Éditions Seuil
★★★★★ (J'ai adoré)
C'était
fin août, à la radio ou à la télé, je ne sais plus, à
l'occasion de la rentrée littéraire, une anecdote à propos de ce
livre a retenu toute mon attention : la mère de Chantal Thomas,
adolescente, s'était baignée dans le Grand Canal du château de
Versailles. Dire que cette expérience m'a parlé est un bel
euphémisme : non que je me sois jetée tête la première dans
un plan d'eau royal mais figurez-vous que des châteaux de la région
parisienne, j'en ai visité un paquet ! Mon père adorait ça et
l'été, sous un soleil écrasant et des températures caniculaires,
nous arpentions régulièrement les allées éblouissantes de
Vaux-le-vicomte, les contre-allées aveuglantes de Fontainebleau ou
de Courances. Si vous saviez combien de fois j'ai envié les canards
qui batifolaient tranquillement dans l'eau fraîche des bassins.
J'aurais donné une fortune pour m'allonger dans leur flotte verdâtre
et fangeuse ! Cela a pour nom l'appel de l'eau et j'y suis ultra
sensible. Impossible de résister. J'aurais deux trois anecdotes à
peine avouables à vous raconter à ce sujet ! Ma capacité à me
plonger dans l'eau si j'ai trop chaud n'a aucune limite : ni
celle de la pudeur, ni celle de la loi ou d'un quelconque interdit.
Je ne résiste pas, où que je sois… D'ailleurs, si le souvenir de
certaines visites a pu se perdre en chemin, je n'ai jamais oublié
mes bains et je pourrais vous citer une longue liste de lieux où
j'ai aimé nager.
Bref,
je savais que ce livre me parlerait et ce fut le cas !
Par
où commencer ?
Peut-être
par l'épisode de la mère évoluant dans l'eau du Grand Canal, sous
l'oeil ahuri des fantômes du passé, faisant une espèce de pied de
nez à l'Histoire : mythique, magique, magnifique…
Le
reste l'est tout autant... La première page par exemple où l'auteur
raconte un bain sous la pluie en Méditerranée. Elle repense à sa
mère et comprend soudain ce qu'elle lui a transmis :
« l'énergie d'un sillage qui s'inscrit dans l'instant, la
beauté d'un chemin d'oubli... », quelque chose qui
n'appartient ni à l'Histoire ni à la durée mais plutôt qui est
hors du temps, lié au plaisir immédiat, à la sensualité, au
bonheur tout simplement. Vivre dans le présent. C'est toute une
philosophie tout ça, non ?
Ce
livre sur la mer, sur les plages et les rivages, parle d'une mère,
celle de l'auteur. Une mère fantasque avec laquelle pendant
longtemps Chantal Thomas a le vague sentiment de n'avoir pas beaucoup
de points communs. Pas une étrangère, non, quelqu'un de différent
qu'on regarde un peu avec étonnement, curiosité. « Ma mère
est une enfant à part. » confie l'auteur. Une mère qui
n'a pas toujours joué complètement son rôle tellement elle était
tournée vers l'ailleurs, l'extérieur, la mer, l'horizon. « De
même que Colette écrit de Sido, sa mère, qu'elle a deux visages :
son visage de maison, triste, et son visage de jardin, radieux, ma
mère a deux visages : son visage de maison, obscur, et son
visage de natation, lumineux. »
D'ailleurs, Chantal Thomas,
dans une interview, explique qu'elle a eu l'idée d'écrire ce livre
en lisant le Journal de deuil de Roland Barthes. Ce
dernier, après le décès de sa mère dont il était très proche,
s'est trouvé plongé dans une telle détresse qu'il a tout fait pour
que rien ne change dans la maison. Aucun objet ne devait être
déplacé. Sa mère était une femme d'intérieur et Roland Barthes
avait toujours vécu dans ce petit univers rassurant et protecteur.
La mère de Chantal Thomas, elle, était une femme d'extérieur :
elle aimait nager, vivre cette liberté absolue, ce plaisir total de
s'abandonner à la sensualité quoi qu'il arrive, dans une communion
totale avec les éléments. Car nager, c'est s'alléger : de son
propre poids, de celui de ses vêtements et peut-être même de ses
soucis.
