Éditions Seuil
★★★☆☆ (J'ai bien aimé)
Ah,
les nuits d'Halloween, très peu pour moi ! Tandis que mes
gamins se précipitent dans le premier cinéma pour hurler de plaisir
et trembler de joie devant un clown grimaçant ou une horrible poupée
malveillante, m'assurant qu'ils ne rentreraient pas avant deux heures
du matin, je me plonge avec délice dans un roman policier qui me
fait de l'oeil depuis quelque temps. Et l'expression « faire
de l'oeil » est à prendre au sens propre parce que, selon
l'inclinaison que vous donnez au livre, l'oeil s'ouvre ou se ferme
(on appelle ça un « flip lenticulaire » paraît-il…)
Effet garanti !
Je
commençais tranquillement ma lecture lorsque soudain, j'entendis la
porte grincer…
Non,
je plaisante ! Allez, me voilà plongée dans Mise à jour
de Julien Capron, journaliste de formation et scénariste. Le texte
se présente un peu comme une pièce de théâtre : chaque
protagoniste prend la parole comme pour témoigner après coup de ce
qui s'est passé.
Et
que s'est-il passé ? Eh bien, imaginez une société où l'on
note tout : les restos, les hôtels, les sites touristiques, les
livres même… Mais cela ressemble fortement à la nôtre, me
direz-vous. Oui mais si l'on vous notait VOUS aussi, en tant
qu'individu ? Imaginez, vous passez dans la rue, vous croisez
quelqu'un qui vous lâche un regard noir : clic, vous lui mettez
une sale note. Votre ami a quelques minutes de retard ? Allez
zou, un rouge : « une saloperie de Jugement dernier en
temps réel ». Imaginez le pouvoir que chacun aurait sur
l'autre ! Quel enfer ! Et puis, pas besoin de s'expliquer,
de se justifier : t'as une sale tête, clac, une sale note ;
toi, t'as l'air sympa, clic, un vert. Tu es quoi toi, en ce moment ?
Je suis « orangeclair », j'espère être « vertclair »
dans la journée car j'ai un entretien d'embauche et pour être
embauché, il faut être bien noté (entre l' « orangeclair »
et le « vertfoncé »).
Tiens, c'est marrant, je ne sais pas pourquoi mais toutes ces couleurs me rappellent les évaluations par compétences : comme la note chiffrée risque de choquer l'élève, on utilise des couleurs, paraît-il que c'est moins violent. Je ne suis pas psychologue mais ma fille à l'école primaire avait eu une fois (une fois seulement, ouf!) un marron. J'ignore ce que symbolise le marron pour vous, mais pour ma fille, je vous assure qu'elle aurait mille fois préféré avoir une sale note.
Tiens, c'est marrant, je ne sais pas pourquoi mais toutes ces couleurs me rappellent les évaluations par compétences : comme la note chiffrée risque de choquer l'élève, on utilise des couleurs, paraît-il que c'est moins violent. Je ne suis pas psychologue mais ma fille à l'école primaire avait eu une fois (une fois seulement, ouf!) un marron. J'ignore ce que symbolise le marron pour vous, mais pour ma fille, je vous assure qu'elle aurait mille fois préféré avoir une sale note.
Bon,
revenons à nos couleurs : je vous sens un peu perdu, alors, je
vais vous faire un petit schéma : « vertfoncé » =
tb / « vertclair » = b / « orangetrèsclair »
= ab / « orangeclair » = moyen / « orangefoncé »
= mauvais / rouge = très mauvais.
Voici
la hiérarchie sur eVal (l'appli en question) :
« La
plupart des gens sont orangeclairs ou vertclairs.
Au-dessus de vertclair, on est une star ; au-dessous
d'orangeclair, on entre dans les premiers cercles de l'enfer. Je
dirai : orange pour un type qui empêche son voisinage de dormir
depuis deux mois ; orangefoncé pour un PDG qui vient de
déménager son usine pendant la nuit en laissant quatre cents
ouvriers sur le carreau ; rouge pour un politique qui vient de
tomber pour corruption ; rougeclair pour un serial killer ;
rougefoncé pour un serial killer djihadiste qui fait
collection d'artefacts nazis. »
C'est
plus clair ? Alors, je reprends, vous vous rendez à un
entretien d'embauche et vous êtes « orangefoncé » :
eh bien, c'est MORT, vous pouvez rentrer chez vous, on ne vous
prendra JAMAIS.
Dans
notre roman, il s'agit d'une jeune actrice, Olivia Muller, qui vient
de se voir refuser son droit à l'adoption parce que sa note est trop
basse. Et le problème, c'est qu'elle ne comprend pas POURQUOI sa
note est trop basse et c'est l'énigme que Léandre, un de ses amis,
va tenter de résoudre. Pourquoi Olivia a-t-elle une note aussi
désastreuse, pourquoi est-elle « orangefoncée » ?
Qu'a-t-elle fait pour en arriver là ? Elle ne voit pas
elle-même et passe ses journées à pleurer sur son sort.
Évidemment,
il y aurait une solution très simple : casser la sécurité
d'eVal et aller trouver là-dedans toutes les infos qu'on cherche,
mais lorsque l'on sait que le fondateur d'eVal n'est autre que le
petit frère de Léandre, on se dit que le bras de fer ne va pas être
simple.
Cette
appli est-elle bien morale ? Est-elle trafiquée ? Et si
oui, dans quel but ? Peut-on se fier à la logique mathématique,
aux algorithmes ?
Une
avalanche de questions d'actualité…
Comme
je vous l'ai dit, Olivia est actrice à la Comédie-Française et
j'ai beaucoup aimé, en arrière-plan, l'évocation du monde du
théâtre et les réflexions sur le rapport entre fiction et réalité…
Bref,
quand les gamins sont rentrés et qu'ils ont vu mon livre à œil
« flip lenticulaire », ils se sont précipités dans leur
chambre avant même que je tente de leur expliquer l'intrigue de mon
polar : et clac, un rouge pour eux. Je n'aime pas qu'on refuse
d'échanger sur la littérature, quelle qu'en soit la raison !
Et
deux secondes après, un « vertfoncé », pour me
rattraper : ce sont mes gosses quand même !
Déjà que je ne vais pas sur les réseaux sociaux parce que ça m'angoisse, alors ce genre de société ! J'en ai froid dans le dos !
RépondreSupprimerTout à fait d'accord, cela ne donne pas envie mais je sens que l'on plonge la tête la première dedans... Pourra-t-on résister longtemps? Pas sûr!
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