Éditions Allia
Télérama n° 3135. Février 2010.
Titre de la couverture : Halte à la France moche !
On y voit des hangars, un rond-point,
des panneaux. Chacun de nous a ça pas loin de chez lui, me direz-vous. Oui,
peut-être, n’empêche, j’imagine la stupeur des gens qui ont reconnu LEUR ville.
Parce que, dans une ville, il y a des gens qui vivent et moi, ça ne me plairait
pas que l’on dise que ma ville est moche. Alors, les journalistes ont répondu
qu’ils avaient choisi une photo, pas une ville. Bien naïfs ! Une image,
pas des gens… Oui, mais les gens, eux, ont reconnu l’image qui représentait
LEUR ville, ils ont reconnu Villebon dans l’Essonne et un élu dit dans le
Parisien qu’il se sent stigmatisé, que ça ne lui plaît pas du tout, cette
histoire et que chez lui aussi, il y a des quartiers historiques et que ces
quartiers historiques, si les journalistes s’étaient donné la peine de les
montrer, la France entière les aurait trouvés beaux et aurait peut-être eu
envie d’aller faire un tour à Villebon (ça, c’est moi qui ajoute) mais là, non,
c’est sûr, personne ne viendra passer ses vacances à Villebon, non, PERSONNE…
J’imagine aussi la tête de l’élu
lorsqu’il a découvert l’article de messieurs Xavier de Sarcy et Vincent Rémy
intitulé « Comment la France est devenue moche », article dans lequel
les deux journalistes se proposaient de faire « l’historique
illustré de ces métastases périurbaines ». Je ne sais pas quel effet la
lecture du terme « métastases » a eu sur lui, s’il s’est senti
devenir « de trop », une espèce de tumeur maligne qu’il faut se
presser d’enlever sous peine de mort, s’il a eu le sentiment qu’on devait tout
raser (et lui avec), bref s’il s’est dit qu’il vivait sur un
« non-lieu » et qu’il était personne. En tout cas, il était en colère
et je le comprends bien.
Un autre non plus n’était pas
content : c’est Eric Chauvier, anthropologue, et il l’a dit dans le livre
qu’il a publié en 2011 Contre Télérama.
Qualifier ainsi ces lieux, c’est exclure les gens qui y vivent, ce qui est un
motif de colère. Et, dépassant les critères d’ordre esthétique (c’est beau, ça
n’est pas beau), il a voulu comprendre ce qui se passait dans ces zones périurbaines
car finalement, on ne le sait pas.
On retrouve cette problématique
dans son dernier livre Les Nouvelles Métropoles
du désir. Eric Chauvier souhaite passer par la littérature pour parler
d’anthropologie et c’est ce qu’il fait.
Un homme branché, type hypster,
belle barbe, chemise bûcheron, lunettes grosses montures, passe. Trois gamines
de banlieue, jogging baggy, veste à capuche, baskets montantes, le voient. Lui
ne les voit pas, lui les ignore : elles n’appartiennent pas à son monde,
elles sont en dehors de SON monde, elles viennent de nulle part, d’un lieu qui
n’existe pas, elles n’ont rien et ne sont rien, malgré leurs efforts pour
ressembler à quelque chose. Elles essaient mais savent qu’elles ne feront
qu’imiter, qu’elles resteront des espèces de contrefaçons ridicules et qu’elles
retourneront « dans l’obscurité » de leur périurbanité, dans
leur « terra incognita », dans leur néant. « Ce jeune homme
leur montre qu’il ne sait rien d’elles mais, plus encore, qu’il est en train de
les transformer en motif éternel d’indifférence. »
Et c’est violent, peut-être
encore plus violent que les coups de pied et de poing qu’elles vont lui asséner.
Elles frappent pour montrer qu’elles existent parce qu’elles n’ont pas les mots
pour le dire et que personne n’est là pour les écouter.
Elles n’ont ni raison ni tort, le
problème n’est pas là. Il est dans le fait que la métropole lumineuse crée des
envies terribles : c’est là qu’est la vie, la beauté, la richesse. Ça
brille et « les occupants des limbes » étouffent de désir et de rage.
Le narrateur observant la scène
suit l’homme dans un bar branché du coin et observe les mimiques des clients
qu’il ressent comme des étrangers. Il essaie d’interpréter leurs codes, leur
langage, émet des hypothèses pour décrypter le fonctionnement de ceux qui
mènent la danse, au milieu de la piste, sous les projecteurs, au cœur de la
ville, de la métropole du désir.
Et surtout il tente désespérément
de commander une bière mais comment commande-t-on une bière dans un lieu super
branché ? Mystère !
Un petit livre passionnant :
merci à Eric Chauvier de nous avoir, par la littérature, ouverts à l’anthropologie
et permis de comprendre les rapports de force qui se jouent et dont nous sommes
chaque jour témoins.
Si cela pouvait permettre
d’éviter parfois certains jugements hâtifs…
J'avais lu le livre de Eric Chauvier Contre Télérama, que j'avais trouvé très intéressant. Je vais me pencher sur celui-ci !
RépondreSupprimerJe n'avais pas eu connaissance de cet article dans Télérama avec une photo de Villebon-sur-Yvette. J'habite à côté et je ne conseille pas du tout pour les vacances :) La ville est normale ; le quartier commercial est comme dans toutes les banlieues.