Italie. 1979. Les années de
plomb. Paolo et Luisa se rendent tous deux au même endroit : la prison de
l’Île.
Paolo va voir son fils et Luisa
son mari. Elle, c’est la première fois qu’elle voit la mer et lui ne supporte
pas qu’un lieu qui tient son fils enfermé soit si beau : « Il
détestait son odeur, les oursins noirs qui mouchetaient les rochers à fleur
d’eau, les couleurs pastel des maisons. Etait-il possible que les visiteurs
d’une prison spéciale soient accueillis par la beauté de la
nature ? »
Il se souvient de son fils,
enfant, sur la plage de Framura. Il avait trois ans. Aujourd’hui, ce fils est
adulte et a tué des hommes pour des raisons politiques, pour faire la
révolution. Peut-être, est-ce parce qu’un jour, son père, professeur de
philosophie, lui a expliqué la plus belle phrase de
Kant : « Deux choses remplissent mon cœur d’admiration et de
vénération : le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en
moi. » Le fils a écouté le père. Plus tard, le père s’est demandé si ce
qu’il avait enseigné à son fils avait un sens, s’il n’était pas, finalement, un
peu responsable de tout cela.
Luisa a apporté à son mari des raviolis
qu’elle a fabriqués avec ses enfants. Cinq enfants qu’elle élève seule. Lui
aussi a tué, à deux reprises, et il l’a frappée, plusieurs fois, mais elle n’a
rien dit. L’a-t-elle d’ailleurs jamais aimé, cet homme, cet inconnu ?
Pour le moment, elle prend
plaisir à regarder la mer et Paolo le voit.
Or, la tempête qui se lève va les
empêcher de rentrer : Nitti Pierfrancesco, agent carcéral, sera chargé de
leur surveillance. Le directeur de la prison veut qu’ils soient conduits au
Palais de Verre : « Où est le verre ? » demande Paolo,
« Il n’y en a pas. Il manque beaucoup de choses ici, il n’y a que le
mot. » répond Nitti. Il faudra s’en contenter.
Le fils de Paolo n’avait pas
voulu se contenter des mots, il avait pris les armes. En vain : « le
mot révolution avait beau être scandé, polycopié, écrit sur les murs de façon
presque obsessionnelle, la chose non, la chose n’existait pas. Les gens
n’avaient pas empoigné leurs fourches, les électeurs n’avaient pas cessé de
voter, les citoyens ne mettaient pas le feu au Parlement. » Ainsi,
résumait son père, « quand la chose correspond au mot, on fait de
l’Histoire. Mais s’il n’y a que le mot, alors c’est de la folie. » Folie
qui l’avait conduit en prison…
Nitti, quant à lui, ne sait pas
utiliser les mots. Il se tait, ne dit pas à sa femme, Maria Caterina,
l’institutrice de l’Île, ce qu’il vit au quotidien, ce qu’il voit. Alors, elle
imagine. Le pire parfois. Son mari frappe-t-il ? Est-il frappé ? Qui
est-il au fond cet homme qui rentre les vêtements maculés de sang et dont elle
finit par avoir peur ?
Ce texte poétique met en présence
des êtres qui souffrent et qui se taisent. Cette rencontre totalement
improbable d’un professeur de philosophie, d’une agricultrice, d’un gardien de
prison et d’une institutrice, rencontre pleine de non-dits, de silences,
d’hésitations, de quiproquos parfois, va les faire réfléchir à ce qu’ils sont
et à ce qu’au fond ils sont venus chercher sur cette île.
La tempête rugit autour d’eux, en eux aussi
certainement, parce qu’ils ont senti que le moment était venu de savoir, de se
dire la vérité, d’accepter de pleurer.
Les éléments sont déchaînés. Eux sont là comme
des personnages tragiques enfermés dans leur douleur, leur mutisme. Et
pourtant, ce huis-clos presque shakespearien, cette nuit de tempête, les conduira à s’ouvrir à l’autre, à créer des liens de
tendresse qu’ils avaient oubliés, perdus peut-être, à comprendre et à retrouver
une certaine forme de paix, celle qui fait tenir debout et avancer. De cette
nuit étrange naîtra une lumière qui les réchauffera et les guidera de
nouveau sur le chemin de l’existence.
Un très beau roman tendre et
humain sur les longs tunnels que la vie nous fait parfois traverser et dont on
ne connaît pas toujours la longueur jusqu’à ce que, tout à coup, on perçoive
l’éclaircie. Alors, on sait qu’on est sauvé, on respire, l’air est encore un
peu frais mais l’on va vite s’y habituer…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire