Le Nouvel Attila
« Je ne suis pas un arbre, je n’ai pas de racines. »
Magnifique autobiographie dans
laquelle Maryam Madjidi, née en Iran, raconte son enfance entre des parents
militants qui organisent des réunions clandestines, une grand-mère refusant que
sa première petite-fille serve à transporter des documents secrets dans ses
couches et deux oncles en prison.
Elle se souvient. Des images,
comme des bulles, éclatent ou s’envolent.
Elle se souvient qu’elle doit
donner ses jouets avant de partir en France : posséder est une vilaine
chose lui disent ses parents. La petite fille pleure : ses jouets, elle
veut les garder !
Avant de quitter ce pays sans
avenir, les parents aussi enterreront leur bien : des livres. Marx,
Engels, Lénine, Makarenko dans un trou.
Elle se souvient.
Son oncle Saman, dix-neuf ans,
est en prison, il y restera huit ans. C’est ce qui arrive aux gens qui
s’opposent au pouvoir.
Elle se souvient.
Abbâs vient aux réunions, il est
jeune, il croit qu’un changement est possible. Ils l’ont arrêté en pleine nuit.
Il n’a même pas eu le temps d’enfiler ses chaussures. Il ne reste de lui qu’une
sandale. Une pauvre sandale en plastique.
Elle se souvient encore.
Les « Fatmeh
Commando », police des bonnes mœurs, enlèvent les femmes mal voilées ou
insuffisamment habillées à leur goût, comme ça, dans la rue. Elles les
embarquent brutalement. Après leur passage, la rue est vide.
Alors, il faut partir.
Partir, c’est se retrouver en
pays inconnu, entendre des mots inconnus, sentir des odeurs inconnues. Être
étranger, être d’ailleurs. Et petit à petit, alors qu’on s’habitue au nouveau
pays, on devient de nulle part. On n’appartient plus au pays d’origine dont on
oublie doucement la langue et l’on n’est toujours pas du pays où l’on vit. D’où
venez-vous ? D’Iran. Ah, comme ça doit être beau, là bas, j’aimerais moi
aussi avoir une double culture, quelle richesse ! Maryam reste
muette : être d’ici et d’ailleurs, c’est être de nulle part, coupée en
deux, arrachée et non vraiment replantée, étrangère partout. Perdre son identité.
Paris : 15m². La mère attend. La petite fille voit la
mère qui attend.
« J’aurais aimé ramasser les lambeaux de tes rêves, les sauver,
les enfiler comme des perles dans ma guirlande de mots à moi, et l’accrocher au
sommet d’un arbre pour que ça bouge et vive encore.
Te réveiller. Te ressusciter. Noircir tes traits, mettre du rouge sur
tes joues, sur tes lèvres, t’injecter de la vie pour que tu chantes, tu ries,
tu cries mais rien à faire, tu te diluais silencieusement dans une eau
imaginaire. »
Et puis, l’école, les
autres : la petite fille ne joue pas. Elle n’a pas les mots pour cela.
Elle est seule.
L’autre, la langue maternelle,
est là, tapie au fond de la petite fille. Elle attend. Elle sait que la petite
fille ne l’a pas oubliée. Elle viendra la rechercher mais pas tout de suite,
plus tard.
Bien sûr, être d’ailleurs a des
avantages : avec humour, Maryam raconte comment elle s’amuse et joue
auprès des hommes de son charme oriental : « Je lui fais mes regards langoureux, je deviens aussi sensuelle
que possible, je suis une toile de Delacroix. Je passe la main dans mes
cheveux. Je renverse ma tête, dévoilant la chair souple et fraîche de mon cou.
Si je pouvais je demanderais au serveur quelques coussins, voilages et riches
tentures. »
Si ça ne marche pas, on passe au
plan B : Maryam récite des vers d’Omar Khayyâm en persan : « En
veux-tu, en voilà ! »
Elle joue à « l’exilée romanesque » et ça marche
souvent !
Mais dans ce livre, Maryam ne joue
plus : elle se met à nu et raconte son histoire, l’histoire d’une femme
libre et libérée : « Je vous le
donne, ce masque, prenez-le, je le dépose dans vos mains. »
Un très beau texte, sensible et
original, mêlant prose des souvenirs, contes et poésies, multiples formes
d’expression pour dire l’arrachement, la violence du départ, la coupure de
l’exil, la difficulté de renaître ailleurs, dans un pays qui n’est pas le sien
mais qui finira par être un lieu à soi, un lieu où être soi, enfin !
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