Longtemps,
les femmes n'ont pas appris à nager, on les préférait engoncées,
immobiles, tenues. Avait-on peur qu'elles s'enfuient vers d'autres
rivages ? « Il faut dire que la nageuse… est un
phénomène neuf et d'exception dans une histoire de l'humanité qui
revient pour les femmes à une histoire de leur immobilisation, de
leur identification imposée à des êtres de pudeur et de faiblesse,
des créatures maladives qui ne peuvent que demeurer sur le rivage,
empaquetées de jupons, de robes et de châles, protégées du vent
et du soleil. »
Nager
c'est s'émanciper, s'éloigner, s'ouvrir au monde, se lâcher,
s'abandonner, offrir son corps nu au plaisir… Encore une fois,
finalement, c'est tout un art, une philosophie !
La
transmission de la mère à la fille ne s'est peut-être pas faite
par des mots, des phrases, des réflexions théoriques mais par des
gestes, ceux d'un crawl parfait qui fend gracieusement l'espace de
l'océan, propulsant le corps de la nageuse vers un horizon illimité,
une liberté infinie qui invite à profiter de ce qui ne dure pas, à
jouir de l'instant.
Vers
la fin de l'oeuvre, les pages où l'auteur évoque sa mère
vieillissante et sa prise de conscience soudaine de ce qui les lie
sont magnifiques et bouleversantes.
Chantal
Thomas évoque une enfance à Arcachon avec parents et grands-parents
où elle est bien persuadée de vivre dans le plus bel endroit du
monde. La plage ? Un espace de lumière, d'eau et de sable où
la mère et la fille tissent des liens, plus qu'ailleurs peut-être…
C'est aussi le lieu du jeu, de l'observation, de l'invention, de
l'expérimentation que l'on partage avec des camarades d'un jour ou
d'un été… Merveilleuses pages qui racontent les journées de
l'enfance…
J'ai
tellement eu envie de découvrir ces lieux magiques si bien décrits
dans ce livre que j'ai réservé une maison pour les vacances de
printemps, à Arcachon, la ville des quatre saisons…. J'ai noté
sur un petit carnet le nom des rues et des plages que mentionne
Chantal Thomas, sans oublier l'île aux oiseaux, où nous irons
peut-être. Ce n'est pas la première fois que je traîne tout mon
petit monde sur les traces de maisons ou de chemins qui parfois n'ont
jamais existé sinon dans l'imagination de leurs auteurs. Je me suis
promis aussi - mais ça, c'est pour plus tard - d'aller nager en
Méditerranée, au Cap Martin. Ce n'est pas tout près, il me faudra
traverser la France mais pour me baigner « là où la mer
est translucide, du bleu liquide d'une pierre précieuse »,
je serais capable de tout.
L'appel
de l'eau n'a ni limites ni frontières…
Je suis tentée par ce roman et ton billet me donne encore plus envie.
RépondreSupprimerIl me tente beaucoup; merci pour cette nouvelle mise en lumière !
RépondreSupprimerJ'ai lu votre commentaire sur Babelio et j'ai été stupéfaite d'y trouver, si bien écrit, tout ce que j'avais moi même ressenti en lisant ce livre. L'île aux oiseaux, je l'avais découverte l'été juste avant la lecture de "souvenirs de la marée basse. Étonnant hasard. La baignade : c'est aussi une de mes grandes passions. Curieuse, je suis donc allée jeter un coup d’œil sur votre blog et ... je l'adore ! MERCI. Merci de me faire découvrir des auteurs que je n'avais pas encore lus et de me faire encore plus aimer mes chouchous (Gaëlle Josse, Philippe Lançon ou Emmanuelle Bayamack-Tam)
RépondreSupprimerBonsoir Armelle,
SupprimerUn grand merci pour votre message! Je vois que nous avons les mêmes goûts en matière de livres et de plaisirs (la baignade, j'adore, moi aussi!) N'hésitez pas à me confier vos coups de coeur qui risquent fort de devenir les miens!
A très bientôt!
Marie-Laure