Editions Gallimard
Lorsque j'ai tourné la dernière page, j'ai crié : « Oh !
C'est fini ! » Je m'étais habituée à cette rencontre
quotidienne avec une personnalité hors du commun et si attachante :
Patti Smith.
En fait, je ne connaissais rien d'elle sinon quelques chansons que
j'écoutais autrefois, il y a bien longtemps...
Tout d'abord, ce qui m'a fascinée dans ce livre, c'est la photo de
couverture : elle est assise dans un café, une tasse blanche
devant elle. Elle porte un bonnet de laine, une veste d'homme et un
jean. Elle tient son visage dans sa main droite et regarde sur le
côté. Présente et absente. Sa main gauche est posée sur la table.
Je crois que je n'ai jamais autant regardé une couverture de livre.
Patti Smith raconte en quelles circonstances cette photo a été
prise : tous les matins, elle se rend au café Ino, situé sur
Bedford Street, dans Greenwich Village, commande du café noir, un
toast de pain complet et un ramequin d'huile d'olive.
Or, ce jour-là, elle apprend que l'établissement ferme. C'est un
choc pour elle. On lui sert tout de même un dernier café lorsqu'une
jeune fille qu'elle connaît passe. Elle lui demande d'immortaliser
ce moment difficile, « l'image de l'affliction »
dira-t-elle. C'est vrai, elle a l'air profondément triste. Je crois
que c'est cette grande mélancolie que j'ai ressentie et qui m'a
touchée.
« Ce n'est pas si facile d'écrire sur rien. » dit le
cow-boy de son rêve, « Il est bien plus facile de ne parler de
rien », ajoute-t-elle…
Écrire sur rien, parler de rien … en réalité, Patti Smith
nous emmène avec elle, dans son train, à son rythme, sans horaires,
ici et là. Elle nous embarque et on la suit dans
son « vagabondage », un peu partout sur la planète
et dans ses rêves aussi, aujourd'hui et hier, autrefois et demain.
Vie quotidienne peuplée de chats, de cafés et de livres, rencontres
d'auteurs, voyages dans les rues de New-York et ailleurs, au Japon,
au Maroc, à Londres, méditations sur le passé, sur ceux qui l'ont
quittée et qu'elle a aimés, sur le temps, tout se mêle, se lie, se
correspond et s'enchaîne, à l'image de la vie, décousue,
fragmentée, surprenante, insensée parfois. Les horloges ont perdu
leurs aiguilles et le monde sa boussole...
Elle aime le café et les cafés, aurait aimé ouvrir un petit
établissement mais son ange, l'amour de sa vie, le musicien Fred
« SONIC » Smith, l'a appelée à Détroit : elle est
partie.
Ils sont allés à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane française pour
voir les vestiges de la colonie pénitentiaire où l'on envoyait les
pires criminels. Genet évoquait ce lieu pour lui sacré dans Journal
du voleur mais ne l'aura jamais vu. Elle ramassera quelques cailloux
et les portera sur la tombe de l'écrivain, au cimetière chrétien
de Larache, au Maroc. De même, à Charleville, Rimbaud aura droit à
des perles de verre bleu de Harar...
Les auteurs sont sacrés, elle leur fait des offrandes, nettoie leur
tombe, vit avec leurs livres dispersés çà et là, dans sa maison,
un sac, une chambre d'hôtel. Elle les aime, toujours et encore, leur
parle, écoute leur voix même s'ils ne sont plus. Plus présents
parfois que les vivants, ils partagent le quotidien de la chanteuse,
Bolaño, Rimbaud, Michima, Kurosawa, Dazai, Akutagawa, Plath, Kahlo…
Elle aime aussi Sarah Linden, l'enquêtrice de The Killing et
n'imagine pas un seul instant ne plus la revoir quand la série sera
finie.
Ses êtres chers, ses frères …
Elle a aussi d'autres compagnons de route : ce sont les choses,
les objets : sa cafetière, un dessus de lit, son lacet. Elle
leur parle, ils lui répondent. Parfois, elle les perd et elle a
remarqué d'ailleurs que plus elle les aime, plus elle les perd :
son vieux manteau noir, son livre de Murakami Chroniques de l'oiseau
à ressort, son vieil appareil photo… C'est comme les gens
finalement, ceux qu'elle a aimés ont disparu, elle les a perdus eux
aussi… Elle reste là, seule ou presque.
Et puis, comment ne pas parler de ses photos : la chaise de
Roberto Bolaño, la table de Schiller à Iéna, le lit et les
béquilles de Frida Kahlo, la canne de Virginia Woolf, la machine à
écrire de Hermann Hesse, les tombes, les cafés … Quel que
soit le sujet, l'image en noir et blanc, floue parfois, fascine, me
fascine. Je la regarde plusieurs fois comme pour en percer le
mystère. Il s'en dégage une force que j'ai rarement vue ailleurs…
Patti Smith parle d'elle, des autres, de la vie, des œuvres qui lui
sont chères, des auteurs qu'elle porte en elle, des siens, de son
ange, de son bungalow de Rockaway Beach, du quotidien. Je ne la
connaissais pas, il me semble avoir fait une belle rencontre, une de
celles que l'on n'oublie pas, une femme dont l'univers poétique est
riche et profondément mélancolique, quelqu'un avec qui j'aurais
aimé partager un coin de table, là-bas ou ailleurs. Pas forcément
pour parler. Pour être là, sentir ce que le soir a à nous dire et
écouter le temps qui passe...
miam, étant un grand fan de just kids je suis impatient de découvrir celui-ci, merci.
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