Éditions Grasset
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
J'ai
été très touchée par le personnage de Maria, grand-mère
complètement folle de son petit-fils Marcus, nouant avec lui des
liens très forts : ensemble ils jouent, se font mille câlins,
observent les oiseaux, collectionnent les plumes, respirent l'odeur
des plantes et admirent les couleurs des arbres et du ciel… Tout
est bonheur de vivre, explosion de joie, de tendresse, d'amour.
Pourtant,
une ombre vient mettre un bémol à ce tableau idyllique :
Marcus arrive parfois chez ses grands-parents les cheveux un peu
longs, les ongles vernis, une robe roulée dans son petit sac à dos.
Maria observe sans rien dire mais William, le grand-père (compagnon
de Maria depuis qu'elle est veuve) supporte mal. Il ne comprend pas
pourquoi, dorénavant, Marcus a le droit de s 'appeler Pomme
s'il le désire ni pourquoi Céline et Thomas, les parents de
Marcus-Pomme, à la naissance de leur deuxième enfant, refusent de
révéler au monde le sexe du petit frère ou de la petite sœur. Un
bébé est né, point barre. Il s'appelle Noun. Les grands-parents,
Maria et William, n'en sauront pas davantage.
Pourquoi
me direz-vous ? Parce que Céline et Thomas refusent d'enfermer
leurs enfants dans un genre, dans une « éducation fille »
ou une « éducation garçon ». Mais ça va plus loin :
c'est l'enfant qui décidera plus tard de son sexe, s'il se sent
plutôt fille ou plutôt garçon. Il ne sera pas contraint, la
société ne lui imposera aucun schéma. Il sera libre.
« On
est autorisé à dire le bébé, comme au premier soir, mais à aucun
moment ne seront risqués ni accord ni pronom. Le
pronom ne se prononce pas, fanfaronne Thomas. Vers cinq, six ans ou
plus tard encore, Noun choisira le plus adapté. Il ou elle. Celui
qui lui plaira. Il sera même envisageable que Noun en
change de temps en temps. Elle ou il. Marcus suivra le pas s'il le
souhaite. On verra bien. L'aventure s'annonce passionnante, prévoit
Céline… Un enfant, une enfant, le mot lui-même n'est pas genré,
poursuit Thomas. Les gens ont tendance à l'oublier. Noun est libre
et attendra le plus longtemps possible avant d'être genré(e).
Genré. Maria n'arrive pas à se faire à cet adjectif.»
Pour
William, le grand-père, toute cette histoire est difficile à
avaler. Quant à Maria, ce qu'elle comprend tout de suite, c'est
qu'elle ne gardera jamais le bébé. Le garder reviendrait à
connaître la vérité, avoir la possibilité de découvrir le sexe
de l'enfant. Les parents refusent. Maria devra donc s'éloigner de
ses petits-enfants. A peine pensable pour elle...
J'ai
beaucoup aimé la façon dont l'auteur s'empare de ce sujet
d'actualité : le genre. Sujet épineux à ne pas aborder lors
d'un repas de famille transgénérationnel...
Le
couple évoqué dans Maria est assez radical dans ses
choix puisqu'il va jusqu'à refuser de révéler le sexe de l'enfant. Le roman d'Angélique Villeneuve nous pousse à nous
interroger, à nous poser des questions essentielles auxquelles il
est bien difficile de répondre…
Dans
tous les cas, son roman n'impose aucun point de vue mais plutôt
apparaît comme une invitation à considérer l'autre quelles que
soient nos convictions de départ et notre sensibilité, à tenter de
comprendre sa façon de concevoir la vie, la liberté, le bonheur…
On échappe ici à toute vision manichéenne qui serait très
réductrice : il n'y a pas, dans cette histoire, ceux qui ont
tort ou ceux qui ont raison ou alors, ceux qui ont tort sont les
êtres qui se ferment comme des huîtres et se révèlent incapables
de s'ouvrir à l'autre (risque encouru aussi bien par les enfants que
par les parents.)
L'écriture
poétique et sensuelle d'Angélique Villeneuve exprime
magnifiquement la relation fascinante entre Maria et ses
petits-enfants, relation qui a quelque chose d'animal. Elle les sent,
les caresse, les cajole, les étreint, les couvre, les nourrit, se
donne complètement à eux et cette complicité est vraiment très
touchante et m'a beaucoup émue. Maria est une vraie grand-mère
poule et l'on imagine aisément son désarroi lorsqu'elle se sent
coupée, écartée de ses petits…
Un
texte magnifique tout en délicatesse et en retenue, un superbe
portrait d'une femme qui, malgré l'hostilité de son ami, la raideur
de sa fille et de son gendre et les critiques de la société,
poursuit coûte que coûte son chemin vers ceux qu'elle aime, quels
que soient leur sexe, leur genre, leur nom et leur tenue
vestimentaire, comprenant qu'au fond, tout cela est loin d'être
l'essentiel...
Parce
qu'au fond, ce qui compte, c'est bien l'amour, n'est-ce pas ?
Quel beau billet! J'ai aussi aimé ce roman et l'écriture poétique de son auteure.
RépondreSupprimermerci !
SupprimerMerci pour votre message, je suis contente que vous partagiez mon enthousiasme sur ce livre si poétique.
RépondreSupprimerJe ne connais pas François Constant mais il a raison. Quel beau billet! merci, Le marque-page, d'avoir si bien -et si délicatement- ressenti quel était mon propos dans ce livre. j'en suis très touchée. Merci!
RépondreSupprimerangélique Villeneuve