Éditions Chandeigne
Le
petit Henrique vient d'être renversé par une voiture : ses
parents Rogerio et Marta se précipitent aux urgences, rejoints
rapidement par les grands-parents. Et c'est l'attente. Normal, me
direz vous, aux urgences, on attend.
Sauf
que là, on n'entre pas, on reste éternellement dans la salle
d'attente, aucun médecin ne vient vous chercher, vous donner des
explications, aucune infirmière ne vient soulager votre peine, vous
rassurer. Il y a bien un interphone avec un code mais on ne le
connaît pas, il y a bien un vigile qui surveille mais il demeure
inflexible. Et l'on peut bien sonner, frapper, pleurer, crier,
hurler, ça ne change rien. On reste à la porte sans trop savoir ce
qui se passe derrière, si l'enfant renversé est encore vivant, s'il
appelle, s'il souffre, si on est en train de l'opérer . Rien.
On ne sait rien.
Le
lecteur se trouve plongé alors dans un univers kafkaïen, métaphore
de ce que vivent les parents confrontés à la maladie :
l'autisme, en l'occurrence . Henrique, en effet, est autiste et
vit presque coupé du monde, c'est ce que nous apprennent les
flash-back qui viendront entrecouper la narration de cette attente
sans fin aux urgences.
En
effet, Henrique est un enfant différent : pas de communication,
pas de mots prononcés, pas de volonté, pas de désirs. Un seul
plaisir : faire tourner les objets sur eux-mêmes, des petites
voitures par exemple et regarder en boucle les dessins animés .
Ses mains s'agitent quand il est submergé par l'émotion. Et ses
parents ressentent la terrible impression de ne pas entrer en contact
avec lui, de ne pas avoir le code d'entrée, autrement dit, de rester
à la porte. Comment être parent quand on n'est jamais appelé papa
ou maman ? Comment tenir le coup au quotidien pour solliciter
l'enfant des heures et des heures tous les jours ? Comment
continuer à faire vivre son couple sans s'user, sans sombrer dans le
désespoir, sans s'en vouloir et en vouloir à la terre entière ?
Comment ne pas s'isoler ? Vers qui se tourner pour avoir de
l'aide de médecins et de psychologues compétents ou de structures
sans tomber dans les filets des charlatans prêts à profiter de la
détresse de parents complètement perdus et prêts à croire au
miracle ? Comment être tout simplement aidé, accompagné,
soutenu ?
Et
la porte des urgences ne s'ouvre toujours pas, impossible de franchir
cette paroi de verre et la détresse de la famille s'accentue, à
chaque heure, à chaque minute, frisant la folie et l'incompréhension
la plus profonde. Cette image de la porte fermée montre à quel
point le fait de ne pouvoir communiquer avec son enfant est vécu
comme un martyre.
On
reste à la porte de ce qui nous tombe dessus soudain et qu'il va
falloir admettre : l'enfant qui est le nôtre n'est pas comme
les autres. Après viendra le terrible diagnostic. Véritable
couperet.
Autisme
est un livre puissant parce qu'il dit la détresse infinie des
protagonistes à travers une écriture au rythme souvent heurté,
brisé, des phrases parfois longues et tortueuses, des passages
versifiés, une langue à la fois soutenue et relâchée. Les mots
parfois crus, violents reflètent le quotidien des familles, une
épreuve, une lutte chaque jour renouvelée, une vie prenant la forme
effrayante d'un mythe de Sisyphe infernal.
L'auteur,
père d'un enfant autiste, n'a pas souhaité écrire un témoignage.
Il a préféré la fiction pour exprimer sa douleur et raconter son
expérience personnelle. Il dit que ce roman est « emprunté
à sa vie ». Le genre du roman permet plus de distance par
rapport au vécu de l'auteur et surtout autorise parfois certains
passages comiques (et néanmoins désespérés) qui auraient été
déplacés voire impossibles dans un témoignage.
Un
texte dont la fin vous laisse totalement anéanti par l'émotion.
Magnifique
et poignant.
Intéressant, et ta critique, très émouvante, semble en dire long sur la puissance de cette histoire. Je le note, merci.
RépondreSupprimer