Éditions Gallimard
Livre pour adultes : ce titre bien mystérieux
cache-t-il quelque propos licencieux ? Non, pas du tout ! Le sujet
est tout autre et le voici : avant… disons approximativement… cinquante
ans (je ne veux vexer personne !), on vit plutôt tourné vers l’avenir, on
a du temps devant soi (ou on croit en avoir), des projets en nombre, des
illusions, beaucoup d’illusions même, on se croirait presque immortel… Ah,
vanitas vanitatum !
Et puis, un matin, au lever du
lit, quelques douleurs physiques surgissent ici et là qui nous rappellent
discrètement que notre corps vieillit. Parents et membres de la famille un peu
âgés disparaissent peu à peu, nous laissant vraiment … j’allais dire
« adulte ». Est-on d’ailleurs vraiment adulte tant que l’on a ses
parents vivants ? Je ne sais pas, je me pose parfois la question.
Tandis que l’on prend de l’âge, le
monde autour de nous change au point que l’on se sent parfois légèrement
« à côté » et on a vite fait de se sentir « à côté »
dans ce monde du numérique, des nouvelles technologies, de la consommation à
gogo, de l’invasion des marques, des loisirs-parcs-d’attractions, du tourisme
de masse, de l’uniformisation des villes et j’en passe… On sent confusément, au
fond de soi, que l’on ne partage pas tout à fait les « valeurs » - si
tant est que l’on puisse parler de « valeurs »- du monde qui est le nôtre.
Pour moi, l’expérience fut
concrète et en trois points : j’ai commencé par ne plus comprendre les
publicités, quel était l’objet vanté et en quoi consistait son usage. Ensuite,
dans le cadre du travail, ce sont les sigles que j’ai eu du mal à décrypter
jusqu’à ce que je me constitue une espèce de petit lexique auquel que je me
reporte quand besoin est. D’ailleurs, je ne l’ouvre plus, considérant que, soit
le propos est clair et je le comprends, soit il ne l’est pas et il n’avait qu’à
l’être. Enfin, j’ai commencé à recevoir les invitations du Conseil Général de
ma région pour aller faire tel et tel examen de santé.
Visiblement, j’étais (je suis)
sur la mauvaise pente….
Pour en revenir au livre - mais
je ne m’en suis guère écartée -, Benoît Duteurtre dit que c’est une bonne chose
que de moins aimer son époque car on ne s’en détachera que plus facilement au
moment de la mort. Pourquoi pas ? Il est bon, à défaut d’être croyant,
d’être philosophe.
Vieillir, puisque c’est de cela
qu’il s’agit, c’est prendre de la distance par rapport au monde, s’amuser de
loin de la comédie humaine et par là même, acquérir une certaine sagesse,
refuser le rythme effréné de l’existence, accepter que les autres ne soient pas
tels qu’on les idéalisait, ne plus chercher à paraître ce que l’on n’est pas,
être capable de contempler un paysage ou d’apprécier un bon mets.
Finalement, dommage que la
vieillesse ou l’âge mûr ne dure pas plus longtemps car c’est sans doute le
moment le plus agréable et le plus reposant de la vie.
Duteurtre a à peu près mon âge
(même s’il est un peu plus âgé, je le précise quand même, on a son
orgueil !) et donc, son propos m’a « parlé » comme on dit :
la disparition ou la maladie des proches, la perte des illusions, l’incapacité
à comprendre le fonctionnement souvent absurde et complètement dépourvu de bon
sens du monde moderne. (J’aurais une sacrée liste d’exemples à fournir mais je vous
en fais grâce !)
Enfant, Duteurtre n’a cessé d’aller
pour les vacances dans les Vosges et il évoque de façon très sensible ce monde
rural qui disparaît, ces paysans qu’il aimait et qui ne sont plus
(extraordinaires propos d’un inspecteur de l’hygiène criant aux oreilles de
Josette Antoine, une vieille agricultrice : « Je vous laisse
continuer, mais n’oubliez pas que c’est
une tolérance. Après, ce sera fini !», nostalgie de voir ces fermes
s’effacer du paysage et être remplacées par des élevages intensifs aux NORMES (ah
que notre époque aime les normes !) ou par des résidences secondaires très
design : « Quand nous avions dix ou douze ans, mon cousin
Jean-René, inséparable compagnon des vacances vosgiennes, lisait « Le
Dernier des Mohicans ». Ce titre
me fascinait par son évocation de la fin d’un peuple, processus lent et
complexe qui, pourtant, prend chair au moment où disparaît son ultime
représentant. Toute notre vie est ainsi jalonnée par les extinctions d’êtres,
d’objets, d’habitudes, comme autant de petits mondes qui s’éteignent pour
toujours. »
Livre pour adultes évoque le passage, le tournant de la
vie, la prise de conscience soudaine qu’il reste moins que plus, quoi qu’on
fasse : « J’ai repoussé
continuellement l’arrivée du moment où tout bascule, j’ai construit des
échafaudages, des armatures, des murailles pour y résister. Évidemment, je suis
dans l’erreur, comme ma mère. Car j’ai compris, au fil du temps, que la souffrance
et la mort l’emportent toujours in fine.
L’adulte sait qu’il court à sa perte et que le monde court à sa perte,
lui aussi. Il peut s’enfermer dans le ressassement de la catastrophe à venir,
ou tâcher de saisir une lueur d’espoir. Il sait néanmoins que tout cela finira
mal. »
Une œuvre intimiste qui mêle des
genres différents : souvenirs personnels, réflexions et petites fictions
satiriques qui disent ce qu’est notre monde devenu. Un texte, comme vous l’avez
senti, emprunt de nostalgie et de mélancolie face à la disparition de ceux qui
nous sont chers, à l’effacement de ce que nous aimions et au vieillissement qui
est le nôtre.
Reste que les adultes sont
peut-être les seuls capables d’apprécier le simple plaisir d’être avec la
personne aimée, de déguster un bon verre de vin en contemplant un ciel étoilé
ou de lire tranquillement près d’un feu de cheminée.
Autant ne pas s’en priver…
Bon,mes 50 obligent ! Je vais lire ce livre.
RépondreSupprimerAu coin du feu, ou dans les montagnes Suisses, et bien sur dans mon lit !
Merci pour tous ces conseils de lecture.
Anne-Lyse
J'ai beaucoup aimé ce livre. Bien qu'il y ait indiqué "roman" sur la couverture ce n'en est pas un ! Chroniques, souvenirs, fiction...Ah nostalgie quand tu nous tiens. Effectivement c'est un livre pour adulte car les moins de 50 ans ne peuvent se souvenir d'un monde aujourd'hui disparu.
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