J’ai lu les deux d’un coup et
suis restée sans voix.
La violence pure, la haine sans
mélange m’ont stupéfiée.
Dans cette famille pauvre du Nord
de la France, dans ce village où les fins de mois sont difficiles et où l’on
boit pour oublier, la violence est omniprésente. Ce que l’on voit est laid, ce
que l’on respire donne la nausée, ce que l’on avale engendre des haut-le-cœur,
ce que l’on entend n’est qu’injures et cris.
Eddy Bellegueule, le narrateur,
va tout d’abord essayer de se fondre dans cet univers qui l’agresse : il
essaie de jouer les gros durs, de boire de la bière, de prendre une copine…
mais rien n’y fait. C’est un tendre qui
n’aime ni la bière ni les filles. Alors, il faut fuir. « La fuite est
souvent associée à la lâcheté, alors qu’elle est éminemment courageuse. Rompre
c’est se réinventer. » dira Edouard Louis, l’auteur, qui a changé de nom,
de dents, de corps et de langue.
Seule l’école lui permettra de
s’extirper de ce monde qui le rejette et dont il ne veut plus.
Mais peut-on en finir avec Eddy
Bellegueule ? Ce n’est pas si simple…
Dans Histoire de la violence, ce sont les mots de la sœur aînée qui
diront l’indicible : le vol, le viol, la tentative d’homicide, comme si seule
la langue de l’enfance pouvait exprimer la violence subie. Il corrige les
propos de sa sœur mais c’est elle qui parle, qui raconte à son mari ce que son
frère a vécu cette nuit de Noël 2012, alors qu’il rentrait chez lui, la
rencontre avec un jeune kabyle qui l’approche, le séduit. « Aimer une
respiration, il faut le faire quand même. » s’indignera sa sœur. Et puis,
les événements s’enchaînent très vite jusqu’au point limite, jusqu’au paroxysme
de la violence. Mais le narrateur ne peut supporter d’entendre les policiers, ses amis, sa soeur prendre
possession de son histoire : il sait que « le langage ment » et ne
comprend pas comment son récit peut « ne plus lui appartenir »,
il se retrouve soudain « exclu de sa propre histoire. » Et ce qu’il
dit se transforme en des propos racistes et violents vis-à-vis de son agresseur.
N’avait-t-il pas subi de violences ce garçon dont le père avait quitté le pays
pour vivre en foyer, lui qui n’avait pas su saisir la perche que lui tendait
l’école pour s’en sortir ? Qui Edouard Louis avait-il eu en face de lui
cette nuit-là sinon un double de lui-même, de ce qu’il aurait pu être lui aussi
à peu de chose près. Alors, il ne supporte pas les mots des autres sur celui
qui a failli le tuer, victime, lui aussi, finalement : « je ne
pouvais pas entendre quelqu’un insulter Réda, j’ai eu envie de protéger
Réda… »
Le narrateur se méfie des mots,
lui qui oscille entre « deux langues ennemies, deux cultures ».
Quelle est celle qui dit le vrai, ce qu’il est ? La langue des déshérités,
de ceux qui sont dépossédés du langage ou bien celle de l’institution, de la
classe dominante ? Comment peut-on vivre au sein de cette dualité ? Etre
à la fois Eddy Bellegueule et Edouard Louis ?
Et pourtant, il faut dire, parler
pour « s’arracher à son histoire » au risque de rouvrir la plaie à
peine refermée, chaque mot prononcé étant une torture mais aussi une voie vers
la vérité, « une nouvelle percée » vers la vie de celui qui, épuisé
de douleurs, plié en deux sous le fardeau de la souffrance, est forcé de dire,
lui qui aurait aimé se taire.
Les paroles de Imre Kertész
viennent conclure : « … en écrivant, je cherchais la souffrance
la plus aiguë possible, à la limite de l’insupportable, vraisemblablement parce
que la souffrance est la vérité, quant à savoir ce qu’est la vérité,
écrivis-je, la réponse est simple : la vérité est ce qui me consume,
écrivis-je. »
Dire, écrire, souffrir pour s’exhumer et
renaître, si c’est possible…
J'ai de loin préférer le premier au second.
RépondreSupprimer