Éditions JC Lattès
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Quel
texte ! Quel roman ! Je l'ai lu d'une traite,
complètement happée par l'atmosphère glaçante qui s'installe
progressivement, me demandant comment tout cela allait se terminer,
relisant certains passages pour être sûre de bien comprendre ce qui
se tramait.
Évidemment,
le sujet y est pour quelque chose (je vous en parle dans deux
minutes) mais je crois que l'écriture que j'ai trouvée fascinante,
notamment à travers les métaphores poétiques de l'eau ou des
structures syntaxiques audacieuses, contribue pleinement à créer cette
impression d'être, nous aussi, progressivement, comme pris au piège.
En effet, j'ai eu le sentiment d'avancer dans l'oeuvre avec la peur
de découvrir le pire, de comprendre ce que tous les sous-entendus ou
les images qui disent sans dire laissent deviner à demi-mot. J'ai
même relu certains passages pour m'assurer que mon esprit ne
s'égarait pas, que je n'inventais rien.
Un
insupportable malaise s'installe peu à peu.
Et
le piège se referme sur eux… les enfants.
En
effet, c'est un livre sur la violence, une violence cachée,
sournoise, qui ne porte pas son nom mais qui détruit les êtres.
Le
sujet ?
Balthazar
Béranger, médecin, est un homme de goût : il s'installe dans
un ancien presbytère avec sa femme Sonia. Pour lui, « cela
fait sens d'habiter dans un presbytère », comprenez que
c'est un lieu qui a une âme et ça va avec l'idée que Monsieur se
fait de la vie.
Les
pièces sont vastes : il a de la place pour installer son piano
et son clavecin. Car Monsieur est musicien. Et puis, il aime les
vraies choses, les belles choses : l'Art, la Nature, la Littérature, la Culture, la Morale.
Et les couverts en argent lorsqu'ils brillent...
Quant aux enfants, Clément, Sébastien, Manon et Alice, vous pensez bien que Monsieur désire les élever dans la Beauté, en dehors de ce monde abject qui est le nôtre. Pas de télé « qui empêche les enfants d'épanouir leurs facultés d'imagination », pas de radio, pas d'école (inutile et vulgaire), pas de sucreries (un poison pour le corps), pas de foot (idiot), pas de jouets en plastique (clinquants et de mauvais goût), bref que toutes ces horreurs demeurent hors de sa vue et de celle de ses enfants. À la place ? De l'Art, de la musique (ils apprendront le violon), des bonnes manières (on ne parle pas à table), de bonnes fréquentations (ah, ces nouveaux amis musiciens… des gens si sensibles).
« Je me soucie de votre âme » déclare Monsieur à ses enfants, éteints. Beau programme n'est-ce pas ? Ils se doivent d'être reconnaissants, ce serait la moindre des choses, non ?
Et les couverts en argent lorsqu'ils brillent...
Quant aux enfants, Clément, Sébastien, Manon et Alice, vous pensez bien que Monsieur désire les élever dans la Beauté, en dehors de ce monde abject qui est le nôtre. Pas de télé « qui empêche les enfants d'épanouir leurs facultés d'imagination », pas de radio, pas d'école (inutile et vulgaire), pas de sucreries (un poison pour le corps), pas de foot (idiot), pas de jouets en plastique (clinquants et de mauvais goût), bref que toutes ces horreurs demeurent hors de sa vue et de celle de ses enfants. À la place ? De l'Art, de la musique (ils apprendront le violon), des bonnes manières (on ne parle pas à table), de bonnes fréquentations (ah, ces nouveaux amis musiciens… des gens si sensibles).
« Je me soucie de votre âme » déclare Monsieur à ses enfants, éteints. Beau programme n'est-ce pas ? Ils se doivent d'être reconnaissants, ce serait la moindre des choses, non ?
Sonia
se plie à ses exigences et se tait. Elle ne va pas voir ses petits
qui pleurent la nuit, non, lui dit son époux, ils deviendraient
capricieux. Balthazar consent tout de même à se plier à une
certaine forme de modernité en achetant une machine à laver le
linge mais, ah, quand même… avant…
« Tu
n'aimerais pas - Balthazar pose la question sans la regarder, un
sourire vague flottant sur ses lèvres - hein, étendre les draps
dans le jardin, les soirs de lune… Bien, dit-il avant de quitter la
pièce d'un pas rapide et de s'éclaircir la voix, pendant que Sonia,
lentement, referme les portes de l'armoire. Non, je
n'aimerais pas dit-elle doucement.»
Alors,
Sonia tricote de jolis gilets de laine que les enfants enfilent
sur des petits cols blancs. Les gens les trouvent adorables, n'est-ce
pas là l'essentiel ?
Un
jour, Balthazar parle à la maison d'un jeune ado maltraité par sa
famille qui pourrait venir un peu au presbytère recevoir des cours
de français donnés par Sonia. N'est-ce pas Sonia ? Ils se
doivent d'accueillir ce pauvre garçon, eux, « des êtres de
coeur, des êtres raffinés ». Tanguy va peu à peu faire sa
place dans la famille, s'occuper des enfants qui l'adorent parce
qu'il apporte un peu de joie, un peu d'ouverture dans cet univers
austère et rigide où règnent silence et non-dit.
Je
ne vous en dis pas plus mais sachez que tout ce petit monde bien
raide et bien propre sur lui va tout doucement plonger dans
l'horreur, la folie. Et encore une fois, l'écriture allusive,
métaphorique et très minutieuse d'Ariane Monnier exprime
parfaitement la façon dont cette famille va progressivement, sans
même s'en apercevoir, sombrer dans la monstruosité.
J'ai
beaucoup aimé le portrait de cet être insupportable, pervers, ce
despote qu'est le père avec tous ses principes rigides et son
autorité tyrannique : ses gestes, ses expressions, ses tics de
langage rendent très crédible ce personnage abject, dominateur,
destructeur, pour qui seules les apparences comptent. Donner l'image
d'une famille parfaite, quitte à refuser de voir ce qui dérange,
quitte à nier l'évidence.
Un
huis clos étouffant et terrifiant écrit dans une langue magnifique,
envoûtante : Ariane Monnier, un auteur à suivre !
Un roman qui contient l'expression "Cela fait sens" est à bannir. Quelle hérésie !!!
RépondreSupprimerOui mais attention, ces propos sont placés par l'auteur et dans une intention ironique dans la bouche du père dominateur et prétentieux. Propos imbuvables, je suis bien d'accord, prononcés par un être qui l'est tout autant!
SupprimerCe roman pourrait me plaire. Le huis clos, le père despote, le jeu des apparences. Après, je viens de lire un extrait et je bloque un peu sur la plume :/ Il me faudrait passer outre, pour voir.
RépondreSupprimerBonne soirée à toi !
Quelle tentation ! Merci, c'est noté.
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