012, de
l'assassinat de la députée travailliste Joe Cox...
Très
vite, on voit à quel point le collectif a des conséquences sur
l'intime : si le pays se divise, il en est de même pour les
couples. Tout n'est qu'instabilité, malaise, mensonge, rêves
d'ailleurs et d'autre chose. Bref, on se déchire, on se trompe, la
confiance semble perdue à jamais et l'on se demande comment on va
sortir de cette impasse totale.
La
« démonstration » est juste, piquante, amusante, souvent
ironique et grinçante mais j'ai trouvé qu'elle n'en demeurait pas
moins précisément une démonstration avec tous les rouages plus ou
moins apparents et les artifices que cela suppose et qui, me
semble-t-il, alourdissent parfois le roman, d'autant que, dans le
fond, la plupart des faits évoqués (largement connus et par
ailleurs débattus) ne donnent pas lieu à une lecture
particulièrement originale ou éclairante. Pour dire les choses
telles que je les ai ressenties, j'ai l'impression que si l'on suit
un tant soit peu l'actualité, finalement, on n'apprend pas
grand-chose de nouveau sur le Brexit.
De
plus, les personnages, qu'ils soient l'incarnation d'un pro ou d'un
anti-Brexit, deviennent parfois vaguement manichéens et donc,
frisent, à quelques reprises, la caricature au risque de perdre une
certaine épaisseur psychologique, voire un peu de leur humanité…
Le
dosage est délicat, l'opération risquée, et il me semble que
certaines pages et quelques propos sonnent faux, sont un peu
forcés... c'était peut-être inévitable.
En
revanche, et j'en reviens à mon propos liminaire, Jonathan Coe est
franchement brillant lorsqu'il s'emploie à évoquer les relations
humaines, aussi complexes soient-elles. Là, je me suis régalée
parce que l'auteur traduit de façon extrêmement nuancée les
malaises, les non-dits, les silences, tout ce que chacun porte en soi
de contradictions, d'incohérence, d'irrationalité, tout ce qui fait
notre humanité pleine de force et de faiblesse, d'énergie et de
défaillances. Et là, vraiment, Coe est génial. Certaines scènes
sont d'une très grande beauté notamment lorsque l'on y voit des
hommes ou des femmes face à des choix difficiles, luttant entre le
coeur et la raison, se heurtant à une réalité bien différente de
tout ce qu'ils avaient imaginé ou incapables d'y voir clair dans cet
avenir bien sombre qui se profile.
Il
est aussi très doué pour évoquer le temps qui passe - et toute la
nostalgie et la mélancolie qui vont avec- (j'avoue qu'il faut avoir
le moral pour lire certains passages, notamment quand on a dépassé
la cinquantaine…) Il plombe un peu l'ambiance, le Coe, nous ôte
d'un coup nos minces illusions et nous laisse presque à poil sur le
bord de la route. Bon, on y passera tous, je sais, mais ça ne me
rassure pas plus que ça et j'ai encore deux trois trucs à faire
avant de partir…
Heureusement,
il a l'art et la manière de nous faire sourire, rire même (des
autres et surtout de nous-mêmes) et ce rire nous sauve car il est un
sursaut qui rattache notre pauvre humanité à la vie, preuve que,
armés d'une bonne dose d'autodérision (il en faut!), nous sommes
capables de prendre de la distance, d'affronter nos ridicules, de
combattre nos craintes et de continuer malgré nos désillusions, nos
soucis et nos rides au coin des yeux.
Alors
oui, pour toute cette humanité qu'il restitue avec tant de justesse
et de sensibilité, oui, malgré quelques bémols, j'ai aimé ce
texte !
Dans ma PAL, bien sûr, Coe étant un de mes auteurs favoris.
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