Éditions Autrement
★★★★☆ (J'ai beaucoup aimé)
Si
vous aimez les romans d'introspection, alors, vous y êtes et
croyez-moi, vous allez vous faire plaisir. Il y a beaucoup de
nostalgie dans cette oeuvre de Kjell Westö construite sur un vaste
retour en arrière d'une cinquantaine d'années développé sur plus
de cinq cents pages. Le personnage que l'on découvre au début du
roman, narrateur qui restera sans nom, a une soixantaine d'années :
il rédige un article sur les liens entre deux écrivains
sud-américains, Borgès et Bolanõ.
C'est un homme empreint de doute et d'incertitude qui s'interroge sur
ce qu'il a été, ce que fut sa vie, le sens de ses relations aux
autres : sa famille et surtout ses amis. « Je lisais et
j'écrivais (ce que j'avais fait toute ma vie) et pourtant je savais
peu de choses, tout comme j'avais peu de choses à dire. Dans
le fond je ne savais pas qui j'étais, je ne savais
même pas si mes souvenirs étaient
vraiment les miens. »
Alors
qu'il est plongé dans ses pensées, il se sent observé et voit un
inconnu fuir en emportant un objet posé au sol. Quelques jours plus
tard, son ami d'enfance est poignardé par ce même inconnu.
Cet
événement joue le rôle de la petite madeleine proustienne. En
effet, le narrateur comprend alors que tout s'explique par ce qu'ils
ont été, lui et ses amis : « j'étais lié à
tout ce qui s'était passé, pas seulement à cet incident et aux
événements actuels, mais aussi aux faits et gestes du passé, qui
s'étaient produits au fil de plusieurs décennies et conduisaient au
point où je me tenais actuellement.»
Et
le premier chapitre s'ouvre sur l'évocation de la rencontre avec
l'ami en question alors qu'ils n'avaient qu'une dizaine d'années :
Alex Rabell, garçon appartenant à une grande famille bourgeoise,
vivant dans le magnifique manoir de Ramsvick au bout d'une presqu'île
plongeant dans le golfe de Finlande : un large corps de logis
peint en blanc, des dépendances, un ponton, un hangar à bateaux, un
sauna, le tout entouré de forêts de sapins. Je vous sens rêveur…
sachez que les paysages et les lumières sont quasiment des
personnages de cette histoire. A peine le roman terminé, on n'a
qu'une envie : prendre un billet d'avion pour Helsinki (mieux
vaut attendre encore un peu, il y fait moins six degrés…) Le père
d'Alex, Jakob, est un homme d'affaires qui passe son temps à
l'étranger. Le patriarche à la tête de cette dynastie
d'entrepreneurs se nomme Per-Olf Rabell dit Poa : il vit au
manoir et ne voit pas d'un très bon œil cette amitié naissante
entre ce garçon issu d'une famille modeste et son petit-fils.
On
touche finalement ici au coeur du roman : les relations du
narrateur avec son ami Alex et la sœur de ce dernier, Stella, dont
il tombera éperdument amoureux (ce que clame le bandeau avant même
la lecture).
On
est dans les années 1970 à Helsinki, ces trois jeunes sont beaux,
pleins de vie, tout est encore possible, encore permis. Ils profitent
des belles journées d'été, se baignent et s'aiment. Ils découvrent
la sexualité et se laissent aller au plaisir. Tout semble leur
sourire...
Mais
c'est sans compter sur le poids des secrets familiaux, de la réussite
sociale, des tensions, des jalousies, des trahisons, et des compromis
qui viendront gangrener l'âge adulte, sans effacer le souvenir
lumineux de ces belles années pleines d'insouciance et de passion.
Le
roman est épais et l'auteur prend le temps d'analyser dans le détail
la dimension psychologique de chacun de ses personnages :
apparaissant ainsi dans toute leur complexité, luttant contre des
décisions qu'ils regrettent souvent, s'interrogeant sur la place
qu'ils doivent occuper dans ce monde moderne fait de dominations
économiques, de violence, de migrations, où tout se mélange sur
des réseaux sociaux qui font la pluie et le beau temps, ils se
demandent, sans trouver de réponse, si la mémoire est fiable ou si
chacun reconstruit le passé, souvent d'ailleurs, de façon
inconsciente.
J'ai
beaucoup aimé le fait que l'auteur ne donne finalement pas de
réponse à tous ces questionnements. C'est à chacun de trouver SA
réponse au fond de soi, avec ce que nous sommes, notre sensibilité,
notre rapport aux autres et au passé.
L'auteur
nous invite à plonger dans le passé des personnages pour tenter de
comprendre ce qu'ils sont devenus un demi-siècle plus tard, alors
que la société a tellement changé. La place est désormais ouverte
à la nouvelle génération : comment s'appropriera-t-elle le
monde ? Comment se situera-t-elle par rapport à ses aînés ?
Comment jugera-t-elle leurs prises de position ? Saura-t-elle
mieux gérer un monde en pleine mutation sociale, économique et
politique ?
Un
roman qui incite à une belle introspection, une plongée en
soi-même… pas toujours facile mais souvent nécessaire pour
avancer...
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