Léo n'est pas un être de passion : originaire de la région d'Angers, il a suivi son ami Paul à Paris pour étudier… Pourquoi Paris ? Pourquoi pas, vous répondrait-il... Sans ambition ni volonté, il a laissé la vie se dérouler gentiment, a trouvé un emploi d'enseignant dans un institut privé où de riches familles asiatiques inscrivent leurs grands enfants, a rencontré une jeune Japonaise à la peau douce et blanche. Ce n'est pas l'amour fou mais les plaisir charnels l'aident à surmonter le vague ennui de cette relation… Comme vous l'aurez compris, notre narrateur déambule dans la vie comme on se promène le long de la Seine en regardant les péniches passer et l'eau du fleuve s'écouler lentement. Un jour, son ami Paul lui demande de l'aide : il a rencontré une certaine Julia, artiste peintre, dont il est fou amoureux. Il souhaiterait la présenter à Léo afin que ce dernier rédige un petit texte au sujet de la prochaine exposition. Oui, pourquoi pas, mais Léo n'est pas un spécialiste de ce troisième art. Il manque de références et ne voit pas trop comment il va être capable de se lancer dans une quelconque analyse du travail de Julia. Qu'à cela ne tienne, cela aura au moins le mérite de mettre un peu de piment dans sa vie un peu terne… Aussi accepte-t-il 1° de rencontrer Julia, 2° de rédiger un petit quelque chose…
Ce qui fascine dans ce roman, c'est tout d'abord la complexité des personnages : qui sont-ils vraiment ? Que veulent-ils ? J'aime m'interroger sur les motivations de Léo, ses arrière-pensées, ses desseins… Pourquoi tourne-t-il ainsi autour du personnage de Julia : par jalousie (comme le suggère le titre) ? par amour ? par désir ? par volonté de séduire ? de dominer (façon de rassurer son ego) ? par curiosité ? par ennui ? par jeu ? par perversité ? ou bien parce que sa peinture finit par le fasciner réellement ?
En effet, tout se passe comme si les natures mortes de Julia permettaient à Léo d'accéder au monde, de le voir autrement que comme un vase en morceaux. De fait, il semblait avant cette rencontre vivre dans un monde d'illusions où tout n'était que déformation du réel. Léo aime les selfies (lieu même de la falsification des corps), son reflet dans les vitrines ou dans les miroirs des cafés… Il prend plaisir à jouer avec les photos que sa fiancée asiatique au « corps en puzzle » lui envoie : il les agrandit exagérément, s'amuse des gros plans : « le lobe de son oreille droite, un minuscule grain de beauté, le pli au coin de ses lèvres charnues. » Voit-il vraiment la jeune femme ? Pas sûr !
Son « découpage » du monde semble révéler son incapacité à en appréhender l'unité : « Avec mon miroir, ma loupe, ma longue vue, je faisais le tri des sujets. Ce qui valait la peine ou pas d'être retenu, d'être sauvé. J'observais, j'évaluais et je statuais. Tout ce qui n'était pas dans le cadre demeurerait invisible à jamais. »
De même qu'il ne voit pas, Léo ne se connaît pas. Son propre moi lui échappe. Il joue un rôle, se met en scène. Paris est pour lui le lieu idéal : « Pour moi, Paris était la ville de tous les décors, de toutes les ambiances pour changer de costumes, de partenaires. »
C'est par l'entremise de la peinture de Julia qu'il parviendra à une réelle connaissance de lui-même, à une construction de son identité, de son intériorité et à une vraie capacité à observer le monde qui l'entoure et peut-être aussi à aimer...
« Narcisse était jaloux » s'apparente en cela à un roman de formation : ce Léo, égocentrique (mais l'est-il plus que n'importe qui, à notre époque ?) et pervers, cet homme seul, mélancolique, désenchanté, va apprendre à contempler le monde. Julia le lui dira : « vous ne savez pas regarder… Il ne s'agit pas de penser. Regarder d'abord, pour comprendre. » C'est précisément la voie qu'il suivra.
Enfin, disons-le, fluide et élégante, l'écriture de Fabrice Chillet est un délice, on se laisse porter par ses phrases qui coulent agréablement… L'auteur est très doué pour créer une atmosphère particulière et l'évocation des errances parisiennes de notre personnage un brin balzacien dans son désir de ne pas s'enterrer en province est particulièrement bien rendue. Paris va bien à Léo. La ville est à son image, à moins que ce ne soit elle qui ait déteint sur lui... En tout cas, la façon dont il traîne son vague à l'âme dans le VIe arrondissement m'a ravie...
Après Un feu éteint (Finitude, 2018), Fabrice Chillet nous offre encore une fois un roman original et subtil dont l'atmosphère envoûtante et la profondeur psychologique des personnages achèvent de nous ravir : encore une fois, une très belle réussite !
je crois que ce type de romans ne tient que par le style de l'auteur qui visiblement t'a séduit.
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