Éditions de Minuit
Le livre s’ouvre sur Samuel et
Sibylle se réveillant entourés d’hommes agressifs et menaçants. Ils sont au
Kirghizistan, Asie centrale. Ces individus veulent peut-être leur voler leurs
chevaux ou les tuer, ça aussi c’est possible. Le danger est là, c’est évident
et ils ont peur. Pourtant Sibylle murmure à Samuel qu’il faut continuer. Elle
se le dira souvent, très souvent…
Sibylle est la mère de Samuel.
Ils vivent à Bordeaux depuis son divorce. Samuel ne va pas bien, il sombre peu
à peu dans la délinquance. Ils ne communiquent plus, ne se regardent même plus.
Elle perd son fils, elle le sent.
Alors, avant qu’il ne soit trop
tard, elle prend une décision pour le sortir de là où il est en train de
sombrer : ils vont partir au Kirghizistan, acheter des chevaux et
parcourir le pays, traverser des paysages sublimes, vivre des expériences
fortes, rencontrer des gens et laisser tout le reste derrière eux. Elle vend sa
maison d’enfance, celle à laquelle elle tenait tant.
Le père de Samuel, averti du
projet, rit au nez de Sibylle: quelle expérience stupide ! Elle qui a
failli mourir en Corse lors d’une simple rando va traverser des espaces
inconnus, sauvages, dangereux et tout va bien se passer ? C’est ridicule !
D’ailleurs, dit-il à Samuel, sa mère n’a jamais eu que des projets foireux de
ce genre, tout ce qu’elle fait échoue. Encore une preuve de sa
médiocrité ! Il demande à son fils de lui envoyer un SMS si quelque chose
tournait mal, ce dont il ne doute pas.
Et ils partent.
Ce livre est mon coup de cœur de
la rentrée littéraire : il m’a bouleversée. Et si j’en ai aimé d’autres,
le livre de Karine Tuil par exemple, je place celui-ci au dessus.
Pourquoi ?
Tout d’abord parce que j’en ai
aimé l’écriture. Lorsque Mauvignier décrit des chevaux qui galopent, la phrase
en fait autant, elle se fait mouvement, course, vitesse, elle traverse l’air,
la poussière, se heurte aux cailloux, aux rochers, contourne les arbres,
traverse les cours d’eau. La phrase devient chemin, épouse le parcours
accidenté de la route, s’ouvre à la beauté absolue des paysages. C’est superbe,
magnifique, splendide. Sueur et souffle des bêtes et des hommes se mêlent. Ils
sont unis dans ce que l’on appelle la vie et que l’écriture rend si
merveilleusement.
Lorsque l’auteur évoque les
sentiments des personnages, leurs émotions, la phrase fouille leur âme, se
faufile au plus profond d’eux-mêmes, dans l’intime de l’intime. Je repense à
des scènes fabuleuses, impossibles à oublier, des moments forts et sensuels
entre la mère et le fils, celui qu’elle veut ramener à la vie coûte que coûte,
des scènes où l’on côtoie la mort dans une tension extrême, où l’on sent que la
terrible prophétie du père va se réaliser. On a peur pour eux tandis que leurs
pensées s’emballent, se cognent aux parois de la vie, se heurtent aux
tranchants du monde, cherchant dans l’affolement et la terreur un sens à tout
cela.
J’ai aimé aussi la construction
narrative qui va permettre de livrer bribe par bribe des éléments du passé de
Sibylle, femme blessée, meurtrie, épuisée mais encore capable de faire don de
sa personne, de s’offrir à l’autre, son fils, et aux autres, aux gens de
passage dont elle refuse d’avoir peur. Car c’est aussi ce que dit ce
livre : l’autre, l’étranger, celui que l’on ne connaît pas est une
richesse. Des bons sentiments ? Non, du bon sens ! On ne peut pas
vivre en se haïssant ou l’on finit par s’entre-tuer…
Ainsi, cette femme va-t-elle
pouvoir mener à bout ce projet et à quel prix ? Samuel est-il capable de
changer ou va-t-il rester ce garçon mutique, les écouteurs vissés aux oreilles,
enfermé dans sa haine de l’autre ? Vont-ils, l’un et l’autre, tels deux
pauvres désarçonnés de la vie, parvenir à remonter en selle et poursuivre leur
aventure sur le chemin de l’existence ? Et puis, qui est Sibylle au fond,
que cache-t-elle de si douloureux qui l’empêche de vivre ?
Le roman se fait livre
d’aventures, exploration de territoires physiques et psychologiques,
découvertes de terres et d’âmes, plongée dans ce monde inconnu, celui du cœur
des hommes, des bêtes et des espaces que l’on traverse.
Un hymne à la vie, à l’amour, une
invitation à poursuivre malgré les épreuves individuelles et collectives… Comme
ça fait du bien…
En cette période de prix
littéraires, sachez-le, mesdames et messieurs, membres de jurys, s’il n’y en
avait qu’un à prendre, je prendrais celui-là.
Un grand coup de coeur pour moi !
RépondreSupprimerUne aventure qui me tente bien. Achat suggéré à ma bibliothèque, merci !
RépondreSupprimerToujours un peu peur de Mauvignier (et un roman qui a pour titre un verbe est souvent bavard), mais voilà : deuxième personne à m'en dire du bien, il va falloir que j'essaie. Merci du conseil.
RépondreSupprimerUn livre très fort et très beau. Plusieurs semaines après sa lecture, j'ai encore dans la tête des images de montagnes,de rivières,de campements et je garde le souvenir des émotions dégagées par le style très personnel de Mauvignier. A lire absolument.
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