Éditions Flammarion
★★★☆☆ (J'ai aimé, sans plus)
Un
bon test à faire : lire un roman et ne pas le chroniquer
immédiatement afin de voir ce qu'il en « reste » un mois
plus tard… Ce n'est évidemment pas une expérience que j'ai faite
volontairement mais plutôt contrainte et forcée par un calendrier
bien rempli.
Alors,
que me reste-t-il de cette lecture ? Peu
de choses,
je dois bien l'avouer… J'ai lu ce texte comme un conte parce qu'il
ne m'a pas semblé très crédible, une
espèce de
conte social : l'histoire d'une femme qui n'a plus rien et dont
le mari est parti, la laissant seule avec trois enfants et
la peur qu'il les reprenne.
Un jour,
elle trouve une mobylette qui va lui permettre d'obtenir
un travail : elle devient thanatopractrice
et
grâce à ses dons de couturière,
elle fabrique de beaux vêtements pour les morts. Artiste,
elle
crée aussi des
boîtes,
des
« tissanderies »,
dans lesquelles elle confectionne des scènes qui représentent
de façon
symbolique
la vie du défunt. J'ai beaucoup aimé l'idée
de
ces « tissanderies », j'ai même cru que ça existait
mais n'ai
rien trouvé
sous ce terme dans le dictionnaire. De
l'histoire, je ne vous dis pas plus… Si j'ai lu ce roman avec
plaisir et assez rapidement, ce ne fut pas vraiment un coup de
coeur : malgré de beaux passages assez poétiques, on n'échappe
pas aux clichés, à une vague impression de déjà vu, déjà lu.
Je
terminais donc
ce roman un peu déçue, il faut bien le dire, lorsque je
découvris qu'il
était suivi d'un texte d'une quarantaine de pages
intitulé « À
la recherche du sixième continent de Lamartine à Ellis Island,
relation de voyage ».
Très
intriguée, je me
lançai
dans
ce
petit
essai
dans lequel l'auteur raconte comment il a été amené à visiter, un
peu malgré lui,
la ville de New York et de quelle façon il comprit
en découvrant Ellis Island
l'origine même
de la
démesure de
cette ville,
à savoir qu'elle a été bâtie
par des émigrés qui, ne possédant rien, ont voulu créer quelque
chose de grandiose. « New
York… m'apparut être la plus grande ville de pauvres du monde, la
seule entièrement faite par des pauvres, construite par des pauvres
et même rêvée par eux. »
Selon
l'auteur, cette
ville est « bien
plus qu'une cité idéale, elle est un manifeste sur la puissance des
pauvres gens, sur la force à inventer un monde et à le
bâtir. Et ce n'est pas le rêve américain que j'ai touché là-bas,
c'est le rêve socialiste originel. »
Lumineuse
analyse qui pour
l'auteur
devrait nous inciter à être
plus accueillants
par rapport aux migrants, afin de ne pas se priver de toute la
richesse qu'ils pourraient nous apporter…
Mais
cela va plus loin : en effet, je me demande si ce petit essai ne
vient pas aussi éclairer le sens
même du roman qui
le précède. Je m'explique :
Jean-Luc Seigle raconte que,
pour des
cours
qu'il préparait, il a découvert que
Lamartine était
d'une certaine façon
à l'origine du roman populaire
avec son
oeuvre
parue
en 1850 :
Geneviève
ou l'histoire d'une servante.
Il
paraît, en effet
que, dans
la préface de ce roman,
Lamartine parle d'une jeune couturière d'Aix-en-Provence nommée
Reine (comme l'héroïne
de La
femme à la mobylette)
venue
jusqu'à Marseille pour le
rencontrer.
Elle souhaitait
le remercier pour ses écrits poétiques
qui la transportaient
et elle
lui dit ces mots très
touchants :
« Quand
on vit seule comme moi, on a quelquefois besoin de se parler tout
haut pour se convaincre qu'on vit. »
Persuadé
qu'elle lisait aussi des romans, Lamartine l'interrogea sur ce sujet
mais à
sa grande surprise, elle répondit qu'elle
ne
lisait
pas de romans : « aucun
ne s'adresse à elle, aucun ne parle d'elle
ou de ses semblables. Les romans, affirme-t-elle, sont bien trop
éloignés de la réalité des gens ordinaires. »
Là-dessus,
Madame Lamartine de
renchérir
en remarquant
qu'il n'existait
pas, en
effet, de véritable héroïne
populaire.
Lamartine
est convaincu : il faut écrire un roman pour le peuple
et dans
lequel
le peuple serait
véritablement
au premier plan.
Et
soudain, je comprends : n'ai-je
pas, sous les yeux, l'héroïne
féminine
que cherchait à créer Lamartine ? La petite Reine de
Lamartine, la petite couturière qui a fait des kilomètres pour
rencontrer le grand poète est là, devenue
personnage littéraire
sous
la plume de J-L Seigle. Et ce roman n'est-il pas, d'une certaine
façon, une œuvre politique, celle des petites gens dont on parle
peu, qui
vivent de pas grand-chose et
qui
meurent sans personne ?
Oui,
je pense
soudain mieux
comprendre
le sens de tout cela : est-ce
le roman du peuple et pour le peuple dont rêvait Lamartine que
nous propose ici J-L Seigle ?
Alors,
pourquoi ne pas lire le livre « à
l'envers »
en commençant par cette postface et en la transformant
en préface ?
Allez,
je vous laisse découvrir tout cela. Surtout, n'hésitez pas à me
dire comment vous voyez la chose...
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