Éditions Zoé
★★★★★ (J'ai adoré)
Lors
d'une visite de Toulouse, je suis entrée dans une librairie
extraordinaire, une vraie institution : la librairie Ombres
blanches. On y trouve tout ou à peu près tout ! C'est vraiment
impressionnant ! Comme à mon habitude, je suis allée à la
rencontre d'un libraire et lui ai demandé quels étaient ses
derniers coups de coeur. Généralement, à cette question, quand le
libraire hésite, cherche, regarde ses piles d'un air un peu perdu
comme si rien ne lui venait à l'esprit, je me dis que ce n'est pas
la passion qui le gouverne et je laisse tomber.
Là,
ce ne fut vraiment pas le cas : le libraire s'est dirigé
immédiatement vers un livre en me demandant : « Connaissez-vous
Louis Soutter, probablement de Michel Layaz ? »,
« Ni l'un, ni l'autre » ai-je répondu et là, j'ai vu
son visage s'animer et il a commencé à me parler du livre.
Et
ce livre, je l'ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé non seulement
parce que j'ai découvert un écrivain mais aussi parce que j'ai
rencontré, oui vraiment rencontré un peintre dont l'oeuvre m'a
fascinée.
Qui
est Louis Soutter ? Peut-être, le connaissez-vous ?
Franchement, je n'en avais jamais entendu parler. Et pourtant, quelle
force, quelle expressivité, quel modernisme dans
son œuvre !
C'est
incroyable !
Louis
Soutter est né en 1871 à Morges, en Suisse dans une famille
bourgeoise : son père est pharmacien et sa mère, assez
distante et froide,
enseigne le chant et
le piano.
Après
s'être lancé dans des études d'ingénieur et d'architecte, il
décide
d'étudier
le violon au
Conservatoire royal de
Bruxelles auprès d'Eugène Ysaÿe.
Il rencontre
une violoniste et
cantatrice
américaine Madge
Fursman. Laissant
des
études de musique inachevées,
il revient en Suisse
et se met à travailler
la
peinture à
Lausanne, à
Genève puis à Paris.
Finalement,
il
décide de
partir
vivre avec Madge
à Colorado Springs
aux États-Unis
et
l'épouse
en 1897. Il
devient directeur du département des Beaux-Arts
de
Colorado Springs,
donne
des cours de dessin, de peinture et de musique : « Je
veux que tu deviennes illustre, disait Madge, je veux que nos amis
nous envient, je veux que mes parents t'adorent,
je veux que le département des Beaux-Arts étincelle, je veux que
les étudiants t'admirent, je veux que les habitants de Colorado
Springs nous reconnaissent dans la rue, je veux avoir des enfants de
toi... »
Quel
avenir brillant se prépare !...
Mais,
rien
de tout cela n'aura lieu : l'état
général de
Louis
se dégrade, une
espèce de mélancolie profonde et
tenace
s'empare de lui
et il préfère rentrer en Suisse et divorcer : « Seul
Louis se
demandait où il était, devait errer comme un enfant abandonné. Ce
désert, il le traversait une coupe à la main, s'arrêtait près
d'une personne ou d'une autre, avait la sensation de sauter d'un vide
vers un autre vide. »
Commence
alors une vie d'errance : son
frère devenu pharmacien va
l'aider
à vivre, financièrement parlant, mais Louis a
des goûts de luxe et
dépense sans compter : en effet, il aime les beaux hôtels, les
grands restaurants,
les vêtements élégants, les femmes raffinées. Il achète gilets
de flanelle, chemises
en soie, épingles
de cravate, montres
à gousset…
Sa famille commence à pester contre ses frasques incessantes
mais que faire ?
Louis
parvient tout de même à intégrer différents orchestres
et non des moindres : il
devient premier violon dans l'Orchestre
du Théâtre
de Genève puis à l'Orchestre
symphonique de Lausanne. Mais
parfois, au beau milieu d'un morceau, il s'arrête de jouer et pense…
ce
qui n'est pas forcément apprécié !
Il travaille
ensuite dans différents petits orchestres puis
dans des cinémas et enfin, dans un hôtel. Quelle chute
vertigineuse !
Ses
goûts dispendieux obligent finalement sa famille à le
placer
sous
tutelle.
Il
va se reposer dans un premier temps à la clinique Sonnenfels de
Spiez, puis
dans
le
Gros - de -Vau à
la
Maison de santé d'Eclagnens. Finalement,
il est
interné
à l'asile de vieillards de Ballaigues, véritable hospice où
il entre au
printemps 1923.
Il
n'a
que 52 ans. Et
dans
ce mouroir, il
restera… 19 ans,
étroitement surveillé par
Mademoiselle Tobler.
Heureusement,
Louis est autorisé à sortir et à marcher des heures dans une
nature qui l'enchante, le comble, l'enivre, le maintient en vie. Il
donne encore quelques cours de violon mais surtout, il dessine,
peint,
remplit inlassablement
des petits cahiers d'écolier, de
grandes feuilles blanches,
des livres dont
il
orne les
pages. « D'une
main tâtonnante, il saisit un crayon. Les yeux écarquillés sur la
surface fertile de la feuille, il traça, comme un geste originel,
les premiers traits, ceux-là mêmes qui seront suivis par des
millions d'autres, capables à l'infini de se renouveler, de contrer
la cruauté de son destin. Nul besoin de réfléchir ou d'avoir
conscience de quoi que ce soit, Louis laissa sa main interpréter ce
que la feuille contenait en elle. Lui, le reclus, l'exclu, allait
libérer les formes tapies là, les entraîner dans des compositions
grouillantes, des cohortes d'aubes et de crépuscules, et dans le
même temps, il allait se débarrasser de ses craintes, douleurs,
tortures, secrets intimes et désirs bannis accumulés depuis tant
d'années. »
Il
donne généreusement
ses dessins à des gens qui s'empressent de s'en débarrasser en les
jetant au feu
ou bien, il
les perd...
Je
ne vous en dirai pas plus afin de vous laisser découvrir
un homme
extraordinaire et je
ne vous dis rien non plus au
sujet des
gens qui
vont contribuer à faire connaître son œuvre. Suspense...
Ce
qui est extraordinaire dans ce récit
biographique,
c'est la façon géniale dont l'auteur, Michel Layaz, donne vraiment
VIE à
Louis Soutter :
vous
avez
l'impression de voir le monde du point de vue du peintre, vous
découvrez une
âme
sensible,
tourmentée, ses terreurs, ses souffrances, ses joies immenses
dans la nature, vous l'observez déambuler ici ou là, vrai dandy
désespéré au chapeau melon, aux
yeux
noirs, aux
joues creuses et
à
la maigreur absolue… un
homme que l'on
surnommait
ironiquement
l'Anglais et
qui ressemblait
aux
silhouettes tordues et bondissantes de ses dessins.
L'écriture
subtile
de Michel Layaz, tout en nuances et en retenue , en
délicatesse et en poésie, restitue l'homme
dans toute son intimité, met
en évidence son
moi profond, sa
vie intérieure perturbée,
sa très
grande sensibilité.
Exercice
périlleux
que
Michel Layaz réussit haut la main !
Une
rencontre passionnante que vous ne serez pas près
d'oublier !
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