Éditions Gallimard
★★★★★ (J'ai adoré)
Comment
faire lorsque l'on prévoit d'écrire une biographie sur une personne
qui n'existe peut-être pas ?
En
effet, tel est le problème qu'a rencontré François-Henri Désérable
qui, de passage à Vilnius, en Lituanie, rue Jono Basanavičiaus,
tombe par hasard sur la plaque suivante : « L'écrivain et
diplomate français ROMAIN GARY (Vilnius, 1914 - Paris, 1980) a vécu
de 1917 à 1923 dans cette maison qu'il évoque dans son roman « La
promesse de l'aube ». Vous souvenez-vous d'un
personnage nommé M. Piekielny dans ce même livre ? (J'avoue
ne pas pouvoir témoigner à ce sujet car je N'AI PAS LU La
promesse de l'aube et ce malgré les « harcèlements »
quasi quotidiens dont je suis l'infortunée victime… Mon
« bourreau » ? (en inclusive, on dit comment ?) Ma
collègue de boulot et néanmoins amie - une inconditionnelle de Gary
- qui me coince régulièrement et m'interroge sur un ton
accusateur : alors, t'en es où de La promesse de l'aube ?
Oui oui, reconnais-toi chère D……, dont les agissements sont
dorénavant connus sur la place publique.
Alors
NON, je n'ai pas lu ce livre et voilà ti pas que le gars Désérable
s'amuse à jouer les D……. présentant l'oeuvre comme essentielle,
pour ne pas dire vitale, lui qui l'a lue cent mille fois dans tous
les lieux et dans toutes les positions. THE perfection. Est-ce un
complot ? Je vais finir par le croire et par ne jamais lire ce
texte !
Donc,
paraît-il que dans ce roman autobiographique et INCONTOURNABLE, je
l'ai bien compris, il est question, l'espace de deux trois pages dans
le chapitre VII, d'un voisin de palier de la famille Gary (mère et
fils) qui a fait promettre audit Gary enfant de dire, plus tard,
lorsqu'il serait adulte, aux grands de ce monde (car dans l'esprit de
la mère, il ne faisait aucun doute que son génialissime fils adoré
fréquenterait les grands de ce monde), de leur dire donc qu'« au
n°16 de la rue Grande-Pohulanka, à Wilno, habitait un certain M.
Piekielny. »
Et
notre F-H Désérable de se demander qui était ce fameux Piekielny
et de se lancer dans une enquête serrée pour savoir ce qu'il a fait
de ses derniers jours avant que l'Histoire avec sa grande hache ne
s'abatte violemment sur lui et sur tant d'autres.
Et
l'enquête commence avec des allers-retours à Vilnius, des
recherches incessantes sur Internet, des lectures attentives et
minutieuses d'archives, de journaux, de romans, de nombreux
visionnements d'émissions, des observations à la loupe de photos et
moult discussions avec ceux qui ont connu Gary.
Rien.
Absolument
RIEN sur « la souris triste », ce petit homme juif
si discret.
Rien
du tout.
Il
n'est nulle part, sur aucun registre.
Aucune
trace.
« Jour
après jour j'ajournais l'écriture de ce livre, mon enquête
patinait, piétinait, elle était au point mort et Piekielny
introuvable. »
Bon,
c'est bien gentil tout ça mais alors, allez-vous me dire, de quoi
parle un livre de 259 pages dont le personnage principal, enfin celui
sur lequel on mène l'enquête, est introuvable, ne serait-ce que
sous la forme d'un nom qui traînerait sur Google ou ailleurs ?
Alors
là, mes amis, croyez-moi, ce n'est pas un problème car notre
Désérable a un tas de choses à raconter, des tonnes de
digressions, d'apartés, d'anecdotes que l'on croit à côté mais
qui sont en réalité au coeur du sujet : sur son bac, sa mère,
ses études de droit, son hockey sur glace et sur Gary, un homme qui
visiblement le fascine, et là, pour tout vous dire, je me suis
RÉGALÉE. Car, disons-le, il a tout pour lui, cet auteur-là
(Désérable, Gary, je ne l'ai pas lu, je vous le rappelle) : il
est drôle, très drôle, bourré de talent (quelle écriture
magnifique!), hyper cultivé. Il te manie la langue comme un vrai
dieu, jonglant avec les subjonctifs comme s'il était tombé dedans
petit et toi, toi lecteur, je te jure, tu bois DU PETIT LAIT et t'en
redemandes !!! Il pourrait me raconter n'importe quoi l'animal,
je suis scotchée, j'adhère, je me marre. Il me manipule, je tombe
dans tous ses panneaux car je suppose, comme Gary, qu'il a dû m'en
raconter des craques, des bobards, des vertes et des pas mûres. Tant
pis, je suis dans le grand huit Désérable, lancée dans quelque
chose que je ne contrôle pas. Il s'en amuse : tiens, nous
dit-il, j'ai lu plein de choses sur la soirée de Gary chez Lipkowski
après son Goncourt, je sais tout dans les moindres détails et nous,
on bave, on attend et lui de balancer : «... je
pourrais vous y emmener, à ce dîner, mais bon, ces soirées m'ont
toujours un peu ennuyé et je suis déjà dans mon lit. »
Envie de se ruer sur lui et de l'obliger à écrire sous la torture…
Il
te balade, lecteur, pour ton immense plaisir. Il joue de la
littérature comme Piekielny jouait (peut-être) du violon.
Évidemment, il sait très bien où il va et toi, tu ne vois que du
feu. T'as l'impression qu'après son triple salto arrière, il va se
vautrer ferme. Il n'en est rien, il retombe parfaitement sur ses
pieds. Et c'est grandiose, plein de beauté. Bref, c'est mon premier
Désérable et comme vous l'aurez compris, j'ai plus qu'adoré et ce
parce qu'au fond, son propos sur les pouvoirs de la littérature m'a
beaucoup touchée.
J'ai
eu le sentiment que chez lui lire et écrire, ce n'était pas de la
rigolade mais une chose sérieuse qui a à voir avec la vie et la
mort, une chose un peu magique qui ferait qu'on existerait ou pas,
qu'on aurait vécu certaines choses ou pas, qu'on serait mort ou pas.
C'est
elle qui décide, qui a le dernier mot, celle qui est capable de
« tenir le monde en vingt-six lettres et le faire ployer
sous sa loi. »
La
littérature vous a rendu immortel, Monsieur Piekielny. Votre vœu
est exaucé et nous penserons souvent à vous, même les jours où
nous ne passerons pas par le 16 de la rue Grande-Pohulanka…
Quel talent, en effet ! Une chose est sûre, c'est un auteur à suivre !
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