Éditions Grasset
« C’est une image de verre qui
persiste quand je repense à ces années, la confection d’un vitrail, pièce par
pièce sur fond de ciel. Il y avait tant d’images, chacune un atome de ce
vitrail, une couleur, un ton, une variation, chacune en partance vers une vérité
totale. »
Cette métaphore du vitrail
m’évoque précisément l’impression que m’a laissée ce livre : un ensemble
de scènes empreintes de nostalgie, écrites dans une langue très poétique, et
qui évoquent l’adolescence de cinq
jeunes gens d’un milieu aisé dans une Irlande en proie à de violents
déchirements entre catholiques et protestants.
Quelque chose, peut-être, comme Jules et Jim d’Henri-Pierre Roché
réécrit par Whitman…
Le narrateur Sean McMahon,
avocat, marié, trois enfants, a trente-sept ans lorsqu’il ressent le besoin de
faire « un détour vers le passé. »
« Des images envahirent ma vie comme des
ballons, dit le narrateur, je revivais des moments, pimpants comme des
jonquilles écloses ».
Alors surgit, comme dans un rêve,
avec le flou lié aux contours imprécis du souvenir, l’adolescence de Sean en
Irlande dans les années cinquante auprès de son ami Liam, beau jeune homme dont
la mère Mme Kenneally, d’origine russe, femme fragile, marquée par la
révolution russe, fascine le narrateur.
Après avoir été internée, celle-ci
se suicide en entrant « au fond d’un fleuve sans fond ».
Le fantôme de cette « femme
de légende » restera présent tout au long de l’œuvre, jetant le voile de
la mort et de la perte sur l’existence de son fils et de Sean.
Après le lycée, les deux garçons
entrent à l’université de Dublin. Liam étudie la littérature et lit Whitman,
Sean étudie le droit. Ils fréquentent les cafés, les cinémas, les filles :
Christine Canavan qui traverse Dublin sous une ombrelle couleur lilas et Sarah
Thompson, jeune dublinoise vêtue de « jupes longues, blanc et
citron. » Cette dernière attire les deux garçons… Et, tandis qu’ils
pensent peut-être s’étourdir de danse, de whiskey, de sexe, de poésie et de
vent soufflant sur la mer d’Irlande, ils entendent rugir les tensions au loin.
Des jeunes gens de leur âge sont blessés, d’autres sont tués…
Sean se souvient avec nostalgie
des « Wicklow », au sud de Dublin : « Parcourez ces
sentiers, ces lieux féériques, sortis des contes de Grimm et d’Andersen »,
paysages qu’il traverse et qu’il aime, pièce de vitrail qui s’ajoute à toutes
ces pièces de souvenirs qui affleurent à la surface de la mémoire et qui font
dire à Sean qu’il a vécu quelque chose de merveilleux.
Illusion, réalité ?
Je me suis laissé porter par cette
prose poétique envoûtante évoquant sans cesse une nature colorée d’une beauté fulgurante :
boutons d’or, tulipes jaunes, primevères, iris, narcisses sur fond de ciels
gris parsèment le texte de touches de pinceau… Presque un livre à colorier…
Tentative de reconstitution d’un
« puzzle de vie », pièces colorées que l’on tente de rapprocher, dessins
que l’on essaie de recréer tout en sachant que chaque trait est à jamais effacé.
Des personnages, telles des ombres, des silhouettes diaphanes, que l’on croise
sans jamais savoir qui ils sont vraiment…
Un roman-poème élégiaque et
mélancolique sur l’amour, l’amitié, la perte, le temps qui passe et l’indicible
beauté mystérieuse des terres d’Irlande.
Il est sur ma liste de lectures à venir. Merci pour ce beau billet.
RépondreSupprimerJe termine ce livre. Il est magnifique.
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