Éditions Gallimard
★★★★☆ (fascinant)
Eté
1985, Istanbul : jeune lycéen, Cem souffre du départ brutal de
son père, un pharmacien marxiste souvent absent à cause de ses
activités politiques et amoureuses. Pour subvenir aux besoins de la
maison, Cem commence à travailler dans une librairie puis, suite à
un déménagement, il va surveiller le potager de son oncle. Mais les
rentrées d'argent demeurent très insuffisantes, d'autant que Cem
veut s'incrire à l'Université dès la rentrée. Il lui faut donc
trouver une activité plus rémunératrice.
C'est ainsi qu'il découvre, dans le jardin d'à côté, des ouvriers
qui s'emploient à creuser un puits. Piqué par la curiosité, Cem
s'approche et discute avec le maître puisatier, un certain Mahmut,
qui lui explique que s'il vient l'aider à creuser un puits dans la
banlieue d'Istanbul, il gagnera de l'argent très rapidement et
pourra ainsi commencer ses études supérieures. Malgré les réserves
de sa mère, Cem décide de partir avec Maître Mahmut et de devenir
apprenti auprès du puisatier.
Commencent
alors les travaux…
Sachez,
cher lecteur (trice), que vous allez devenir à votre tour un
véritable maître puisatier car, sur les 100 pages et quelques qui
suivront, Cem, Mahmut et un troisième larron vont creuser, creuser,
creuser, sous l'écrasant soleil de juillet. Rien de la technique du
forage ne vous sera épargné (avec un petit schéma p 40). Est-ce
ennuyeux ? Oui et non parce que très vite, il faut bien le
dire, s'installe une certaine tension : l'eau va-t-elle jaillir
un jour ? Et croyez-moi, on finit par se prendre au jeu et par
devenir aussi impatient que les trois protagonistes. Par ailleurs,
Maître Mahmut, qui va devenir pour Cem un père de substitution,
aime raconter des histoires, souvent d'ailleurs empruntées au Coran.
Il en connaît des quantités incroyables et on l'écouterait parler
des nuits entières en regardant les étoiles… Si, si…
Et
puis, il faut savoir que le soir, Cem quitte son maître pour se
promener dans le bourg d'Öngören…
Là, il va croiser le regard d'une femme à la chevelure de feu qui
va le hanter. Dorénavant, il passera ses journées à attendre que la nuit tombe pour observer de loin, à la dérobée, celle qui appartient à
une troupe de théâtre ambulant…
Or,
un événement inattendu va avoir lieu, rompant l'aspect répétitif
du forage et projetant soudain le lecteur dans un roman qui va
devenir franchement passionnant pour des raisons que je tairai.
S'il
est des textes qu'on oublie, je sais que ce ne sera pas le cas de ce
roman de formation, classique dans son écriture, qui convoque les
grands mythes d'Oedipe et de Rostam (héros de la Perse antique) en
les modernisant et ce, dans une Turquie en pleine mutation où la
ville d'Istanbul (véritable personnage de l'histoire) s'étend et se
modernise chaque jour davantage tandis que les années passent.
Ainsi,
quelle que soit la thématique abordée : géographique,
politique, économique ou religieuse, passé/présent s'opposent
continuellement dans ce texte, reflétant à la fois la complexité
du monde moderne et les préoccupations profondes de l'auteur.
De
plus, La femme aux cheveux roux pose des questions
philosophiques qui nous amènent à nous interroger sur les notions
de destin, de liberté et d'identité à travers Cem, un personnage
qui va chercher, une bonne partie de sa vie, à fuir son passé.
Entre
le conte philosophique, la fable politique, le roman d'aventures et
la tragédie moderne, La femme aux cheveux roux, dont
la construction est remarquable, s'empare progressivement de son
lecteur qui finit par craindre le pire pour le personnage principal
dont il a suivi la trajectoire en redoutant l'issue finale.
Fascinant.
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