Éditions JC Lattès
★★★☆☆ (J'ai aimé, sans plus)
Lu
d'une traite sans aucun ennui – c'est déjà pas mal me direz-vous
– oui, c'est vrai mais néanmoins mon impression reste très
mitigée. Autant j'avais beaucoup aimé D'après
une histoire vraie, autant ce dernier roman m'a laissée sur
ma faim, pour deux raisons principalement : tout d'abord je
trouve que l'on n'échappe pas aux clichés, au mélo et cela m'a
beaucoup gênée. La super prof qui a eu une enfance meurtrie par un
père alcoolique et violent et qui, du coup, possède une espèce de
sixième sens lui permettant de repérer très vite le gamin en
souffrance et qui va tout faire pour l'aider à s'en sortir
(contrairement aux autres collègues un peu ramollos et à une
institution trop rigide), ouais, impression de déjà vu, déjà lu.
Mais surtout, ce que j'ai eu du mal à dépasser, c'est le sentiment
que tout cela sonnait faux. Peut-être est-ce parce que j'enseigne
moi-même dans un collège depuis bientôt trente ans et que des
profs comme Hélène Destrée, je n'en ai jamais vu.
Quoi,
me direz-vous, les enseignants ne sont-ils pas dévoués corps et âme
à leurs élèves ? Certes, mais ici… Hélène a des
inquiétudes au sujet de Théo et va mener sa petite enquête pour
savoir si tout est normal du côté de sa famille, si l'on s'occupe
correctement de lui, n'en dormant pas la nuit et allant jusqu'à se
rendre au domicile de la mère pour regarder « sur le
trottoir d'en face… les fenêtres allumées » : eh
bien sachez que des profs comme Hélène, je n'en ai jamais rencontré
pour la simple et bonne raison que des gamins comme Théo - hélas,
mille fois hélas - nous n'en avons pas qu' UN par classe (ce serait
trop beau!). Non, ils sont plusieurs et de plus en plus nombreux à
vivre des divorces difficiles, à rencontrer de sévères problèmes
de communication avec leurs parents, à dormir peu la nuit à cause
de toute cette nouvelle technologie qui les dévore, à être en
décrochage scolaire, à avoir des problèmes avec le tabac,
l'alcool, la drogue, à subir des harcèlements etc, etc...
Nous
faisons TOUT, vraiment TOUT ce que nous pouvons, c'est-à-dire
beaucoup, nous donnons de notre temps, de notre personne et c'est
normal, nous écoutons, nous parlons, nous rassurons, nous
protégeons, nous encourageons, nous valorisons, nous éduquons et
c'est normal, nous sommes professeurs mais aussi psychologues,
assistantes sociales, infirmières parfois même, mais nous ne
sommes en aucun cas des surhommes, nous !
Donc,
ce personnage d'Hélène qui perd son sommeil et le goût de
l'existence parce qu'elle a le sentiment qu' UN de ses élèves va
mal : « Je me réveille toutes les nuits le souffle
entravé par l'angoisse, et il me faut plusieurs heures pour me
rendormir. Je n'ai plus envie de sortir avec mes amis, d'aller au
cinéma, je refuse de me distraire », non décidément, je
n'y crois pas. C'est beau, touchant, généreux mais sincèrement, si
nous réagissions tous de cette façon-là, ce serait la dépression
chronique assurée et nous serions bien peu efficaces sur le terrain.
Et
puis, tout un ensemble de petites choses m'ont semblé peu
crédibles : d'abord, il faut savoir que tous les établissements
n'ont pas forcément la chance d'avoir une infirmière et une
assistante sociale à plein temps : elles partagent généralement
leur service sur deux voire trois établissements. Par ailleurs, en
trente ans de carrière, je n'ai jamais vu un de mes collègues d'EPS
demander à un gamin qui a oublié sa tenue de sport d'enfiler un
survêt rose Barbie trop petit et de faire trois fois le tour du
gymnase en courant sous les rires de ses camarades, non, ça fait
pleurer dans un film mélo mais ce n'est pas la réalité.
De
même, lorsqu' Hélène - super woman - est fière de s'être battue
en conseil de classe pour que trois gamins soient mieux orientés,
cela me semble bien peu plausible : « Pendant le
conseil, j'étais intervenue à plusieurs reprises. Je m'étais
étonnée, indignée, insurgée, j'étais montée au créneau… Nous
avions obtenu gain de cause pour trois élèves auxquels nous avions
évité une de ces orientations par défaut, par paresse ou par
renoncement, qu'ils n'ont en aucun cas choisie. »: soyons
honnête, notre avis, à nous, enseignants, a peu de poids dans cette
affaire puisque ce sont essentiellement les parents et l'enfant qui
décident de l'orientation en tenant compte ou non des conseils que
nous leur donnons.
Non,
nous ne passons pas nos récréations comme Hélène à observer nos
élèves « je passe la récréation à épier ses gestes, ses
esquives, en quête d'une réponse », tout simplement parce
qu'après la sonnerie, le temps que les élèves se rhabillent,
rangent leurs affaires, viennent poser deux trois questions, le temps
- pour nous - de longer les couloirs, de s'arrêter deux secondes aux
toilettes, il nous reste à peine quelques minutes en salle des profs
pour boire une demi-tasse de café reposée bien vite dans l 'évier
parce que « ça a sonné » et que des gamins attendent
sous le préau. Pas le temps donc de chercher des yeux nos élèves
en souffrance dans la cour ! Ça donne une belle scène, très
cinématographique, très émouvante mais ce n'est pas la réalité
non plus.
Non,
on ne s'adresse pas nécessairement aux parents de façon agressive
comme le fait Hélène avec la mère de Théo, non on ne leur donne
pas nécessairement de leçons parce que rien ne nous y autorise et
parce qu'on a bien conscience que chacun fait comme il peut. Et
surtout, cela risque de couper un lien fragile avec des familles qui
n'aiment pas trop mettre les pieds à l'école. Au mieux, on peut
suggérer quelques pistes pour améliorer la situation, en y mettant
plus que les formes ! Alors un enseignant qui dirait à la mère
d'un gamin en souffrance, comme le fait Hélène, des paroles aussi
violentes que : « Vous savez, madame, quand on
retrouve les enfants au fond d'un trou ou au bout d'une corde, il est
trop tard », je ne l'imagine même pas !
Voilà
pourquoi j'ai un avis un peu mitigé sur ce roman ; cela dit,
encore une fois, je l'ai lu avec plaisir sans pour autant être
capable de me départir de cette gêne face à une œuvre à laquelle
je n'ai pas vraiment cru et qui ne m'a pas semblé être écrite…
d'après une histoire vraie ! Si on ne peut nier que l'auteur a
le mérite de mettre en évidence un vrai problème de société, il
reste que le personnage principal m'a paru trop caricatural, trop
idéalisé et que le livre ne rend pas pleinement compte de la
complexité du quotidien qui est le nôtre...
Tant
pis. Je sais néanmoins qu'il trouvera son public, c'est bien là
l'essentiel.
Avis Totalement partagé!
RépondreSupprimerMerci Anonyme! A bientôt!
RépondreSupprimerC'est drôle de vous retrouver ici, je vous ai pour éclaireur sur senscritique sur les conseils de Philippe et je tombe un peu par hasard sur votre site depuis un avis Babelio. Je suis très contente d'avoir trouvé votre Blog!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup Delphine de Vigan, je me réjouis de lire cet opus, dans lequel je n'ai pas encore eu le temps de me plonger! Au plaisir de vous lire!