Éditions Arléa
★★★★★ (j'ai adoré ♥♥♥)
C'est
un livre merveilleux. Un de ces romans dont on se dit : mais
pourquoi ne l'ai-je pas lu plus tôt, pourquoi m'a-t-il fallu ce
terrible confinement pour prendre le temps de l'ouvrir, alors qu'il
était là, sur mes étagères, depuis plus de six mois ? Oui,
c'est un livre merveilleux et d'une très grande beauté. Hélène
Gestern écrit comme on n'écrit plus et se laisser porter par ses
phrases procure un plaisir infini. Tout est délicatesse, douceur,
pudeur aussi. Ce texte bouleversant est beau à en pleurer, ce dont
je ne me suis évidemment pas privée.
Eux,
sur la photo, ce sont deux jeunes gens : elle s'appelle Natalia
Zabvine et lui Pierre Crüsten. Ils sont beaux, légers, insouciants
et ils s'aiment. C'est une évidence. Ils vont (ou viennent de) jouer
au tennis. La photo est ancienne. On voit cela aux tenues un peu
démodées et au grain épais du tirage. Observer une photo, tenter
de deviner l'identité des gens, les sentiments qui les lient est une
entreprise délicate. On peut se tromper… Pourquoi cet homme se
penche-t-il sur cette femme ? Veut-il lui dire quelque chose ?
Pourquoi affiche-t-elle un sourire empreint de gravité ?
Est-elle inquiète ? Pense-t-elle que le bonheur qu'elle semble
goûter n'est qu'un moment fugace qui va lui échapper ?
Il y
a un troisième homme sur cette photo. Lui se tient en retrait. Qui
est-il ? Un mystère de plus...
La
personne qui examine cette photo s'appelle Hélène Hivert, elle a
bientôt quarante ans, vit seule avec son chat. Elle a passé une
petite annonce dans Libé car elle aimerait bien savoir qui est le
jeune homme aux bras protecteurs qui se tient près de sa mère sur
cette photo. Cette mère, elle ne l'a pas connue. Elle est morte
lorsqu'elle avait trois ans dans des circonstances assez
mystérieuses. Si son père et sa belle-mère l'ont élevée en lui
manifestant beaucoup d'amour et d'attention, ils ont fait en sorte
qu'il ne soit jamais question de sa mère. Pourquoi ? Qui était
Natalia Zabvine ? Pourquoi a-t-on toujours refusé à sa fille
d'en savoir plus sur elle ? Quel terrible secret était le
leur ?
Comme
il est impossible de se construire sur du vide, des silences, des
non-dits, sa fille, Hélène, va mener l'enquête. Un homme va
répondre à son annonce : il s'appelle Stéphane et est le fils
de Pierre Crüsten. Lui aussi se heurte à des questions concernant
son père, peu loquace et irascible. Ils vont entreprendre un échange
épistolaire pour tenter de comprendre qui étaient Natalia et
Pierre, la nature de leur relation… Mais n'est-ce pas dangereux de
remuer les choses du passé ? Où cette enquête va-t-elle les
mener ?
Ce
roman n'est pas seulement une histoire fascinante qui va vous tenir
éveillé tard dans la nuit, il invite aussi à une réflexion sur la
photographie, à la découverte d'un passé fixé à tout jamais sur
un morceau de papier, pour le meilleur lorsqu'il renvoie à des
moments heureux mais aussi pour le pire quand on sait que ces moments
ne seront plus. Il y a une dimension modianesque dans ce roman à
travers l'évocation du temps qui passe et la volonté de
reconstituer ce qui n'est plus, comme un puzzle dont on assemblerait
avec peine toutes les pièces. On a l'impression que ce passé, qu'il
nous soit connu ou inconnu, dicte notre histoire présente, fait de
nous ce que nous sommes devenus. Nous héritons, consciemment ou
inconsciemment, d'une histoire et c'est avec elle que nous traçons
notre chemin et qu'il nous faut avancer…
Par
ailleurs, la lecture de ce roman nous amène aussi à nous
interroger sur ce que fut une époque, avant mai 68 : les
tabous, les interdits, les conventions sociales, la morale… On a
presque oublié tout ce que les jeunes de cette époque ont dû subir
comme contraintes et comme absence de libertés...
Enfin, ce
qui, à mon avis, rend ce texte particulièrement délectable, c'est
la relation pleine de retenue et de douceur qui se tisse
progressivement entre les deux correspondants. On assiste à
l'éclosion de leurs sentiments, à la progression de leur
attachement et vraiment, l'écriture élégante et délicate d'Hélène
Gestern nous plonge dans un pur ravissement !
Vous
aimerez ce roman, plus que vous ne l'imaginez en lisant ces lignes…
Croyez-moi !
J'ai découvert Hélène Gestern il y a quelques années avec "L'odeur de la forêt" - qui, à mon avis, est son meilleur livre. Depuis j'ai tout lu, ou presque. Je suis très étonnée que cette auteure ne soit pas plus médiatisée, étant donné son talent qui égale ou dépasse celui de bien des écrivains qui font la une des magazines littéraires.Bon confinement et bonnes lectures !
RépondreSupprimerMagnifique roman effectivement, servi par une écriture sensible. J'ai aimé y croiser des artistes que j'apprécie: peintres, photographes mais aussi Annie Ernaux et même Barbara.Avez-vous remarqué qu'un chat apparaît dans chaque chapitre!
RépondreSupprimerOh oui, j'avais adoré ! Bravo pour l'article.
RépondreSupprimerMoi aussi, j'ai adoré ! Avec Hélène Gestern, on ne prend jamais de risque, d'ailleurs. La lecture de ses livres est toujours un vrai plaisir.
RépondreSupprimer