Éditions Verdier
Lecteurs, placez ce livre sur le
dessus de votre PAL (pile à lire), libraires, posez-le sur votre table près de
l’entrée, imprimeurs, relancez vos machines… Que chacun profite de ce petit chef-d’œuvre : c’est piquant, percutant, vif, intelligent et drôle, si drôle…
Vraiment… à pleurer de rire !
Le sujet ?
A la manière des philosophes du
XVIIIe qui dénonçaient le ridicule de leur société à travers les yeux
faussement naïfs de quelque Candide, Ingénu ou étranger, tel, au hasard, un
Persan, Emmanuel Venet descend en flèche une société dont les rapports humains
sont fondés sur la pire des hypocrisies, une haine sans pareille ou au mieux
une indifférence profonde. Visiblement cela contente tout le monde ou bien tout
le monde s’en contente voire se félicite d’être capable de se couler dans le
moule de la bêtise (pour rester poli), de la méchanceté et du simulacre.
Ici, celui qui pose un regard
juste et droit sur la société, c’est le narrateur. Il a quarante-cinq ans et
est atteint du syndrome d’Asperger, forme d’autisme qui l’empêche de s’épanouir
en société d’une part, mais aussi de dissimuler ses sentiments, de jouer un
rôle, un rôle social. Il est « asociognostique, c’est-à-dire incapable de
se plier à l’arbitraire des conventions sociales. » Il n’aime « ni
les propos trompeurs ni les cachotteries » Il est franc, honnête, lucide,
aime ce qui est logique, clair et précis. Ses goûts vont au scrabble, aux
recherches sur l’origine des catastrophes aériennes et à son amour
d’adolescent, une certaine Sophie Lachenal devenue, depuis qu’elle s’est mariée,
Sophie Sylvestre-Lachenal, femme à laquelle, il en est bien certain, il restera
fidèle toute sa vie. C’est bien parti en tout cas !
Or, tandis qu’il assiste aux
obsèques de sa grand-mère, il découvre avec stupeur et dégoût que le propos de
l’officiante recrutée par sa tante Solange à la Pastorale diocésaine n’est
qu’un immense tissu de mensonges éhontés.
Non, sa grand-mère Marguerite n’était
pas une épouse fidèle, une mère dévouée, une femme généreuse, ouverte…. Elle a
trompé son mari pendant des années, l’a laissé s’enfoncer irrémédiablement dans
l’alcool, « préférait l’argent aux êtres humains, voulait rendre la France
aux Français, considérait les handicapés comme des parasites et les homosexuels
comme des malades mentaux, et regrettait amèrement la peine de mort au moins
pour les assassins, les meurtriers, les violeurs, les braqueurs et les
incendiaires ».
Finalement, dit-il, « les
seuls renseignements exacts durant cette pantalonnade se réduisent pour ainsi
dire aux données de l’état civil ».
Et chaque membre de la famille (tante
Solange, tante Lorraine et les autres) en prend pour son grade. Et comme
l’office dure un certain temps, personne n’échappe à son portrait peint au
vitriol… Les masques de la comédie sociale que chacun aime à jouer tombent un à
un laissant apparaître des individus abjects, grossiers, d’une bêtise insensée
et totalement formatés par une société avide de passer tous ses citoyens à la
moulinette. L’instinct grégaire aidant, tout le monde veut ressembler à tout le
monde. Beurk !
Quand on pense que le seul qui
soit dans le vrai, le bon sens, la logique, le seul qui échappe à la pensée
unique, à la mode, aux futilités, au jeu social au sein de cette famille qui
pourrait évidemment être celle de chacun d’entre nous, le « seul du clan à
penser juste et à marcher droit » est considéré comme « un fou »
ou un malade… Cela laisse rêveur… (Cela dit, chez Shakespeare et ailleurs sans
doute, les fous ne sont-ils pas les plus clairvoyants ?)
Et évidemment, ces tissus de
mensonges que l’on entend le jour des funérailles sont décuplés lorsque c’est
la société qui s’en empare et qui s’exprime à travers les médias :
« De même qu’on nous dit à l’échelle familiale que ma grand-mère
Marguerite, femme réactionnaire et foncièrement égoïste, représentait un modèle
de tolérance et de bonté, on nous serine à plus grande échelle qu’il nous faut
à la fois abattre les dictatures et vendre aux tyrans des armes pour équilibrer
notre balance commerciale ; produire plus de voitures et diminuer les
émissions de gaz d’échappement ; supprimer les fonctionnaires et améliorer
le service public ; restreindre la pêche et manger plus de poisson ;
préserver les ressources en eau douce et saloper les aquifères au gaz de
schiste. »
Plongée en eaux profondes dans la
mer des absurdités et des mensonges. On a parfois envie de se laisser couler…
Un livre vraiment désopilant,
saisissant de vérité, qui nous tend un miroir dans lequel, il faut bien le
dire, nous ne sommes pas bien beaux à voir, nous, les sains d’esprit…
On parle de plus en plus de ce livre, je suis contente !
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