Editions Liana Levi
Il est des
livres comme celui-là dont on sait à l’avance qu’ils vont nous plaire : on
a lu de très bonnes critiques un peu partout, quelque libraire nous en a encore
parlé et l’on a noté le titre sur le petit carnet qui nous suit partout… Et
pourtant la rencontre ne se fait pas … Et puis un jour, il arrive, on a déjà
l’impression de le connaître un peu, on trouve la couverture belle, on parcourt
un peu les pages et l’on se lance…. Et là, tout est normal, c’est magnifique et
l’on ne comprend pas pourquoi on ne l’a pas lu plus tôt….
Voilà mon
histoire avec cet immense coup de cœur qu’est La coquetière de Linda D. Cirino.
Nous sommes en
1936, dans le sud-ouest de l’Allemagne. La narratrice se présente ainsi dès le
début : « J’appartiens à une longue lignée de paysans. Et de femmes
de paysans. » Eva vit la tête tournée vers le sol et son existence est
rythmée par les travaux de la ferme.
Même si l’exploitation est assez petite,
l’activité ne cesse jamais du matin jusqu’au soir. Son mari travaille avec elle
et ses deux enfants, Olga et Karl, lui donnent parfois un coup de main. Il faut
s’occuper du potager, des bêtes, des terres, de la comptabilité de
l’exploitation, de la lessive, de la cuisine : « Pour nous, dit-elle,
rien n’avait d’importance que l’exploitation et le fait de survivre d’une
récolte à la suivante. Nous nous y consacrions, et tout le reste était
balivernes. » Les gestes se répètent d’une journée à l’autre et
« Chaque jour reproduit le jour précédent, et ça ne varie que selon les
saisons. »
Mariée après la
Grande Guerre, la narratrice vit avec Hans, son mari, un quotidien sans passion :
« Nous n’avions jamais eu grand-chose à nous dire », avoue-t-elle.
De toute façon, elle n’a pas vraiment le temps
de se demander si elle aime vraiment l’homme qu’elle a épousé ou si même elle
est heureuse : le travail occupe son corps et son esprit et les nuits sont
lourdes de sommeil. Ainsi va la vie d’Eva.
Or, un jour, un
employé du Bureau gouvernemental se présente, inspecte l’exploitation et leur
propose des avantages sur le prix de la nourriture pour le bétail. Pour en
bénéficier, il faut simplement produire des extraits de naissance. L’employé
reviendra régulièrement prodiguer quelques conseils pour la bonne tenue de la
ferme. Peu de temps après, Hans est appelé sous les drapeaux : avant de
partir, il explique à sa femme qu’il la sait suffisamment courageuse pour tout
gérer toute seule et lui demande de faire porter ses efforts sur la basse-cour
en multipliant les poules afin que la vente d’œufs sur le marché lui permette
d’avoir un revenu extérieur. La réalité s’avérera un peu différente de ce qu’avait
prévu le mari : Eva ne pourra compter sur l’aide de ses enfants pris par
leurs réunions de H.J (Hitler Jugend), organisation de la jeunesse allemande
qui devint obligatoire à partit de 1936.
Complètement
absorbée par une tâche quotidienne harassante, la jeune femme vivra coupée du
monde : ce qui était déjà son cas avant le départ de son mari ne fera que
s’accentuer. « Nous n’avions pas l’habitude de nous enquérir de ce qui se
passait hors de chez nous. Nous étions toujours et sans discontinuer concentrés
sur ce que nous faisions. »
Alors pour elle,
le départ de son mari représente avant tout des bras en moins et des
difficultés en plus pour tenter de survivre : « Qu’il soit à l’armée
signifiait pour moi qu’il n’était pas à la ferme. Je savais qu’il s’agissait
d’une obligation, elle-même en relation avec la guerre, mais j’ignorais où il
se battait et contre qui. »
Eva vit hors du
monde, loin de la ville, comme enracinée dans sa terre et se bat pour survivre
dans une lutte quotidienne harassante… jusqu’au jour où, entrant dans le
poulailler, elle découvre un homme, un homme qui saura la révéler à elle-même
et lui faire comprendre le monde qui l’entoure…
Un magnifique et
inoubliable portrait de femme, de paysanne attachée à sa terre, à son devoir,
une femme généreuse, forte, pleine de bon sens, s’autorisant la liberté de
penser par elle-même et allant jusqu’au bout de ses convictions parce
qu’instinctivement, elle les sait justes.
Une écriture
limpide et dépouillée qui traduit merveilleusement bien la vie simple d’Eva et
l’éveil sentimental et politique auquel elle ne s’attendait pas.
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