« C’est ainsi… » C’est
par ces trois syllabes que commence le dernier livre de Judith Hermann : Au début de l’amour. « C’est
ainsi ». Immédiatement, une certaine lassitude, une forme de renoncement
et puis peut-être l’idée que ça aurait pu être autrement semblent vouloir faire surface.
Stella rencontre Jason alors
qu’elle revient du mariage de sa meilleure amie, Clara. Elle ne se sent pas
très bien ; les belles années appartiennent dorénavant au passé. Elle a
peur et tremble dans ce petit avion à hélices et demande à son voisin si elle
peut se placer à ses côtés et lui serrer la main. Et ça commence comme ça… Il
était là, à ce moment-là, mais il aurait pu tout aussi bien être ailleurs et
elle aussi. Elle aurait pu avoir un autre voisin et c’eût été une autre
rencontre. Mais c’était lui. Et ce moment, qu’on le veuille ou non, a déterminé
tous les autres. « Je ressens comme une injustice le fait qu’on ne puisse
voir et comprendre qu’a posteriori l’enchaînement des choses. » se
plaindra-t-elle.
Naîtra Ava, une petite fille. Et la vie
s’écoulera, monotone et tranquille entre la maison dans le lotissement et son
travail d’infirmière. Lui est absent, il construit des maisons.
Elle vit souvent seule, dans la
nostalgie des années passées, imaginant ce qui aurait pu se produire si,
s’interrogeant sur la contingence des faits, les hasards de la vie…
Elle échange peu avec Jason.
C’est, comme on dit, un taiseux. D’ailleurs, se connaissent-ils vraiment ?
En revanche, elle appelle son
amie Clara, souvent. Elle lui écrit aussi de longues lettres où elle lui
raconte ses rêves, la nostalgie qu’elle ressent pour un mari qui existe encore
et qu’elle pense parfois mort.
La jeune femme ne semble pas se
sentir à sa place. Elle s’observe et regarde le monde avec une certaine distance
comme si elle ne s’habitait ni ne l’habitait vraiment: « Elle voit
une femme seule assise à une table sous une lampe, en train de lire. C’est moi,
pense Stella. C’est moi. Stella. » Absente à elle-même. Les gens, les
objets, la nature, le ciel demeurent comme extérieurs à elle. Stella se trouve dans
l’impossibilité d’appartenir au monde, de faire corps avec lui et d’aller à la
rencontre de ce qui l’entoure. Elle sent que quelque chose ne colle pas.
Et pourtant, la vie quotidienne
fait son chemin, les mêmes gestes, à la même heure, à quelques détails près.
Certainement la meilleure façon d’oublier : « Peut-être qu’il s’agit
de disparaître. C’est possible » suggère-t-elle.
Jusqu’au jour où… un inconnu
sonne à sa porte. Elle aimerait ouvrir mais se méfie. Elle l’interroge par
l’interphone. Que veut-il ? Parler, répond-il, s’entretenir avec elle. Si
elle a le temps. C’est tout. Mais on sent déjà qu’il y a quelque chose
d’essentiel dans cette quête, de vital peut-être… Non, répond Stella, elle n’a pas
le temps, vraiment pas. Dommage, répond l’homme puis, il repart. Il reviendra,
chaque jour, plusieurs fois par jour… Inlassablement
La tension monte au fur et à
mesure des pages mais pour autant, nous ne sommes pas dans un roman policier
mais au cœur des êtres, dans cette zone intime où ils s’interrogent sur ce
qu’ils font là où ils sont. Une zone secrète où il ne fait pas toujours bon
traîner. C’est risqué. Le voisin va tirer Stella de son petit confort, de sa maison,
de ses objets, de ce quotidien en apparence paisible pour la placer face à elle
même, dans l’analyse plus ou moins consciente de son mal-être, de ce rapport
distancé au monde, de sa solitude et de ses désirs qu’elle ne souhaitait
peut-être pas s’avouer. Il lui tend un miroir, cet homme dont elle
dira : « Il paraît tout à fait normal, comme nous tous, mais on
sent autre chose en dessous, un épuisement, une déchéance, une tristesse
profonde. ». Le voisin, un double d’elle-même, une âme en peine ou tout
simplement un homme avec qui un autre début aurait été possible si elle avait
dit oui, si elle avait ouvert la porte et si… ?
Un très beau texte poétique et
sensuel où la tension des êtres est palpable à chaque page. « Comment
j’ai pu atterrir ici ? » s’interroge Stella, persuadée qu’il est trop
tard, qu’ « il y a peu de chances que certaines choses se produisent
encore. » tandis que son amie Clara lui
écrit : « Autrefois, j’ai pu m’imaginer de temps en temps que
j’étais quelqu’un d’autre. Aujourd’hui je suis réduite à moi-même. » A
quoi finalement ? Des gestes mécaniques, des sourires forcés et des
sentiments morts.
Stella dira au sujet de son voisin :
« Il est bloqué, un jour dans sa vie quelque chose s’est coincé, il est
resté pris dans une boucle temporelle ». Comme elle. Prisonnière du non
qu’elle a prononcé, du renoncement dans lequel elle s’est cloîtrée, de ce que
les autres - la collègue, la meilleure amie, le mari - lui ont dit de faire.
Une Emma Bovary qui n’a pas ouvert sa porte,
qui n’a pas tenté de fuir, qui s’est contentée de regarder au loin, derrière sa
baie vitrée…
Tragique, vraiment. Profondément
tragique…
Fichtre ! Tu sais donner envie!
RépondreSupprimer"Nichts ALS Gespenster"
RépondreSupprimerde Judith Hermann et "Sommerhaus Spaeter".
J'ai adoré ces deux livres .
Donc il faut que je trouve le titre en allemand de celui-ci, si quelqu'un le connait, je suis preneuse.