Tout le monde le sait :
Billy Rodale a tué Boyd Caudill, le frère de Virgil. Et c’est bien ça le
problème. Les gens attendent. A Blizzard, dans ce coin perdu du Kentucky, on ne
laisse pas un crime impuni, c’est une question d’honneur. Alors, Virgil se doit
d’agir, de venger son frère. Les gens ne parlent pas mais les silences sont
lourds de reproches. On sait ce qu’ils ont dans la tête, ce qu’ils veulent. Et
puis, il y a la famille : la mère et la sœur Sara. Elles sont gênées.
Virgil ne passe pas à l’acte et ça fait six mois que ça traîne, six mois qu’il
ne fait rien. « Et on sait tous ici ce que tu fais pas »
murmure-t-on à son oreille.
Alors Virgil se met à
« envier aux pierres leur existence parfaite. Personne n’attend rien
d’elles. » Lui, il doit agir, se convaincre qu’il n’a pas le choix. Mais
tuer lui correspond si peu…
Il faut dire, Virgil ne ressemble
pas à son frère, vraiment pas. Il aime être tranquille, dans la nature. C’est
un contemplatif comme on dit, un taiseux. Il observe les oiseaux, coupe du
bois, marche dans les collines, traverse les forêts, pêche et respire. Il
connaît tous les coins par cœur, c’est son pays et il y est très attaché. Tout
ce qu’il souhaite, c’est vivre dans la cabane en bois de son père et qu’on le
laisse tranquille. Il n’est pas un tueur et n’a pas envie d’en devenir un.
Supprimer la vie, ce n’est pas pour lui. Ça n’entre pas dans sa philosophie. Et
puis, comme il le dit, une fois que c’est fait, c’est fait : « ce
n’était pas comme redevenir sobre, il ne pourrait pas arrêter et revenir en
arrière. »
Sans compter qu’il a un travail
et fréquente une femme qu’il va certainement épouser. D’ici quelques années, il
aura même un tas de gamins, c’est sûr ! Son avenir est tout tracé, alors
cette histoire de vengeance l’ennuie. Profondément. Finir sa vie en prison, ça
n’est pas pour lui, il a d’autres projets. Il veut rester libre…
Son frère, Boyd était très
différent : un « fêtard incontrôlable. Il roulait vite, buvait
sec, jouait aux cartes et courait les femmes. » Il fascinait ceux qui
l’approchaient. Certains disent encore qu’ « il fichait la trouille, mais
y avait pas d’homme plus aimé dans cette vallée. Et c’est bien ça qui l’a tué,
m’est avis. Les hommes voulaient s’en faire un pote et les femmes le voulaient
à leur façon. Lui, il était comme la peinture sur une bagnole qu’on vient de
repeindre : impossible de résister à l’envie de la rayer d’un coup de
tournevis. Les gens voulaient le voir mort et ils le savaient même pas, jusqu’à
ce qu’y soit plus là. Il a jamais suivi une seule règle de sa vie. » Un
mythe ce frère, quelqu’un qu’on n’oublie pas. Mais de là à devenir un
meurtrier, il a beau réfléchir, ça ne passe pas….
C’est pourtant dur de se sentir
comme un « tuyau d’arrosage que l’on plie pour étouffer son
chagrin. » Ça ronge, ça empêche de vivre… Il faudra prendre une décision,
c’est sûr, mais laquelle ?
Le bon frère est un grand texte superbement écrit qui met en
scène un homme subissant une véritable « tempête sous un crâne »
pour reprendre des termes hugoliens. Il faut choisir entre l’honneur ou la vie,
la prison ou la honte. Décision impossible. Le bon frère est un homme tragique.
C’est aussi un livre qui nous
parle de l’Amérique profonde, une Amérique qui a peur de l’autre, des autres,
car ils sont multiples, qui vit armée jusqu’aux dents, persuadée qu’elle est la
prochaine victime d’un complot national, voire international qui la laissera
exsangue, sans terre, sans racines, perdue.
Des êtres sans repères, en quête
d’identité, souffrant dans ce monde moderne où ils ne trouvent plus leur place
et revendiquant encore une liberté qui n’est peut-être plus qu’illusion…
Superbe !
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