Éditions Seuil
« La barbarie a toujours des traits humains, c’est ce qui la rend
inhumaine. » H. Mankell
Lorsque je commence un livre,
j’évite de lire la quatrième de couverture, le contenu des critiques (je ne lis
que la fin pour savoir si le livre a été apprécié ou non) et ne veux rien
savoir de l’auteur. Suspense total.
Alors, pour ce livre, évidemment,
ce qui m’a frappée, c’est la justesse des sentiments, l’expression d’une
profonde et réelle souffrance : j’ai tout de suite pensé que tout cela
était du vécu, que je lisais le témoignage d’une femme violée.
Hélène Duteuil, la narratrice,
enfermée dans une chambre d’hôtel près du Palais de Justice de Grenoble est
appelée à comparaître.
Le 14 juillet 1984, alors qu’elle
était monitrice dans un camp de vacances pour adolescents, elle a vécu le
pire : une destruction totale, absolue, complète, un acte dont personne ne
se remet même avec le temps, une annulation de soi-même : un viol.
Mais, au lieu d’en parler, de
peur d’être considérée à vie comme une victime, de crainte de devoir raconter
sans cesse cette histoire terrible et de la revivre à travers les mots, elle
s’est tue : « L’oubli est une
stratégie de survie, un processus sélectif et dynamique, un choix imposé
d’obscurité sur une partie de sa mémoire, suivi du mensonge qui pose les bases d’une
autre réalité, plus facile à digérer. J’ai passé ma vie à tout contrôler pour
éviter le raz de marée, à mettre en place une histoire instinctive et
chaotique, à inventer le quotidien de ma prison en créant un personnage de
« survivante » qui impose silence et respect, mais aujourd’hui ça
m’explose à la gueule. », « Maintenant
que tout a resurgi, je peux affirmer que la mémoire est un champ de bataille.
L’oubli est un meurtre et, qu’il soit conscient ou inconscient, il fait toujours
des dégâts. »
Hélène a maintenant 47 ans, elle
est une femme écrivain renommée et, lors d’un salon littéraire, elle a
rencontré Léo, jeune romancier, qu’elle doit retrouver à Paris. Elle sait que
Léo vit en couple et Hélène préfère s’effacer. Pourtant, celle qui ne s’attache
à rien ni à personne semble éprouver des sentiments sincères. Pour une fois. Elle
lui écrit une très longue lettre pour lui expliquer qui elle est et ce qu’elle
a vécu.
Alors, elle raconte la douleur
qui a refait surface à l’occasion de ce procès : « j’ignorais que ma douleur n’avait jamais été digérée et que, à
mon insu, elle ne faisait que suivre au ralenti la trajectoire d’une balle qui
transperce le corps, jusqu’à la sortie. » La jeune femme a vécu ce que
l’on appelle « un refoulement », « un processus actif qui maintient hors de la conscience les
représentations inacceptables ». « Le cerveau met les souvenirs « de côté » en créant une
amnésie dissociative : je m’étais retirée de l’équation en me dissociant
de l’acte que j’avais subi. » On pense avoir presque oublié alors que
tout reste dans un recoin du cerveau prêt à exploser. Une vraie bombe à
retardement. Les mots de la narratrice sont forts et m’ont bouleversée. Je
comprenais que l’auteur avait vécu tout cela, certains mots ne trompent pas.
Et pourtant, Qu’il emporte mon secret est un roman comme l’indique la
page de couverture. Effectivement, c’est un livre construit comme un thriller,
qui tient son lecteur en haleine et dont la révélation finale m’a fait douter
de ce que j’avais cru comprendre auparavant. J’ai dû faire marche arrière pour
relire certains passages … je n’en dis pas plus, évidemment…
Finalement, ce que nous dit cette
œuvre, c’est qu’à la destruction de soi commise par le viol s’ajoute la
destruction de soi perpétrée par le silence, le non-dit : même si c’est
dur, même si, sur le moment, on a l’impression que l’on va y rester, mieux vaut
parler, s’exprimer pour faire sortir de soi ce qui ronge et tue lentement.
Une œuvre forte : les mots
sont justes, précis, ils disent enfin ce qui est resté caché, enseveli au plus
profond de l’intime. Puissent-ils libérer, ou du moins, apporter un peu de
légèreté à une femme meurtrie…
En tout cas, ces mots, nous,
lecteurs, nous les avons entendus et nous ne sommes pas près de les oublier.
vous me tentez!!!!
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