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mardi 30 mai 2017

Ada d'Antoine Bello


 Éditions Gallimard

L'intérêt des ponts comme celui de l'Ascension, c'est qu'ils permettent aux blogueurs de faire une plongée dans les eaux profondes de leur PAL et de remonter à la surface des petits bijoux jamais explorés. Et quel est le trésor que j'ai exhumé de la plus grande fosse de la planète ?
L'auteur s'appelle Antoine Bello et le titre du roman est : Ada et… j'ai... A-D-O-Rééééééééé… et bien évidemment, je me suis demandé pourquoi je ne l'avais pas remonté à la surface plus tôt… d'autant que j'avais lu sur la toile de nombreuses critiques très élogieuses… Eh bien, c'est fait et quel bon bouquin ! Vraiment, je me suis régalée !
Le sujet : Franck Logan est policier, spécialisé dans les trafics humains, et une mission un peu spéciale vient de lui être confiée : il doit retrouver Ada, un logiciel d'intelligence artificielle qui a disparu. Les deux fondateurs de la Turing Corp., entreprise située dans la Silicon Valley, sont sur les dents. Ils ont avec leurs actionnaires investi énormément d'argent dans ce projet. Il faut retrouver Ada coûte que coûte. Franck a beau habiter cette Silicon Valley, lui et les technologies numériques, ça fait deux. Mais au fait, qui est Ada ? « Un ordinateur conçu pour imiter le cerveau humain », lui explique un des boss. « Elle parle, elle détecte les émotions de ses interlocuteurs, il lui arrive même de blaguer. »
Tout ça, Franck peut l'entendre mais sa fonction ? Eh bien, c'est simple : elle écrit des romans, plus exactement, elle est programmée pour écrire des romances. On lui a fait ingurgiter une quantité industrielle de romances anglaises, 87301 exactement à raison de 10000 par jour , dans l'ordre chronologique, et maintenant qu'elle en a compris la recette et dégagé les règles d'or , 13451 règles d'or précisément (du nom idéal de l'héroïne au nombre exact de scènes de sexe en passant par la quantité précise de dialogue dans le récit …) il ne lui reste plus qu'à en recracher une, et une qui plaira au plus grand nombre, si possible. Le but ? Comme toujours, l'argent ! Vendre au moins cent mille exemplaires de l'ouvrage qui a déjà un titre (vous apprécierez …) : Passion d'automne !
Bon, tout n'est pas encore parfait, je veux dire, le logiciel n'est pas encore totalement au point : certains dialogues sont un peu crus, le niveau de langue n'est pas toujours adapté, mais c'est sur la bonne voie…
Problème, hélas : Ada a disparu et finalement , après avoir entendu toutes ces explications, Franck se dit que les ravisseurs d'Ada ont peut-être « rendu un fier service à l'humanité. »
Ada est un livre passionnant à plusieurs titres : tout d'abord, il pose la question de la place qu'on voudra bien laisser aux intelligences artificielles dans notre monde à venir. Il nous faudra peut-être veiller à ne pas jouer aux apprentis sorciers qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez et se retrouvent pris au piège par la technique censée les servir et non les asservir.
Par ailleurs, Antoine Bello nous invite à réfléchir à ce qu'est au fond la littérature et plus précisément, la création littéraire : en effet, une machine peut-elle remplacer un écrivain ? Évidemment, non, me direz-vous ! Et je suis bien d'accord et pour autant, un écrivain n'est-il pas quelqu'un qui a lui-même beaucoup lu, assimilé une certaine quantité d'oeuvres littéraires dont il va être, consciemment ou non d'ailleurs, l'héritier ? De plus, échappe-t-il à ce qui est à la mode, à ce qui se fait, se vend au moment même où il écrit ? Ne se conforme-t-il pas, plus ou moins consciemment, à une certaine « attente » de son lecteur ? Finalement, un écrivain de chair et d'os a-t-il plus de liberté qu'une intelligence artificielle ? « Un auteur ne s'affranchit jamais totalement des codes » fait remarquer très justement Ada à son interlocuteur, ajoutant que finalement, comme les intelligences artificielles, les auteurs sont « condamnés à rabâcher ; nous ne parlons pas, nous répétons. »
Comment définir alors la notion d'originalité, si originalité il y a ? Franck finit par s'interroger : « On disait les ordinateurs conçus pour penser comme les humains ; et si c'étaient les humains qui pensaient comme des ordinateurs? »
Vertigineux ? Non ? En tout cas, cela mérite réflexion !
Au delà de cette problématique, Antoine Bello s'interroge aussi sur le pouvoir des mots et de la communication dans un système démocratique : qui se cache derrière les mots prononcés par les politiques ? Eux-mêmes ? Pas sûr! Un autre ? Certainement ! Une intelligence artificielle ? Qui sait ? Quand on connaît la force des mots et leur pouvoir absolu de manipulation, il est toujours bon de savoir qui en est à l'origine ! Et si c'était un logiciel qui saurait exactement, grâce à tout ce qu'on laisse de nous sur la toile, comment nous séduire, nous plaire et nous faire changer d'avis… Un logiciel intelligent qui connaîtrait nos goûts, nos habitudes, nos points faibles et qui nous dirait ce que nous aimons entendre, qui nous présenterait comme des êtres exceptionnels afin de mieux nous manoeuvrer, nous tromper et faire de nous de vraies marionnettes...
Quant aux intelligences artificielles, Franck s'interroge tout au long du roman : « Ont-elles une conscience? », non, bien sûr, me répondrez-vous, oui mais ... lorsqu'il pose la question de savoir si Ada est une personne à la femme de ménage qui s'occupe de nettoyer la pièce où se trouve le logiciel, cette dernière a cette réponse étonnante :  « -Bien sûr que non ! Les personnes ont des bras et des jambes. - La considérez-vous pour autant comme votre amie ? - La meilleure amie que j'aie dans mon travail... » répond sans sourciller la jeune femme.
Allez, je ne vais pas en dire plus sinon que vous allez vous régaler car c'est un texte merveilleusement construit, très intelligent et plein d'humour (ah ce Franck technophobe qui avoue n'avoir rien compris à Blade Runner, n'a aucune idée de ce qu'est une adresse IP et passe ses soirées à écrire des haïkus !...)
C'était mon premier Bello, je peux vous dire que je n'en louperai pas un désormais !

1 commentaire:

  1. Et tu auras bien raison... Bienvenue au club ! Moi-même j'ai encore un peu de rattrapage à faire, notamment sa trilogie Les falsificateurs mais je me régale à chaque fois :-)

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